Accueil par Dominique Garabiol

Accueil par Dominique Garabiol, Administrateur et membre du conseil scientifique de la Fondation Res Publica, directeur de banque, au colloque « La réforme des banques » du 23 janvier 2012.

Bonsoir à tous. Nous allons ouvrir ce colloque de la Fondation Res Publica consacré à la réforme des banques.
C’est en qualité d’administrateur et membre du conseil scientifique de la Fondation Res Publica que je vous accueille ce soir. Dans la « vie civile », je suis directeur de banque à BPCE (organe central des Banques populaires et des Caisses d’épargne).
Durant ce débat vous entendrez d’abord Olivier Pastré, connu pour être quelque peu provocateur. Professeur d’économie à l’Université Paris VIII, il a écrit de nombreux ouvrages, certains académiques, d’autres accessibles au commun des mortels.
Nous écouterons ensuite Jean-Michel Naulot qui a exercé dans des banques d’affaires. Je le connais depuis longtemps car nous avons travaillé dans des maisons similaires à différentes époques de notre vie. Il est aujourd’hui membre du collège de l’Autorité des Marchés Financiers. Il a écrit plusieurs rapports publics sur des problèmes relevant de la compétence de l’AMF.
Jean-Baptiste Bellon lui succédera. Analyste financier réputé, les banques suivent d’une façon sensible ses avis pour essayer d’anticiper les opinions qui se dégageront ensuite.
Nous terminerons ce tour de table par une intervention de Dominique Plihon, Professeur d’économie financière à l’Université Paris XIII, membre du Conseil scientifique d’Attac. Il s’est directement intéressé à ces questions et est co-auteur d’un rapport récent du Centre d’Analyse Economique sur le rôle des banques centrales dans la stabilité financière.

J’introduirai ce débat en essayant de vous présenter la façon dont se dessine la problématique de la réforme des banques.

La réforme des banques est d’actualité. François Hollande vient d’annoncer que, s’il était élu, les activités de crédit seraient séparées des activités spéculatives des banques. Nous manquons encore de détails mais cette réforme est maintenant sur la table. Un certain nombre d’autres questions sont posées. Je vais essayer de présenter l’ensemble des points qui sont en discussion.


La problématique de la réforme des banques

Une réforme fondamentale du système bancaire avait été annoncée par le G20 de Londres d’avril 2009. Les États-Unis ont engagé une réforme qui reste limitée ( Dodd Frank Act ). L’Union européenne a aussi traité un volet institutionnel (création d’autorités de régulation bancaire et de marché au niveau européen) mais les principales questions sont restées sans réponse novatrice. Le comité de Bâle, l’assemblée des régulateurs bancaires, a proposé des adaptations du cadre prudentiel sans en changer la philosophie. Les débats s’articulent finalement en deux thèmes majeurs que sont l’architecture des structures du système bancaire et les nouvelles règles de gestion de la politique prudentielle.


1. L’architecture du système bancaire

L’architecture du système bancaire est discuté sur plusieurs points : la taille des banques, la distinction des métiers, le niveau de capital requis et, enfin, le rôle de l’État.

– La limitation de la taille des banques

Depuis trente ans, le secteur bancaire a connu une consolidation massive, horizontale et verticale, multipliant les « mastodontes ». La faillite de ces groupes ferait peser des risques considérables sur les circuits économiques, financiers ou réels, dénommés « risques systémiques » dans la terminologie du G20. Le G20 y répond en demandant un niveau de capital supérieur (de 7 % selon la norme commune à 9,5 % pour les institutions financières d’importance systémique (les « SIFIs »). En outre, des plans de « résolution » (comprendre de liquidation) doivent être prévus a priori.

La taille est supposée apporter des économies d’échelle industrielles ainsi qu’un effet de diversification des risques et de stabilisation des résultats. Le modèle de la banque universelle défendu par la France depuis la loi bancaire de 1984 est l’archétype de l’évolution du secteur depuis trente ans : les groupes bancaires français mêlent tous les métiers, de la BFI (banque de financement et d’investissement) à la banque de détail ancrée dans les relations de proximité. Ces groupes sont aussi devenus internationaux, particulièrement pour ceux qui sont à structures capitalistiques par opposition aux groupes mutualistes dont les activités restent plus nationales. BNP Paribas est devenue, à la fin de 2010, la première banque du monde par le total de bilan.

