Le nouveau SMI défié par la globalisation financière
Intervention de Dominique Garabiol, administrateur et membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, au colloque « Quelles solutions pour le système monétaire international? » du 14 novembre 2011
Je vais essayer de décliner vos thèmes sous un angle peut-être un peu plus factuel et technique pour vous donner un éclairage des derniers événements. Le dernier colloque de la Fondation Res Publica consacré au système monétaire international (SMI), il y a deux ans – le 17 octobre 2009 – avait mis en lumière l’intérêt et la cohérence d’un projet de réforme reflétant le monde multipolaire qui émerge maintenant rapidement. Trois zones monétaires régionales reposant sur le dollar, l’euro et le yuan et un dispositif faîtier reposant sur les DTS pour assurer l’équilibre entre ces trois zones qui semblait avoir des chances de s’imposer progressivement. Il y a un relatif consensus, au moins en France, sur le caractère souhaitable de cette évolution. Ainsi, un rapport du Conseil d’Analyse Economique (CAE), publié il y a deux mois, propose une analyse des forces et des faiblesses d’un tel système qui paraîtrait en adéquation avec l’équilibre tripolaire (Amérique du Nord, Europe, Asie) de l’économie mondiale et serait un moyen de résorption des déséquilibres réels et financiers qui ont alimenté les bulles et les crises qui se succèdent encore.
Mais si cette esquisse du système monétaire international du XXIème siècle est consensuelle, la nature de son mode de fonctionnement est encore largement indéterminée. Où en sont aujourd’hui les trois zones dans leur évolution monétaire et financière ? Et quelles sont aujourd’hui les perspectives d’organisation du système global et de sa gouvernance à travers celle du FMI ? En clair, qui aura le pouvoir dans ce nouveau SMI ? Quel rôle joueront les marchés financiers ? Qu’adviendra-t-il du pouvoir exorbitant d’émission des États-Unis ? Comment seront régulées les liquidités internationales ?
La crise a changé la donne. Le désendettement global nécessaire à la sortie de la crise implique-t-il une « démondialisation financière » douce, c’est-à-dire obtenue par une réduction concertée des déséquilibres mondiaux réels, ou une démondialisation conflictuelle, c’est-à-dire découlant de politiques unilatérales à l’image de la dévaluation de 40% du Sterling à laquelle a procédé le gouvernement britannique depuis 2008 ? Y a-t-il seulement une alternative à une démondialisation, quelle que soit sa forme ?
Les trois zones monétaires mondiales n’évoluent malheureusement pas d’une façon homogène. La zone euro et les États-Unis sont soumis à des tensions extrêmes tandis que la Chine ne paraît bouger que très lentement, mais dans le bon sens.
1. La zone euro
Le Président de la République avait mis la réforme du SMI au programme du G20 que la France présidait cette année. Le sujet est passé au second plan au sommet de Cannes, éclipsé par la crise de l’euro. Il est vrai que si l’euro vacille, le système tripolaire perd un point d’équilibre. Le rapport du CAE relève que la cohésion politique est un des éléments déterminants de l’affirmation du rôle international d’une devise. En Europe, elle fait cruellement défaut.
Le rapport du CAE avance aussi comme facteur déterminant de la cohésion d’une zone monétaire, l’existence d’un large marché obligataire réputé sans risque. En Europe, il n’existe pas, les eurobonds ne sont encore qu’une chimère et, à en juger par les conditions récentes de refinancement du fonds européen de stabilité financière, il n’est pas de tout acquis qu’ils soient jamais considérés « sans risque ».
Dans ces conditions, l’euro peut-il seulement conserver sa place, estimée à 27%, dans les réserves de change mondiales ?
Il y aurait beaucoup d’intérêt à sauvegarder et à développer le rôle international de l’euro. A l’échelle mondiale, seul l’euro peut éviter le face à face yuan-dollar dont ni la Chine, ni les États-Unis ne semblent vouloir. Pour les Européens, ce serait un facteur de stabilisation des échanges commerciaux et financiers avec le reste du monde.
