Renouer l’alliance de la République et du livre

Intervention de Danièle Sallenave, de l’Académie française, au colloque « A demain la République? » du 10 octobre 2011

Je vous remercie de m’avoir invitée car je sais quelle est la volonté de refondation républicaine qui anime les animateurs et les auditeurs de ces rencontres.

Le sujet qui me préoccupe en ce moment et que j’aimerais aborder devant vous est celui-ci : comment renouer l’alliance de la République et du livre. Mais auparavant, comme à chaque fois qu’on s’apprête à prendre la parole, surtout sur des sujets de cette sorte, il convient de s’interroger, brièvement, sur sa propre légitimité. En quoi suis-je légitime pour capter quelques minutes de votre temps ? Ce n’est pas en tant qu’académicienne, distinction à la fois récente et dont je n’ai pas encore pris toute la mesure, ce n’est pas seulement non plus en tant qu’écrivain ni même en tant que professeur. C’est probablement parce que je porte avec moi l’héritage dont je suis le plus fière aujourd’hui et dont j’ai envie de faire fructifier la leçon. Celui d’avoir eu des parents et une grand-mère instituteurs. Je mesure maintenant toute la grandeur et toute la portée de cette leçon que j’ai reçue enfant et que j’espère pouvoir faire fructifier.

La question, donc, qui me préoccupe beaucoup, n’est pas seulement celle de la crise de l’éducation ni celle du nombre de professeurs. C’est une question beaucoup plus grave. À travers ce que j’ai pu observer, tantôt sur les formes que l’enseignement, l’instruction, ont prises dans notre pays, tantôt sur leurs dérives, il me semble que s’est dénouée une alliance fondatrice : l’alliance de la République et des livres.

C’est sur cette alliance que j’aimerais réfléchir un moment devant vous, non pas simplement pour me reporter vers le temps d’avant, mais pour construire une réflexion programmatique et une action. Au cours des mois qui vont précéder l’élection présidentielle, il va falloir de nouveau réfléchir sur la question de l’école, de l’éducation, de l’instruction.

Or si, comme vient de le dire Nicolas Baverez, la fin de l’instruction est l’éducation à la liberté, cette éducation à la liberté s’est construite, dès les débuts de la République, dans l’alliance avec les livres. Et c’est cela qui a changé. Il ne suffit pas d’objecter que les livres étaient alors la seule source par laquelle le trésor universel des connaissances, des savoirs, de l’imaginaire, pouvait se déverser sur les hommes. Il n’est pas certain que la situation marginale faite aujourd’hui au livre ait pour cause unique le développement des techniques modernes de l’information et de la communication. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que les fondateurs de la République et de l’école républicaine ont tout de suite compris que l’école, l’école primaire en particulier, si elle devait être le lieu par où le savoir vint au peuple, si l’école devait devenir le sanctuaire où les livres seraient rassemblés, non pas pour y être réservés à une minorité, mais pour être offerts au plus grand nombre, c’est parce que le livre est en quelque façon le résumé, matériel et formel, le compendium, sensible et intelligible où le savoir se dépose dans une forme. Je pense souvent à ce propos extraordinaire de Jaurès, qui semble très modeste dans sa formulation : « Il faut s’aider des livres pour voir l’univers ». Et aussi à une phrase magnifique de Victor Hugo, que j’aime à retenir : « Qui que vous soyez, si vous voulez cultiver, vivifier, édifier, attendrir, apaiser, mettez des livres partout ». Cette phrase devrait être au fronton de toutes nos écoles, de toutes nos classes et faire partie de l’enseignement que l’on doit aux professeurs.

De même que la nation est « un plébiscite de tous les jours » (1), la République en effet doit être sans cesse refondée. Elle doit être refondée en et pour chaque nouvel arrivant dans le monde. C’est la leçon qu’Hannah Arendt nous donne dans son livre La Crise de la culture (2), Sa réflexion sur la culture est une réflexion sur l’éducation. Le monde doit en effet, dit-elle, être sans cesse transmis à de nouveaux venus, les naissants, à qui nous devons donner les moyens d’hériter du monde que nous leur laissons, et de devenir les citoyens d’une société que nous portons avec nous et que nous devons leur transmettre. Et les livres sont nécessairement au cœur de cette transmission, parce qu’ils incarnent cet autre principe, celui de la permanence et de la survie des œuvres par-delà la disparition de leurs auteurs. Le livre est le signe de la présence du passé dans notre présent, et la manière dont le présent s’ouvre à un avenir dans lequel on puisse œuvrer à son tour.