En contrepartie, ces grands groupes acquièrent des positions dominantes qui accroissent la rente monopolistique dont ils bénéficient. Ils sont plus difficiles à maîtriser, plus exposés aux risques opérationnels, et plus dangereux par l’impact potentiel de leur éventuelle faillite pour l’ensemble du système financier (externalités négatives). Le coût de cette faillite est tel que leur sauvetage préventif par les pouvoirs publics est quasiment certain.

L’accroissement des exigences de fonds propres est-il la bonne réponse ? Quelle est l’utilité sociale ou économique des SIFIs ? Les coûts d’organisation et la difficulté de maîtrise de ces mastodontes (cf. l’affaire Kerviel en 2008 ou celle d’UBS en 2011) ne deviennent-ils pas dirimants ? Une banque « too big to fail » n’était-elle pas aussi « too big to be managed » pour reprendre l’expression de Nouriel Roubini ? Les plans de résolution ne devraient-ils pas être mis en œuvre tout de suite de façon préventive ? Les positions dominantes de quelques acteurs sur les marchés financiers (Goldman Sachs, Morgan Stanley, Deutsch Bank) sont-elles compatibles avec les hypothèses d’efficience des marchés et ne devraient-elles pas entraîner l’application de mesures antimonopolistes ?

– La séparation des métiers ou la disparition des activités de marché ?

Paul Volker, l’ancien président de la Fed à l’origine du Dodd Frank Act, a préconisé la séparation des banques commerciales et des banques d’investissement. Le rapprochement, autorisé aux États-Unis par l’abrogation en novembre 1999 du Glass Steagall Act, a permis une démultiplication de la diffusion des risques bancaires à l’ensemble des agents économiques par des innovations financières complexes (titrisation des subprimes…) ou par l’injection de produits spéculatifs dans de simples prêts bancaires (comme pour les crédits structurés aux collectivités locales françaises).

Paul Volker reproche surtout au rapprochement des métiers un dévoiement de la politique monétaire. Les banques commerciales ayant accès au refinancement de la banque centrale, l’adossement des banques d’investissement conduit à une canalisation de la création monétaire vers les activités de marché alors que sa vocation est de garantir la liquidité des dépôts et la fluidité du financement de l’économie réelle. La monnaie est un bien collectif qui n’a pas vocation à soutenir ni les positions spéculatives de certains agents financiers, ni le prix des actifs patrimoniaux déformés par des bulles successives. C’est pourtant la vocation des programmes de « quantitative easing » de la Fed et la Banque d’Angleterre.

Finalement, le Dodd Frank Act ne retient qu’une version très édulcorée des règles Volker puisque seules les activités de marché pour compte propre sont interdites aux banques commerciales. La commission Vickers au Royaume-Uni retient le principe d’une séparation des activités tout en acceptant qu’elles restent dans un même Groupe. Le débat apparaît en France et en Allemagne. M. François Hollande a annoncé dans son discours du Bourget du 22 janvier 2012, sa volonté de séparer les activités de crédits et les opérations spéculatives des banques.

Dans le même temps, force est de constater qu’isolées, seules les activités de banque d’investissement de la Deutsch Bank et, peut être de BNP Paribas seraient susceptibles de survivre en Europe. Aux États-Unis, Goldman Sachs et Morgan Stanley, les deux dernières banques d’investissement indépendantes d’une banque de dépôts, n’ont survécu à la crise que grâce à leur changement abusif de statut en banque commerciale leur donnant accès au refinancement de la Fed, six jours après la faillite de Lehman Brothers. En France, les deux banques historiques de référence, Paribas et Indosuez, ont perdu leur indépendance entre 1996 et 1999.

Quelle est la supériorité de la séparation des activités comparée à la banque universelle qu’avait promue en France la loi bancaire de 1984 ? Est-il possible pour une banque d’investissement indépendante de survivre sans l’appui des banques centrales ? L’hypertrophie des marchés financiers n’a-t-elle pas étouffé les banques d’investissement ? N’est-ce pas l’hypertrophie des marchés qui est en cause plutôt que le « business model » des banques ?

