Quelle évolution pour le système monétaire international?

Intervention de Christian de Boissieu, président du Conseil d’Analyse Économique, au colloque « Quelles solutions pour le système monétaire international? » du 14 novembre 2011

Merci.

Je suis ravi de me trouver parmi vous d’autant plus que je me sens en terrain de connaissance voire de complicité intellectuelle sur beaucoup de points.

Dans le temps qui m’est imparti, j’exprimerai différemment certains points et tenterai d’en aborder d’autres (tâche difficile !). Si vous aviez voulu entendre mes collègues auteurs de l’excellent rapport du Conseil d’analyse économique vous auriez pu le faire. Je ne résumerai donc pas ce rapport, même si j’assume la responsabilité des travaux du CAE. Vous aurez compris que je n’engage que moi-même dans ce que je vais dire.

J’aborderai trois points :
1° Mon interprétation de la situation actuelle.
2° La dynamique du système (ou du non système) monétaire international
3° Les conséquences de ce qui se prépare et les conditions pour essayer d’en limiter les inconvénients.

Où en sommes-nous ?

Depuis quarante ans j’entends débattre de la question : sommes-nous dans un non système ou dans un système ? C’est un problème de définition.

Dire que depuis le début des années 70 (voire depuis 1944, bifurcation évoquée par Paul Jorion) on est dans l’histoire d’un non système, c’est clairement dénoncer le manque de mécanismes de régulation. Le manque de régulation et l’excès d’instabilité, de volatilité (pas uniquement des taux de change), auxquels on peut ajouter l’absence de mécanismes de discipline et de sanctions, caractérisent la situation actuelle.
Depuis quarante ans au moins (c’était vrai sous Bretton Woods), on ne sait pas bien sur quels critères il faut répartir la charge de l’ajustement entre les pays excédentaires et les pays déficitaires. C’est un problème extrêmement classique de l’économie internationale. On a souvent eu tendance à introduire un raisonnement asymétrique selon lequel il revenait plutôt aux pays déficitaires de s’ajuster (je pense à la dévaluation de la livre sterling sous Bretton Woods le 9 novembre 1967). Aujourd’hui le curseur s’est déplacé. Le communiqué du G20 de Cannes ne nomme pas la Chine, on ne lui demande pas de réévaluer, mais on parle de flexibilité des taux de change, ce qui est un peu la même chose. Évidemment, on pense plutôt aux pays excédentaires mais il ne faudrait pas exonérer un pays déficitaire comme les États-Unis de ses responsabilités mondiales.

Il est normal que dans le monde coexistent des pays excédentaires et des pays déficitaires, comme dans toute économie, en interne, il y a des agents excédentaires et des agents déficitaires. Une situation dans laquelle chaque pays serait à l’équilibre de sa balance des paiements serait clairement sous-optimale. Les différences de développement expliquent les déficits et les excédents, même si la configuration actuelle des excédents et des déficits ne rend pas bien compte du niveau de développement. Le débat porte sur la question des seuils à partir desquels se pose la question de la soutenabilité ou de la non soutenabilité dans le contexte d’un manque de mécanismes de régulation (je ne parle pas d’autorégulation mais de mécanismes de régulation) et de désaccord entre les pays sur ces mécanismes de régulation.

Dans ce contexte-là, qui fait plutôt non système que système, rejoignant ce qui a été dit, je crois que nous vivons depuis quelques années – et cela va durer encore un certain temps – dans une situation où le dollar est contesté sans être remplacé. Cette situation est à mon avis à l’origine d’une grande partie de l’instabilité financière internationale.

Le dollar est contesté.
C’est en mars 2009 que, pour la première fois, le gouverneur de la Banque centrale de Chine a exprimé le souhait de travailler avec une autre monnaie internationale que le dollar. Publiquement la Chine a exprimé une demande de diversification, demande qui, au-delà de la finance, touche la géopolitique. Cette affirmation de vouloir dépendre un peu moins de la relation bilatérale très compliquée entre les États-Unis et la Chine, dont les dimensions sont monétaire, commerciale (OMC), géopolitique, a été répétée à l’envi par les Chinois depuis mars 2009.

J’insiste sur un point qui n’a pas été évoqué jusqu’à présent : les réserves de change de la Chine équivalent à 3200 milliards de dollars dont 70% en dollars. Si les Chinois attaquent trop vigoureusement le dollar, ils mettent en péril 70% de leurs réserves de change. Sur le plan géopolitique, les Chinois demandent à travailler avec une autre devise que le dollar (l’euro, le DTS etc.). Mais en tant qu’investisseur, la Chine ménage ses intérêts.