La disqualification générale du livre va de pair avec une adhésion de moins en moins contestée de l’éducation avec le temps présent, et sa soumission aux modèles technologiques s’y voit accentuée, à moins qu’elle n’en soit le signe, et peut-être même la cause. Cette soumission au temps présent, cet oubli du passé, sont formes modernes d’un aveuglement aux rôles et aux missions fondamentales de l’école.

Plusieurs exemples achèveront de nous en convaincre. J’ai été très frappée l’autre jour de lire, réunis sur la même page du quotidien Le Monde (par une coïncidence peut-être voulue, saluons pour une fois, la mise en page du Monde !), deux articles. D’un côté, une enquête (3) fondée sur des observations tirées par Gilles Kepel d’enquêtes régulières, menées pendant dix ans auprès des enfants et adolescents des banlieues montrait que le renouveau communautaire s’accroît en fonction de l’abandon où la République les laisse. Notamment son école. Dans une tribune, juste à côté, un professeur émérite de géographie à la Sorbonne (4), révélait que l’enseignement de la géographie, tel qu’il est donné dans les programmes, donc tel que les inspecteurs généraux vont le faire respecter par les professeurs, fait désormais l’impasse sur la France comme entité unificatrice… Restent l’Europe et les régions. Je l’ignorais, mais j’étais déjà consciente que Louis XIV, François Ier, la Commune, etc. étaient passés pratiquement par profits et pertes dans les programmes d’histoire : mais la géographie est souvent aussi une leçon d’histoire, comme l’histoire est souvent une leçon de géographie… Remarquons-le : de telles dérives dans les programmes démontrent à l’évidence que l’enseignement n’est plus la transmission de ce qui a été en direction de ce qui va être, mais la pure et simple soumission à une exigence contemporaine, la réalisation d’une communauté européenne d’où doit disparaître ce qui serait source de conflits envers ses anciennes (et toujours vivantes ) nations. De nouveaux « manuels » peuvent en tenir compte, mais que deviennent nos grands livres d’histoire, les livres de notre grande histoire ? Le recours aux livres, la prééminence du livre dans la transmission, mettrait en garde contre ces dérives, et en protégerait les enfants dont la formation doit être à l’abri des infléchissements de la politique.

Mais cette soumission au temps présent trouve son expression la plus radicalement dangereuse, si on ose l’expression, dans les métamorphoses qu’elle fait subir à la manière même d’enseigner.

Des tendances lourdes sont apparues que les instances dirigeantes de l’éducation nationale soutiennent, pour prétendument trouver une solution au problème de l’ « individualisation » de l’enseignement, lui-même apparu avec l’ « hétérogénéité » des classes : toutes se résument dans le recours massif aux technologies de l’informatique, de la communication en général, dans la formation des enfants, l’instruction, l’école. Ce qui devrait avoir aussi un effet dont on parle moins : le remplacement progressif du professeur par un « coach ».

Il y a plus de trente ans déjà, on avait pensé qu’on démocratiserait l’école par la télévision scolaire. Rôle dévolu ensuite à Internet, puis au iPad. Certains parents se réjouissent, ce sont ceux qui ne sont pas familiers des procédures d’instruction : « Dans la classe de ma fille, tous auront une tablette à la rentrée! ». L’ardoise et le crayon furent la première « tablette » grâce à laquelle de nombreuses générations ont appris à lire et à écrire, sans pouvoir, évidemment, y trouver Wikipedia ou les cours de la Bourse, dont on peut se passer à cet âge… Mais la grande différence, c’est que l’enfant devait apprendre à former, avec sa main et tout son corps, les lettres et les mots dont il apprenait à la fois le sens et la graphie… Y renoncer ne serait pas sans conséquence.

Une deuxième série d’articles, parus dans le supplément « Science et Techno (5) » (pour technologies…), tire en effet un constat impressionnant d’une fréquentation excessive des petits écrans. Chez les adultes, on va jusqu’à observer une réduction de l’espérance de vie (qui pourrait être aussi imputée au diabète II ou à l’obésité entraînée par l’immobilité…). On oublie aussi que cela réduit, si j’ose dire, « l’espérance de lecture »… Chez les enfants le constat est terrifiant : une perte de l’attention, de la compréhension, de la concentration, un déficit en représentation mentale et en pensée articulée. (Si j’étais seule à le dire, on m’accuserait de conservatisme en matière d’éducation. Je rappellerai que conservateur ne veut pas dire passéiste : il est nécessaire de conserver pour pouvoir transmettre. Je suis donc, en ce sens, conservatrice, et même réactionnaire car il y a des choses contre lesquelles il faut réagir).