– Le capital des banques : y a-t-il un bon niveau de capital ?

La capitalisation des banques est l’objet de surenchères publiques offertes dans l’immédiat comme réponse à la crise de la zone euro. La réponse la plus matérielle du comité de Bâle au mandat du G20 a porté sur la redéfinition des fonds propres prudentiels. Depuis 1988 et le premier accord international de solvabilité (ratio dit « Cooke »), les fonds propres pris en compte avaient été élargis au « capital hybride », créance du dernier rang, vendu aux investisseurs comme de la dette et aux régulateurs comme des fonds propres. L’objectif du comité était de protéger les déposants et les créanciers en cas de faillite de la banque au delà des mécanismes de garantie des dépôts (qui porte aujourd’hui sur les dépôts jusqu’à cent mille euros). Les faillites étaient bien envisagées comme évènements normaux de la vie du secteur.

Avec Bâle III, l’optique change : il s’agit d’accroître la résistance du système bancaire aux crises ; la mission assignée aux fonds propres est d’éviter les faillites, non plus simplement de protéger les déposants en cas de faillite. Du coup, le capital hybride, qui servait à absorber les pertes mais intervenait après la faillite, n’avait plus d’intérêt. Seul compte dorénavant le vrai capital, les capitaux propres. Mais quel niveau de capitaux propres faut-il avoir pour résister aux crises majeures ? D’une situation initiale fixée à 2 % avant la crise, le comité de Bâle a fixé un objectif de 7 % à atteindre en 2019. Certains pays, notamment ceux dont les banques avaient particulièrement souffert, ont jugé ce niveau insuffisant pour retenir 10 ou même 15 % comme en Suisse. Le conseil de stabilité financière propose au G20 de fixer le niveau à 9,5 % pour les institutions financières systémiques. En guise de réponse au FMI qui réclame des efforts de capitalisation des banques européennes, le président de la commission européenne a demandé à ce que les banques européennes soient au niveau de 9 % dès mi-2012.

Les autorités s’accordent pour orienter les banques vers une réduction de leur effet de levier et réduire leur propre endettement, ce qui passe par une hausse du ratio de fonds propre. Mais 2 % ou 15 %, est-ce suffisant pour résister à une crise systémique ? L’objectif affiché ne doit-il pas renvoyer au taux de capitalisation de la première partie du XXème siècle, entre 33 et 50 % comme certains économistes anglais le demandent ? Est-il crédible d’attendre de fonds propres de caractère privé une capacité de résistance à une crise de nature systémique, c’est-à-dire qui engage la responsabilité des politiques publiques ? La résistance du système bancaire doit-elle passer par des exigences de fonds propres qui pourraient réduire les capacités de distribution des crédits, sauf à faire redémarrer le marché de la titrisation… ?

– L’intervention des États au capital ou les nationalisations : un soutien ou un contrôle ?

En 2008, les États sont intervenus massivement au capital des banques en optant le plus possible pour des modalités amenant l’État à être un partenaire passif. En France, les contreparties étaient un engagement de modération des rémunérations des dirigeants par l’application d’une charte non contraignante du Medef et des engagements de progression des encours de crédits qui n’ont pas pu être tenus en raison de l’écroulement des demandes de financement des entreprises, qui ont ralenti brutalement leurs investissements productifs, et des ménages, qui ont suivi le mouvement sur leurs investissements immobiliers. Ces interventions ayant été effectuées préalablement au défaut des banques, le rôle de l’État n’est apparu légitime que pour conforter le passage de cette « mauvaise passe » moyennant une rémunération significative. Il n’a pas joué de rôle stratégique et dès les remboursements effectués, les groupes bancaires n’ont eu de cesse que de rétablir leur mode de fonctionnement antérieur.