Les problèmes de la zone euro sont liés aux divergences économiques structurelles entre pays, consubstantielles à une monnaie unique qui accélère une intégration économique. L’intégration amène une spécialisation des différentes régions, c’est-à-dire à leur divergence structurelle et non à leur convergence spontanée. Les exemples du Mezzogiorno italien et les Länder orientaux allemands nous le rappellent. Et le renforcement de la convergence des politiques économiques, qui découle des projets actuels relatifs à la discipline budgétaire, appliqué à des structures économiques qui divergent de plus en plus ne peut que conduire à des résultats catastrophiques. Il faudrait, au contraire, des politiques différenciées pour faire converger les structures économiques. La crise de l’euro a donc des racines internes très profondes mais il n’y a pas de crise de confiance externe envers l’euro.
Comment résoudre cette ambivalence ? Comment concilier la sauvegarde du statut international de l’euro et la réintroduction nécessaire de flexibilité au sein de la zone ? Le plan B défendu par Jean-Pierre Chevènement consistant à l’introduction de monnaies domestiques inconvertibles, comme des subdivisions de l’euro ajustables en fonction du solde des balances courantes, ne serait-il pas la voie de la sagesse ?
2. Les États-Unis
Le dollar reste dominant malgré les déséquilibres monétaires et financiers persistants des États-Unis, la zone dollar représentant encore 60 % du PIB mondial. A travers sa politique de « quantitative easing », la FED inonde les marchés de liquidités et s’institue en « acheteur en dernier ressort », fonction que nous aimerions voir reprise par la BCE s’agissant des dettes publiques pour casser la spéculation contre les États périphériques.
Le cadrage de la politique monétaire américaine paraît toutefois encore très incertain : si le désendettement des ménages est déjà significatif (de 170 à 150% du revenu disponible brut en trois ans de crise), ce mouvement s’annonce très long avant que le taux d’endettement atteigne des niveaux pouvant soutenir des taux d’intérêt « normalisés ». Et les États-Unis ne risquent-ils pas de tomber dans la trappe de liquidité et d’y entraîner l’économie mondiale ? Déjà, l’afflux de liquidité soutient plus le prix des actifs de placement que l’activité économique et le solde commercial américain recommence à se dégrader.
Les Autorités américaines paraissent aussi soucieuses des fuites de liquidités monétaires des États-Unis vers l’économie mondiale, autre forme d’expression du dilemme de Triffin qui avait énoncé au début des années 60 les limites de l’utilisation d’une monnaie nationale comme monnaie internationale. Cette fuite serait une explication de la faible efficacité apparente du « quantitative easing ». Les changements de réglementation sur les investissements des fonds monétaires s’expliqueraient par cette préoccupation de « redomestiquer » – démondialiser ? – les liquidités monétaires en dollar. Les banques françaises, qui étaient des vecteurs importants de ces fuites, ont été plus touchées que les autres par cette inflexion politique, ce qui pourrait expliquer les attaques répétées dont elles ont été victimes depuis quelques mois.
3. La Chine
Après une pause, la Chine laisse à nouveau le yuan s’apprécier très progressivement : + 7% depuis l’été 2010. La Chine poursuit aussi son mouvement d’internationalisation progressive du yuan par des émissions obligataires off shore et des financements en yuan de contrats internationaux, en particulier avec l’Amérique latine et l’Afrique en attendant demain peut-être l’Europe…
Un début d’organisation monétaire a vu le jour à travers « l’initiative de Chiang Mai » de décembre 2009. Treize pays asiatiques, dont la Chine et la Japon, ont conclu un accord de swaps pour un montant de 120 milliards de dollars destiné à apporter un soutien en cas de manque de liquidité à court terme d’un des pays parties à l’accord.
Deux questions fondamentales viennent perturber cette perspective d’internationalisation du yuan : est-il possible d’alimenter les circuits monétaires internationaux en l’absence de déficit de la balance des paiements courants ? Est-ce que la Chine ira jusqu’à la convertibilité complète du yuan où celle-là restera-t-elle limitée aux non-résidents ?
