Alimentation, environnement, organisation des marchés : les objectifs d’une politique agricole
Intervention de Régis Hochart, Représentant de la Confédération paysanne au Conseil économique, social et environnemental (CESE), au colloque « La dimension stratégique de l’agriculture » du lundi 7 novembre 2011
Paysan éleveur dans le Tarn-et-Garonne (Midi-Pyrénées), j’ai la chance d’être membre du Conseil économique, social et environnemental, mandaté par la Confédération Paysanne, où j’ai rapporté l’avis que le CESE a rendu sur la Politique Agricole Commune. Bien qu’il apporte un point de vue un peu différent de ce qui est souvent dit de l’agriculture, cet avis a été voté à une très large majorité par les représentants des forces sociales et associatives de la France que regroupe le CESE.
Je vais essayer de vous en livrer quelques éléments.
Aujourd’hui, l’agriculture devrait être avant tout l’objet d’une politique alimentaire. Or ce souci est largement absent de la Politique Agricole Commune.
La volatilité des prix met en péril l’accès à l’alimentation de trois milliards de personnes. En effet, les moins riches de notre planète se nourrissent avec les éléments de base que sont le riz, le blé dur (pour les pâtes), le maïs (pour la polenta) ou le blé tendre (pour le pain). Quand les prix de ces produits doublent, ceux qui consacrent déjà 70% de leur budget à se nourrir n’ont même plus accès à l’alimentation. Le problème de la volatilité des prix va donc bien au-delà de l’incertitude que nous, paysans ressentons. Car nous ne savons pas d’une année sur l’autre ce que nous allons gagner et nous ne pouvons pas dire à ceux qui vont nous succéder de quoi sera fait leur devenir et, le cas échéant, leur revenu. C’est dramatique. La question de la volatilité des prix agricoles et alimentaires est devenue aujourd’hui, selon le CESE une des plaies principales auxquelles nous sommes exposés.
Vous avez évoqué les priorités environnementales. Or notre agriculture s’est fondée depuis les années 1950 sur trois piliers afin de répondre, notamment, à la demande alimentaire de ce qui était à l’époque la Communauté européenne.
Le premier de ces trois piliers est le recours aux ressources fossiles (pétrole ou engrais de synthèse) qui deviennent plus rares et plus chères et posent le problème des émissions de gaz à effet de serre.
L’agriculture s’est appuyée depuis cinquante ans sur un recours généralisé aux produits phytosanitaires (couramment appelés pesticides). Ces produits présentent deux inconvénients majeurs : ce sont des molécules stables que le vivant contourne. Il faut donc constamment trouver de nouvelles molécules. C’est une guerre que nous ne pourrons jamais gagner. Mieux vaut donc les utiliser avec parcimonie. De plus nous n’avons aucune idée des effets de ces molécules, à terme, sur la santé humaine. C’est un vrai problème.
Le troisième pilier sur lequel s’est appuyée l’agriculture a été la mécanisation. Je ne vais pas m’en plaindre : l’éleveur que je suis préfère sortir le fumier avec une fourche à l’avant du tracteur qu’à la force des bras. Mais on doit s’interroger aussi sur le sens et les conséquences de cette mécanisation, responsable de la disparition progressive de l’emploi agricole. La France a perdu un million d’agriculteurs par décennie. Aujourd’hui, il n’en reste que 500 000 … nous ne risquons donc plus de perdre un nouveau million de paysans !!! La destruction de l’emploi agricole était supportable dans les années 50 et 60, quand l’offre d’emplois d’autres secteurs la compensait. Aujourd’hui c’est devenu un non-sens. Pourtant l’organisation globale de la Politique Agricole Commune et la fiscalité française mènent à la destruction des derniers emplois agricoles.
Face à ces constats, le CESE préconise de faire évoluer le système de production vers l’agroécologie telle qu’elle a été définie par Olivier de Schutter, Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation (1) : une activité agricole qui s’inspire des processus biologiques et intègre l’élevage et la culture sur un même territoire. Le CESE a aussi beaucoup insisté sur l’absolue nécessité de réguler les marchés, de maîtriser nos productions, donc de nous doter des outils adéquats. Or la Politique Agricole Commune a délibérément tourné le dos à tout instrument de régulation et nous a livrés, producteurs et consommateurs, à un marché dont les conséquences sont devenues catastrophiques.
Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’une politique agricole qui, comme la PAC, n’agit qu’au travers de soutiens financiers. Nous devons aller vers une politique agricole qui organise les marchés, permette à tous l’accès à l’alimentation et assure aux agriculteurs la capacité à produire.
À cette fin, il nous faut avant tout une capacité à stocker pour l’aide alimentaire. Mais nous avons besoin aussi d’un stockage stratégique qui permette d’amortir les effets des fluctuations des prix. Nous avons besoin d’un stockage qui soit décidé par des pouvoirs publics parce que le seul marché ne pourra pas régler ces questions-là.
Il nous faut donc maintenir et renforcer les outils d’intervention de la Politique Agricole Commune mais aussi créer du stock, en tout cas pour les céréales et les produits végétaux. Autrefois les excédents générés par la PAC alimentaient des stocks. Les États-Unis disposaient aussi de stocks. L’ensemble de ces stocks tendait à limiter la volatilité des prix. Aujourd’hui ces stocks ont pratiquement disparu. 80% de la baisse de ceux-ci est due à la disparition des stocks européens et américains. Nous devons donc nous interroger sur l’utilité, voire la nécessité qu’il y aurait à remettre en place des stocks.
À propos de la volatilité et du niveau des prix, une question s’impose : que viennent faire les opérateurs financiers dans les marchés à terme, sur la Bourse de Chicago et autres bourses de commerce ? 2007 a vu une flambée des prix. Cette année-là, on a vu vingt-trois opérateurs sur chaque tonne de céréales (contre sept d’habitude) ! Gagner de l’argent est évidemment la raison d’être des opérateurs. Mais quand vingt-trois opérateurs interviennent sur une matière première agricole, une part considérable de l’argent de la filière est captée par ces acteurs financiers, lésant ainsi le producteur comme le consommateur, où qu’ils se trouvent dans le monde. Nous ne pouvons continuer à avoir des marchés à terme ouverts à n’importe quel opérateur.
Le CESE s’est intéressé à la question des agrocarburants. Là encore, une décision collective doit fixer leur niveau de production. Les mécanismes du marché tirent inévitablement les prix de l’énergie à un niveau nettement supérieur au niveau acceptable des prix de l’alimentation. Donc le marché ne réglera pas cette question. Nous devons nous obliger à fixer collectivement, Union européenne en tête, la place accordée aux agrocarburants. Il ne s’agit pas nécessairement de les faire disparaître mais ils ne peuvent pas se maintenir au niveau de production actuel (aux États-Unis, près de 45% du maïs est transformé en éthanol) qui fait monter les prix et risque de provoquer, dans un délai relativement court, des déficits alimentaires importants et des problèmes d’accès à l’alimentation pour des centaines de millions de personnes.
Nous avons aujourd’hui une politique agricole très ouverte sur les marchés. Elle a abandonné, laissé tomber toutes ses protections aux limites de l’Union européenne qui n’a su harmoniser ni les aspects sociaux ni les aspects environnementaux. Nous nous faisons concurrence à l’intérieur de l’UE et nous faisons concurrence aux paysans du reste du monde, sans aucun bénéfice pour les consommateurs. Cette politique agricole n’est pas une politique alimentaire, il faut qu’elle le devienne. Elle n’est pas non plus une politique de régulation des prix, elle adapte les situations aux évolutions du marché. On peut dire qu’il y a une véritable erreur dans la conception même de la PAC.
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(1) Le mardi 8 mars, 2011, Olivier de Schutter, Rapporteur spécial a présenté son rapport « Agroecologie et droit à l’alimentation » devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Fondé sur l’examen approfondi des plus récentes recherches scientifiques, ce rapport démontre que l’agroécologie peut doubler la production alimentaire de régions entières en 10 ans tout en réduisant la pauvreté rurale et en apportant des solutions au changement climatique. Le rapport appelle donc les États à entamer un virage fondamental en faveur de l’agroécologie comme moyen de répondre aux défis alimentaires, climatiques et de pauvreté dans le monde. (http://www.srfood.org/images/stories/pdf/officialreports/20110308_a-hrc-16-49_agroecology_fr.pdf)
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