Ce débat sur l’ambiguïté définitionnelle de la position chinoise à l’égard du dollar me paraît éclairer la situation actuelle.

D’une certaine façon, quand, pendant la présidence française du G20, la France a ajouté sur l’agenda du G20 la réforme du système monétaire international, rouvrant les débats sur les Droits de tirage spéciaux (DTS), on a eu le sentiment d’une convergence – dois-je dire d’une alliance objective ? – entre la Chine et la France sur ces questions. Elle ne s’est pas vraiment concrétisée au sommet de Cannes qui, englué dans les problèmes européens, a mis en sourdine les autres sujets. Mais cette convergence n’a pas été suffisamment relevée

Le dollar est contesté sans être remplacé.
Les transitions monétaires au plan mondial relèvent du temps long, de ce que Schumpeter appelait « la dynamique grandiose ». Il a fallu à peu près quinze ans pour que le dollar remplace vraiment la livre sterling sur la scène internationale. Le temps des transitions monétaires est un temps long en raison des habitudes installées : j’utilise le dollar parce que je sais que vous l’utilisez. Je me réfère aux travaux de nos collègues Michel Aglietta et André Orléan (1) sur la dimension réflexive du comportement, la dimension sociale de la monnaie : j’utilise cette monnaie parce que je sais qu’elle sera acceptée. Cet aspect « contrat social » au plan mondial de la monnaie crée des phénomènes d’inertie. Si la France a mis la question de la réforme du système monétaire international parmi d’autres à l’agenda du G20 lors de l’exercice qui vient de se terminer, ce n’était pas pour provoquer des changements mais, sans doute, pour qu’autour de la table du G20 on accepte d’ouvrir un débat sur le sujet. Je n’ai pas le sentiment que ce débat ait été vraiment ouvert pendant l’année de la présidence française du G20. C’est sans doute dû aux interférences avec d’autres sujets. Je le regrette. Les « juges de paix » que sont les parts de marché des différentes devises, selon les statistiques du FMI et de la Banque des règlements internationaux, montrent que le dollar représente encore 62% des réserves de change des banques centrales dans le monde, en dehors de l’or (contre 70% il y a vingt ans). C’est dire la lenteur avec laquelle on mord sur les parts de marché du dollar. Nous sommes dans le temps long.

Malgré deux ans de crise grave dans la zone euro, l’euro représente 27% des réserves de change des banques centrales dans le monde. 62% + 27% = 89% … il reste des miettes pour les autres. À l’aune de ce critère, ce n’est pas le yen qui arrive en troisième position mais la livre sterling (un peu plus de 4% des réserves de change des banques centrales dans le monde). Le yen arrive en quatrième avec 3% des réserves de change des banques centrales dans le monde. Aujourd’hui, le monde n’est certainement plus la « triade » dont on parlait il y a vingt ans (dollar, deutsche mark, yen), mais un duopole monétaire dollar-euro asymétrique (car le dollar conserve encore beaucoup d’avance dans son rôle international). Le yen est tombé en deuxième division. À mon avis, c’est irréversible. Il est beaucoup plus difficile de remonter en première division dans la compétition monétaire qu’au football où un club de deuxième division qui est dans les premiers a un espoir de remonter en première. J’ai la certitude que le rôle international du yen est derrière lui et que, comme cela a été dit ce soir, la vraie question est celle du yuan.
J’aurais d’autres critères :
La facturation du commerce mondial : 40% à 45% pour le dollar, 15% à 20% pour l’euro. Les miettes pour les autres
Le marché des changes : le dollar a encore beaucoup d’avance.

Il y a un point dont on ne parle jamais sur lequel, dès 1999, l’euro a fait une percée, c’est le marché obligataire international, Londres et Luxembourg en particulier. Je constate que, depuis 1999, selon les chiffres de la Banque des règlements internationaux, en termes de parts de marché, l’euro et le dollar font pratiquement jeu égal (40% à 45% pour chacun) sur le marché obligataire international. Encore des miettes pour les autres.

Où allons-nous ?

Dans nos débats, se mêlent inévitablement le positif et le normatif. Nous voyons une évolution se dessiner spontanément et nous nous interrogeons sur les moyens d’éviter les conséquences dangereuses qu’elle pourrait entraîner.
Par la question « Où allons-nous ? », j’entends évoquer un certain nombre d’axes, de tendances que je vois se dessiner dont certaines me paraissent clairement défavorables et devront être contrées.