Le rapport du CAE présume qu’un déficit de la balance des paiements n’est pas une condition nécessaire à l’internationalisation d’une devise, le compte financier pouvant s’y substituer. Mais un tel mécanisme n’entraînerait-il pas une accumulation encore plus importante de réserves de change par la Chine et partant une amplification du financement des États-Unis et de la zone Euro par les capitaux chinois ?
Le rapport du CAE postule aussi qu’une convertibilité complète est nécessaire à la profondeur du marché d’une devise internationale. Mais la crise actuelle amène à douter de la pertinence du concept de liquidité quasiment infinie des marchés et leur efficience. Dans ce contexte, le schéma d’une convertibilité du yuan limitée aux non-résidents ne semble pas, à ce stade, éliminé mais serait-ce réellement gênant ?
4. Le FMI
L’organisation globale du SMI repose institutionnellement sur le FMI et opérationnellement sur un régime de change complexe, alliant change flottant et ancrage sur des devises directrices.
Le colloque de Res Publica de 2009 avait permis de discuter de la gouvernance et des moyens du FMI. Une réforme a été faite et mise en œuvre en 2010 : le poids des pays émergents a été accru de 6% et l’Europe a accepté de renoncer à deux sièges au conseil du FMI, sa représentation étant ramenée à sept membres sur un total de vingt-quatre. Mais il ne peut s’agir que d’une étape, le FMI ne pouvant pas durablement ne pas représenter, pour leur poids financier, les pays créanciers que sont devenus les pays émergents. Ainsi, le recours aux BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) pour accroître les ressources du fonds européen de stabilité financière, s’il se fait un jour, ne se fera que par l’entremise du FMI sous réserve d’un nouvel accroissement de leur poids. Celui-ci est également reflété par la nomination d’un économiste chinois, M. Zhu Min, au poste de directeur général adjoint en juillet dernier. Enfin, le G20 de Cannes a informellement ouvert la voie à l’intégration du yuan dans les DTS à l’horizon 2015.
Dernier volet, s’agissant du FMI, ses ressources ont finalement été accrues à 400 milliards de dollars, en-deçà des chiffres annoncés par le G20 mais le sommet de Cannes a tracé la perspective d’une augmentation de ces ressources jusqu’à 1 000 milliards de dollars, montant considérable loin d’être acquis mais indispensable à la crédibilité du FMI s’il veut jouer un rôle dans le traitement de la crise de l’euro.
5. Les déséquilibres globaux
S’agissant de la résorption des déséquilibres mondiaux (les « global imbalances »), des progrès sont faits lentement. Les Autorités chinoises ont veillé à stimuler le dynamisme de leur demande intérieure tandis que les ménages américains ont restauré un taux d’épargne positif. Bien que l’Allemagne persiste jusqu’à présent dans la logique d’une politique non coopérative, ces mouvements devraient mener à une réduction des déséquilibres, à un désendettement global et à une réduction de l’hypertrophie de la globalisation financière. Mais au regard des dettes accumulées et de la dynamique de la désagrégation de la pyramide financière bâtie depuis trente ans, il n’est pas du tout acquis que ces politiques suffisent.
Un facteur de préoccupation aggravant tient à l’évolution des déterminants des taux de change. L’importance des mouvements de capitaux par rapport aux échanges commerciaux amène à une détermination des taux de change par les arbitrages de portefeuille et plus du tout en fonction des facteurs réels. Ces arbitrages étant cumulatifs – la hausse d’une devise entraînant des mouvements spéculatifs qui l’accentuent – le système apparaît de plus en plus instable. C’est ce qui explique la proposition du FMI de recourir au contrôle des capitaux entrants.
En tout état de cause, la contradiction entre les mouvements financiers internationaux et les équilibres monétaires internes se globalise. Elle s’explique par la fluidité des liquidités monétaires internationales qui prend à revers les politiques monétaires des banques centrales. Les trois zones, la zone euro, les États-Unis et la Chine, sont maintenant toutes touchées. C’est une concrétisation modernisée du dilemme de Triffin. Que ce soit à travers un contrôle des capitaux, une convertibilité limitée aux non-résidents ou une distinction entre monnaie domestique et monnaie externe, une révision fondamentale des politiques monétaires avec l’introduction de contraintes quantitatives, apparaît plus que jamais nécessaire.
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