Les banques françaises ont argué que, finalement, l’État avait gagné de l’argent dans l’aventure et que leur modèle de banque universelle leur avait permis de tenir la route beaucoup mieux que dans d’autres pays. Cette réécriture de l’histoire a été peu appréciée que leurs confrères étrangers ou des agences de notation. Le modèle de banque universelle n’a guère montré de supériorité : les banques françaises ont été sauvées par le contribuable américain (sans l’intervention de l’État fédéral, la faillite d’AIG aurait entraîné celle de la Société Générale et ainsi de suite…). De nombreuses banques universelles, comme les Landesbank allemandes ont joué un rôle très actif dans le circuit des subprimes et de nombreuses banques universelles ont dû être nationalisées ou confortées par les États (ABN Amro, Royal Bank of Scotland, Citibank, Bank of America…). Le business model n’apparaît donc pas franchement déterminant dans la résilience à cette crise.

Les nationalisations ne sont intervenues que lorsque la faillite était inévitable. Les nationalisations ont été des substituts aux faillites. Elles ont concerné surtout le Royaume Uni, l’Irlande, l’Islande et aux États-Unis l’assureur AIG. La France a été finalement contrainte de procéder à la nationalisation indirecte (via la CDC et La Banque Postale) de la branche de Dexia qui lui échoit.

Peut-on échapper à la nationalisation des banques d’investissement en cas de séparation des activités ? Est-il nécessaire de nationaliser pour influer les politiques de rémunération ou pour orienter les crédits vers l’économie réelle alors que la banque est déjà une profession réglementée ? Les points faibles du système bancaire français (Dexia, l’ex-CAECL, ou Natixis, héritage de CDC marchés, de la BFCE et du Crédit National) étaient les enfants des cessions de l’ancien secteur public : cela montre-t-il que le modèle public est dépassé ou qu’il est indépassable ? Les nationalisations sont-elles nécessaires pour restructurer le secteur bancaire ? Seraient-elles temporaires ou définitives ?

2. Les nouvelles règles de gestion de la politique prudentielle

Les règles de gestion portent sur la solvabilité et la liquidité et ont été durcies après la crise. Mais c’est la pertinence même d’une régulation internationale et la place de l’Europe dans cette régulation qui sont en question. Enfin et surtout, l’articulation de la politique prudentielle et de la politique monétaire paraît encore défaillante.

– Les pondérations réglementaires des risques : une subvention cachée aux activités de marché

Les règles prudentielles sont basées sur un ratio rapportant des fonds propres aux actifs pondérés par des facteurs de risque estimés statistiquement. La construction du dénominateur de ce ratio fait aussi l’objet de débats importants.

C’est en 2004 que le comité de Bâle a instauré un principe de pondération des actifs en fonction de facteurs de risques estimés sur une base statistique. Hormis la place centrale donnée par cette norme aux agences de notation (ce que la Commission européenne essaie maintenant de limiter), trois critiques majeures sont opposées à cette méthode inspirée des banques d’investissement américaines :

  • tout d’abord, la base statistique est un facteur de procyclicité, d’accentuation des cycles financiers ; en effet, un historique d’incident sectoriel de faible niveau encourage l’orientation des financements vers ce secteur jusqu’à la constitution de bulle, comme on l’a vu dans l’immobilier ; symétriquement, un retournement de conjoncture a un effet catastrophique ; le comité de Bâle a tenté de contrecarrer ce biais par la création d’un coussin supplémentaire de fonds propres contracyclique exigé en haut du cycle financier mais la lourdeur de cet instrument (application sur base macro nationale avec une année de préavis) explique qu’il ait été accueilli avec scepticisme ;
  • ensuite, la hiérarchie des pondérations incite les banques à prêter à des agents financiers plutôt qu’à des entrepreneurs par la prise en compte des garanties financières ; un hedge fund peut donner des titres d’État en garantie à la banque prêteuse qui est de ce fait quasiment dispensée de toute exigence en fonds propres même si cette garantie ne couvre que quelques jours de risques. Ceci permet à la banque de prêter vingt ou cinquante fois le montant de la garantie et d’alimenter ainsi les effets de levier spéculatif ; la réglementation constitue donc ainsi un facteur d’apparition des bulles spéculatives ; les pondérations sur les activités de marché ont été récemment alourdies mais de façon marginale et la structure des incitations reste la même ;
  • enfin, la réglementation sur la solvabilité incite les banques à transférer les risques hors du secteur bancaire par des titrisations ; la diffusion des risques à l’ensemble de l’économie est d’ailleurs un objectif affiché des régulateurs bancaires mais cette diffusion est la source de l’amplification des risques systémiques et des risques de contagion ; ce faisant, la réglementation mésestime considérablement les risques extrêmes qu’elle accentue elle même ; en outre, elle renforce le poids du système bancaire parallèle (shadow banking system) qui est très peu réglementé ; les banques centrales répondent à cette critique en demandant la réglementation du système bancaire parallèle mais sans grand écho pour le moment.– Les nouvelles règles de liquidité : un modèle d’intermédiation de marché