Sur l’évolution des régimes de change pour les prochaines années, des points de bifurcation importants ont été ratés. Je crois, je ne m’en réjouis pas, que nous allons continuer à vivre longtemps encore avec un régime de changes flottants au plan mondial. Les changes flottants ont beaucoup d’inconvénients pour le commerce international, pour les entreprises, en raison de l’incertitude, du brouillard qu’ils créent. Ils provoquent des comportements de couverture du risque de change qui ne sont évidemment pas gratuits. Je ne me satisfais pas du monde dans lequel nous vivons. Mais les conditions ne seront pas remplies avant un certain temps pour qu’on revienne à des changes moins volatils.
J’ai en tête l’expérience des accords du Louvre (1987) dont on n’a pas encore parlé. En février 1987 (le ministère des Finances était encore au Louvre), se réunissent les ministres des Finances et gouverneurs de banques centrales des pays du G7. Ils examinent les moyens de réduire la volatilité des taux de change pour favoriser le commerce et la croissance. En février 1987, on affiche des « zones cibles » (Target zones) pour les taux de change entre le dollar, le mark (monnaie de référence de l’Europe) et le yen. En tant qu’économiste, j’y suis favorable. Mais les conditions pour que cela fonctionne n’étaient pas remplies. Le dollar était déjà à la baisse (un an et demi après l’accord du Plazza de septembre 1985). Pour éviter que le dollar ne sorte de ces zones cibles des accords du Louvre, la Réserve fédérale américaine a dû tout de suite augmenter ses taux pour stabiliser le dollar. La montée des taux d’intérêt courts entraîna celle des taux d’intérêt à long terme aux États-Unis et ailleurs, engendrant, d’une certaine façon, le krach d’octobre 1987. Il y a un lien entre les accords du Louvre de février 1987 et le krach d’octobre 1987.

Comme le chat qui se déplace sous le tapis, la volatilité s’est déplacée en 1987 du marché des changes vers les marchés financiers car il y a des variables qui doivent s’ajuster dans le système. Les conditions n’étaient pas remplies pour que les « zones-cibles » marchent. On était déjà en période de parfaite mobilité des capitaux, la coordination internationale était trop faible …
Sur le papier il est séduisant d’essayer de réduire la volatilité des taux de change mais quelles seront les conséquences ? La volatilité ne va-t-elle pas se déplacer vers d’autres marchés ? Quel est le moindre mal ? On peut en discuter mais, au moins, osons ce débat qui n’est jamais ou rarement posé.

Je pressens que nous allons vivre encore longtemps avec des changes flottants au niveau mondial. Je pense qu’il y aura des zones de stabilité des changes. Je crois, malgré les difficultés actuelles, à la durabilité de l’euro.

Allons-nous vers un système multipolaire ? Quelles seront les conséquences ?
Je pense qu’on y va mais que cela prendra du temps. Ce n’est pas en quelques mois que tout peut changer.

Je ne crois pas trop à l’avenir du DTS tel que défini aujourd’hui comme un panier de monnaies. Je ne crois pas à la possibilité pour une monnaie définie comme un panier de monnaies de s’imposer comme une vraie monnaie. Avant l’euro, l’Europe avait l’Ecu, un panier de monnaies : dans un panier de monnaies, en cas de fluctuation, on gère le risque de change assez facilement sans passer par des instruments de couverture sophistiqués. Donc, une monnaie-panier peut être attractive pour un certain nombre d’opérations financières. Mais quand il s’agit d’acheter sa baguette de pain, sa voiture ou son réfrigérateur avec un panier de monnaies, ça devient plus compliqué parce qu’il faut constamment composer, décomposer, recomposer le panier. Ainsi, on est exposé à des coûts de transactions en cascade. Même si les coûts de transaction unitaires ont baissé avec les nouvelles technologies (Internet…), l’argument ne doit pas être négligé. Du point de vue de la fonction transactionnelle de la monnaie, je défendrai la thèse selon laquelle une monnaie définie comme un panier de monnaies sera toujours dominée pour cette fonction par l’une de ses composantes ou par toutes ses composantes. Certains d’entre vous m’ont entendu à la Conférence des ambassadeurs en 2010 quand l’idée de relancer le DTS avait été évoquée. J’avais déclaré ne pas y croire tant que le DTS serait défini comme un panier de monnaies. Alors, il est dit en un langage feutré dans le communiqué du G20 de Cannes, sans citer le yuan, « la composition du panier du DTS sera révisée en 2015 ou plus tôt au fur et à mesure que les devises respecteront les critères définis pour intégrer le panier. » Yuan ou pas, je ne crois pas à l’avenir du DTS. Par contre, le DTS pourrait servir de transition utile vers un système multipolaire.