    Un certain nombre de défaillances bancaires de 2008 ne sont pas dues à des déficiences de solvabilité (les ratios de solvabilité de Lehman Brothers ou de Dexia étaient très bons) mais à des déficiences de liquidités, les banques ne pouvant faire face à leurs obligations de trésorerie bien que le niveau de leurs fonds propres ait été très satisfaisant. Le comité de Bâle propose d’y répondre en instaurant des ratios de liquidités extrêmement sévères puisqu’ils supposent que face à une crise systémique, les banques centrales n’interviennent pas et que les gérants de fonds coupent tous l’intégralité de leur financement alors que les banques continueraient à octroyer des crédits. Les impasses de liquidité doivent être couvertes par un portefeuille de titres financiers de bonne qualité, les signatures souveraines étant assez largement éligibles.

    Ces ratios reflètent bien la structure de financement de l’économie britannique où les crédits sont largement titrisés et réputés liquides mais les banques françaises ou américaines où l’épargne est très largement investie dans des fonds non bancaires, ne sont pas du tout adaptées à cette approche. En France, les crédits restent au bilan des banques tandis que l’épargne est largement orientée vers l’assurance-vie ou les OPCVM dont les gérants sont supposés, dans les nouveaux ratios, couper leur ligne de financement des banques alors que c’est elles-mêmes qui concourent le plus à la distribution commerciale de leurs produits.

    La philosophie de cette nouvelle régulation est que les banques doivent sécuriser les dépôts qu’elles reçoivent mais que pour le faire, elles doivent investir ces dépôts sur des actifs financiers. En clair, leur mission serait de recevoir les dépôts de l’économie réelle et l’orienter vers les marchés financiers.

    Pour satisfaire les nouvelles normes, les banques ont donc le choix entre réduire l’octroi de crédits, amplifier la titrisation en dépit des réticences des investisseurs continentaux ou ne plus distribuer d’assurance-vie, d’OPCVM ou d’épargne réglementée centralisée à la CDC, ce qui pose la question du traitement fiscal privilégié de ces produits. L’alternative serait de constituer des portefeuilles de titres d’État bien au-delà des niveaux actuels mais les banques se retrouveraient plus encore exposées aux risques souverains et seraient confrontées à la question du financement de ces portefeuilles. Les nouvelles normes de liquidité accentuent ainsi la dépendance des banques à l’égard des financements des marchés financiers. A nouveau, se pose la question de la pertinence de la démarche même des régulateurs. Est-il possible de répondre à une crise systémique en se reposant uniquement sur les règles de gestion d’acteurs privés, en faisant l’impasse sur les politiques publiques ? Les normes proposées surestiment manifestement la liquidité des titres d’État alors les règles de solvabilité sous-estiment leur risque : n‘est-ce pas un facteur d’amplification des risques systémiques ?

    – le principe d’une régulation internationale et européenne

    Les mouvements de capitaux étant globalisés, il apparaît d’évidence que la régulation doit l’être tout autant. Les deux objectifs légitimes d’une globalisation de la régulation sont à la fois d’éviter des arbitrages réglementaires, les intermédiaires financiers pouvant localiser leurs opérations chez le moins disant réglementaire, et de préserver l’équité concurrentielle entre les banques et entre les systèmes bancaires nationaux.

    Mais le niveau international est aussi le niveau de régulation le plus faible. Le jeu des négociations rend les régulateurs très vulnérables aux pressions des lobbies, ne serait-ce qu’en raison de la technicité de la matière et l’importance des intérêts en jeu. Le souci d’arriver à des accords alors que les situations nationales sont fatalement très diverses, amènent aussi les régulateurs au plus petit dénominateur commun. Les grands groupes bancaires sont attachés à la dimension internationale de la régulation par souci d’optimisation des coûts réglementaires mais aussi parce que c’est le process qui aboutit systématiquement aux solutions qui leur laissent le plus de marge de manœuvre.

    Les modèles de financement des économies sont très différents d’un pays à l’autre, 70 % étant assuré par l’intermédiation bancaire en Europe continentale alors que c’est l’intermédiation de marché qui assure cette part dans les pays anglo-saxons. Il est donc très incertain qu’une même régulation soit efficace à la fois sur la stabilité financière et sur l’équité concurrentielle. Des régulations s’appliquant à toutes les opérations dans le pays d’activité (par opposition au pays d’origine) seraient a priori plus efficaces en matière de stabilité financière mais elles seraient aussi plus coûteuses pour les intermédiaires financiers et donneraient par nature un avantage aux intermédiaires domestiques. Le choix est de nature politique : veut-on privilégier l’ouverture financière au risque de l’instabilité financière ?

    Enfin, la grande limite de la régulation internationale réside dans la « flexibilité » de son application effective. Les États-Unis qui ont inspiré les règles comptables des IFRS et les règles prudentielles de Bâle II ne les appliquent pas. L’Europe qui est elle-même traversée par une hétérogénéité de cultures financières n’a pas de corps de règles en propre et applique scrupuleusement les normes internationales qui n’ont guère d’échos ailleurs. L’Europe n’est-elle pas le dindon de la farce de la régulation internationale ? Par souci d’ouverture, l’Europe n’offre-t-elle pas son marché aux quatre vents ?

    – l’articulation avec la politique monétaire

    La mise en cause de la responsabilité des banques dans la crise renvoie aux explications comportementales de la succession des crises financières qui secouent la mondialisation depuis vingt-cinq ans. Chaque crise serait liée à un comportement déviant des gouvernements, des courtiers de crédits (cf. subprimes), des banques, des comptables (cf. affaire Enron et la bulle internet)… Si lors de chaque crise apparaît un maillon faible, son élimination ne saurait suffire à éviter la prochaine crise si la tension continue de croître sur la chaîne des circuits financiers. Cette tension naît de l’endettement global qui n’est plus maîtrisé depuis une douzaine d’années (abrogation du Glass Steagall Act). C’est l’explication systémique de la crise par opposition à l’explication comportementale.

    La déstabilisation du système financier est alimentée par la canalisation des ressources monétaires vers les marchés financiers dès lors que les banques centrales s’autocensurent en considérant que seule l’inflation des biens et services est dans leur champ de compétence et qu’elles peuvent négliger avec dédain l’inflation des actifs patrimoniaux. Les incitations prudentielles à orienter les crédits vers les agents financiers ou vers les titres financiers ferment la boucle du dérapage de la globalisation financière. A tel point que l’heure est maintenant à la réduction urgente des effets de levier (deleveraging), aux désendettements, à la réduction des bilans bancaires.

    Pour assainir les circuits financiers, il faudrait que ce désendettement soit focalisé sur les actifs patrimoniaux. Il faudrait, au contraire de la démarche du comité de Bâle, privilégier l’approche systémique des risques en inversant la hiérarchie de leur pondération et pas seulement en augmentant le niveau du ratio de solvabilité. Michel Aglietta proposait ainsi d’introduire les pondérations discrétionnaires sur les actifs bancaires.

    Dans un rapport récent du Conseil d’Analyse Economique, Dominique Plihon propose d’utiliser les réserves obligatoires sur les actifs bancaires, tombées en désuétude depuis l’introduction de l’euro, pour différencier les différentes catégories de contreparties, entreprises ou agents financiers notamment. En tout état de cause, repenser la politique monétaire semble un corollaire nécessaire à la réforme des systèmes bancaires. Comme peut-être sur l’euro, on a une urgence mais une impréparation du débat public à ces questions.

    Voilà les questions qui se posent sur l’avenir des systèmes bancaires. Je laisse maintenant la parole à Olivier Pastré qui nous donnera avec brio ses éclair

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    Le cahier imprimé du colloque « La réforme des banques » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation

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