Je pense que les questions posées par Paul Jorion et les autres intervenants : Bancor (2) ou pas ? Quel genre de monnaie ? sont au cœur du vrai débat.

Comment fonctionner dans le système multipolaire qui se dessine ?

Ce système ne sera jamais totalement équilibré. L’idée de tendre vers un monde des trois tiers entre le dollar, l’euro et le yuan ne tient pas. Ce serait un accident de l’histoire. On n’y resterait pas. L’histoire monétaire montre qu’une vive concurrence s’exerce entre les monnaies. Le système bimétallique or-argent n’a pas duré très longtemps car l’or l’a emporté sur l’argent. Dans des systèmes où coexistent plusieurs monnaies, on ne peut éviter une hiérarchie, une concurrence. C’est pourquoi un système multipolaire rééquilibré qui permettrait de remettre en cause les privilèges du dollar est, certes, nécessaire mais il sera une transition vers une autre domination. Celle du yuan chinois ? L’avenir le dira. Mais un état irénique dans lequel les privilèges de la monnaie de réserve seraient partagés entre des zones de manière à peu près équilibrée et égalitaire, ne peut durer qu’un temps parce que je crois fondamentalement au phénomène de hiérarchie entre instruments monétaires.

Selon Dominique Garabiol, les Américains seraient favorables à la démondialisation du dollar. Ce n’est pas tout à fait mon interprétation. Citant Jacques Rueff dénonçant il y a cinquante ans les privilèges du dollar : « le déficit sans larmes », j’oserai un parallèle entre ces propos de Jacques Rueff et la manière dont les Chinois dénoncent aujourd’hui les privilèges du dollar.

Avant 1999, les économistes américains que je rencontrais me disaient : « Vous ne ferez jamais l’euro ». Une fois qu’il a été là, ils prédisaient : « ça ne marchera pas… ». Si beaucoup d’entre eux avaient en tête des arguments totalement honnêtes, quelques-uns anticipaient déjà les conséquences géopolitiques pour les États-Unis d’un éventuel succès de l’euro et s’en inquiétaient presque.

Aujourd’hui, les États-Unis financent 95% de leur déficit dans leur devise… ce qui les met à l’abri de la contrainte extérieure que connaissent d’autres États. « Le dollar, notre monnaie, votre problème » disait John Connally en 1971, résumant bien cette asymétrie fondamentale et ses conséquences géopolitiques.

Des débats vont s’ouvrir et la guerre des monnaies est loin d’être terminée, même si on en parle un peu moins depuis quelques semaines. Les Américains feront tout pour essayer de défendre les privilèges du dollar et pour jouer le jeu d’un dollar sous-évalué. De même, comme le dit Jean-Michel Quatrepoint, les Chinois feront tout pour essayer de s’accrocher à un dollar qui risque de baisser dans les deux ou trois ans qui viennent compte tenu des déficits et de la dette des États-Unis. Nous allons vivre dans un monde où aucun pays, aucune zone, ne souhaitera voir sa monnaie s’apprécier. C’est la guerre des monnaies. Toutes les monnaies ne peuvent pas baisser en même temps, il y a au moins une devise qui doit monter.

C’est dans ce contexte que le débat sur la politique de change de la zone euro se rouvrira. J’observe qu’après deux ans de crise grave dans la zone euro, l’euro vaut encore autour de 1,30 dollar ! À quel niveau serait-il si la zone euro n’avait pas connu deux ans de crise de dettes souveraines ?

En bilatéral, on est spécialement intéressé par l’euro/dollar. Si l’euro reste surévalué par rapport au dollar, ce n’est pas parce que l’Europe va bien (l’Europe ne va pas bien) mais parce que nous sommes dans ce contexte d’un dollar contesté sans être remplacé. Il faut noter la grande fragilité du dollar face à de grands pays émergents (la Chine, le Brésil etc.) qui, disposant de réserves de change et d’excédents extérieurs, résistent aussi à l’appréciation de leurs devises.

Nous vivons une période de transition vers un système plus équilibré du point de vue géopolitique. Un système monétaire moins déséquilibré serait générateur de plus d’équité au plan international. Mais qui peut affirmer qu’il générerait de plus de stabilité ? Parmi les spécialistes de sciences politiques, certains défendent la thèse selon laquelle un système monétaire moins déséquilibré sera favorable à la stabilité du monde et pensent qu’il y aura moins d’instabilité financière internationale. Un autre courant défend la théorie de l’hegemon : la hiérarchie (la livre sterling des années 30, le dollar de l’après guerre, le yuan peut-être demain) est, selon ce courant, inhérente au problème monétaire et fonctionne comme un principe de régulation. Aucun modèle économique ne donne des réponses claires sur le lien entre les problèmes de symétrie ou d’asymétrie dans le système monétaire international et les problèmes de stabilité ou d’instabilité en dynamique. Si on estime que cette évolution résulte de la manière dont le monde va évoluer, le volontarisme doit s’exercer dans le contexte du système (ou du non système) monétaire international. Il doit s’exercer sur les problèmes de régulation bancaire et financière que vous évoquiez. Il doit s’exercer sur la question de savoir s’il faut ou non confier le rôle de régulateur bancaire et financier au Fonds monétaire international. A-t-on raison aujourd’hui de créer une sorte d’Organisation mondiale de la finance ? Je m’interroge… On a peut-être raison de transformer le Conseil de stabilité financière en OMF mais comment diviser le travail entre le FMI, l’OMF… ? Cela débouche sur des questions institutionnelles qu’il faudra traiter.

Merci de votre attention.

Paul Jorion
Je voudrais rappeler une citation de Jacques Rueff sur la prééminence du dollar. Pour exprimer le fait que les pays utilisent le dollar comme monnaie de réserve et qu’une fois qu’ils ont amassé des sommes en dollars, le meilleur moyen de les utiliser est la « stérilisation » (renvoyer ces dollars aux États-Unis en achetant de la dette américaine), il utilisait une image extrêmement amusante : « Si j’avais un accord avec mon tailleur que n’importe quelle somme d’argent que je lui paye, il me retourne le même jour comme prêt, dans ce cas je n’aurais aucune objection du tout à lui commander toujours plus de costumes. » (3).
C’est exactement la situation.

Sami Naïr
Je ne suis pas économiste et je me promène plus familièrement dans la Phénoménologie de l’Esprit que dans les couloirs du Fonds monétaire international. Vous m’apprenez tous beaucoup de choses ce soir. Mais je voudrais vous demander de préciser un point. Vous dites que « le dollar est contesté sans être remplacé ». Quelle monnaie selon vous pourrait le remplacer un jour ? L’euro ou le yuan ? Le yuan, ai-je cru comprendre, n’a pas votre préférence.

Christian de Boissieu
Je répète que je me borne à des prévisions sans chercher à imposer mes préférences.
Le dollar est contesté verbalement, politiquement, géopolitiquement. Il est fondamentalement fragile en raison du déficit américain, de la dette des États-Unis et de la volonté du principal créancier des États-Unis, la Chine, de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier et de moins dépendre du dollar. C’est ce que je veux dire par « contesté sans être remplacé ». En termes de parts de marché, le dollar fait encore la course en tête. L’euro est le Poulidor monétaire et le dollar a encore, au regard de certains des critères que j’ai évoqués, pas mal d’avance quand on regarde la composition des réserves de change des banques centrales.

Mon hypothèse – que chacun peut contester ou adopter – est que, malgré les grandes difficultés actuelles, l’euro va survivre à la crise. Et je pense, comme Jean-Michel Quatrepoint, que le yuan ne va faire que se développer. Mon incertitude porte sur le temps qu’il faudra pour que le yuan devienne pleinement convertible. Cette question fait débat chez les économistes. J’aurais tendance à dire qu’il faudra cinq à dix ans à partir de maintenant parce que deux conditions doivent être remplies pour que le yuan devienne pleinement convertible : une réforme en profondeur du système bancaire chinois et un développement de la place financière de Shanghai. En effet, quand on s’ouvre, on s’expose. Cela ne peut se faire en six mois.

Je pense que nous allons vers une triade monétaire dollar/euro/yuan, pour une phase de l’histoire qui durera quelques années ou quelques décennies. Mais je n’ai jamais cru à la vision équilibrée du système monétaire international selon laquelle chacune des trois zones concernées aurait 33% des parts de marché.

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(1) La violence de la monnaie (1982), André Orléan et Michel Aglietta (PUF, 1984)
La monnaie souveraine, André Orléan et Michel Aglietta, (Odile Jacob, 1998)
La monnaie entre violence et confiance, André Orléan et Michel Aglietta, (Odile Jacob, 2002)
(2) Schumacher avait proposé au moment de Bretton Woods la création d’une Union internationale de compensation et d’une monnaie supranationale, le bancor, à laquelle les monnaies auraient été rattachées.
(3) Dans [Rueff & Hirsch, 1965]

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Le cahier imprimé du colloque « Quelles solutions pour le système monétaire international? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation

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