Mais il y a pire : loin qu’il soit tenu compte de ces observations, c’est le tout numérique qu’on est en train d’imposer. On a inventé récemment ce que tous les spécialistes en neurosciences considèrent comme une catastrophe : faire passer directement les enfants, dès le cours préparatoire – où tout se joue, comme chacun sait –, à la lecture et à l’écriture sur un clavier. Trois chercheurs, que je tiens à saluer, Jean-Luc Velay, Marieke Longcamp et Marie-Thérèse Zerbato-Poudou, ont réalisé sur dix ans une étude (6) dont les résultats sont eux aussi impressionnants. Les enfants qui ont appris à lire directement en écrivant les mots lettre par lettre sur un clavier, et non pas en les écrivant avec tout leur corps, avec le mouvement de leur bras (que Liliane Lurçat (7) a si bien décrit dans ses très beaux livres sur l’éducation), les enfants qui ont appris sans ce passage par une écriture que tout le corps accompagne se retrouvent en déficit de mémorisation, de vocabulaire et de construction syntaxique. Le corps social s’y soumet pourtant joyeusement, sans distance. Le journal télévisé s’est ouvert récemment sur une nouvelle saluée à grands renforts de superlatifs : l’introduction, dans je ne sais quelle école russe, de cet apprentissage par le clavier. Réjouissons-nous ! Les Russes auraient donc enfin compris que la Révolution n’était pas cette stupide et criminelle histoire de changement de société mais l’enseignement assisté par un ordinateur ! Je reviens de Russie. J’ai pu observer au contraire que les petits Russes, pour l’instant du moins, tirent le plus grand bénéfice d’un enseignement solide, encore attaché à des formes beaucoup plus traditionnelles de la transmission. Mais ce serait l’objet d’un autre débat.

Les effets d’une technologisation dans l’apprentissage de la langue sont patents. Nous pouvons constater tous les jours chez les enfants, chez les adolescents, mais aussi chez les ministres, les ingénieurs, les médecins, etc., une grave déficience dans la pratique de la langue française, qui, jusqu’à maintenant (malgré quelques petites adjonctions que je n’ai pas totalement approuvées dans la Constitution) reste la langue de référence de la nation et de la République française. Or ces fautes ne concernent pas seulement l’orthographe, mais aussi la syntaxe, le langage figuré, les expressions. L’autre jour, un jeune journaliste, interrogé sur les pratiques d’un personnage haut placé dans la police qui avait rémunéré ces indicateurs avec de la drogue, lançait : « Que voulez-vous, on n’attrape pas les mouches avec du miel » ! Ailleurs tel footballeur, déplore d’être obligé d’abandonner sa carrière par ces mots: « Quand j’ai dû abandonner, ça m’a fait chaud au cœur ». Il faut beaucoup de temps pour tordre l’expression afin de deviner ce qui était derrière et n’a pas été transmis correctement…

Ces déficits dont nous payons la conséquence, sont le résultat de réformes accumulées depuis environ trente ans, défaisant année après année le système éducatif d’un pays qui pouvait se vanter d’avoir la meilleure école du monde.

Le recours constant à l’informatique accentue la dispersion et l’absence de concentration des enfants, mais il est soutenu par tous ceux qui (retour d’une vieille lune à laquelle les instituteurs d’autrefois étaient déjà très hostiles) ont fait leur le mot d’ordre : il ne faut pas que les enfants s’ennuient un seul instant ! Il faut que l’enseignement soit totalement ludique, or, dans l’école française, soutiennent-ils, les enfants s’ennuient encore trop ! Réforme après réforme, les enfants ne s’amusent toujours pas… Est-ce parce qu’il y a trop d’école ou n’est-ce pas plutôt parce qu’il n’y en a pas assez ? Ainsi les médecins de Molière ne connaissaient que la saignée : comme les malheureux malades ne guérissaient pas et même s’affaiblissaient davantage, considérant qu’ils n’avaient donc pas été assez saignés, le médecin les saignait encore.

Et quand on objecte que faire du piano est parfois fatigant, que jouer au football demande de l’effort, on vous accuse d’un retour à la vieille culpabilité judéo-chrétienne pour qui ne vaut que ce qui est obtenu dans la souffrance…

Renouer l’alliance de l’école avec le livre pour retrouver les fondements de la République, c’est un programme et non pas seulement la nostalgie d’un passé enfui. Ce programme est un chantier immense et difficile dont il faudra un jour examiner et refondre les bases : celles, en particulier, sans quoi rien d’autre n’est possible, de la formation des maîtres de l’école primaire et du collège. Car si le livre n’est pas remis au centre de la formation des maîtres eux-mêmes, ils ne pourront pas en transmettre la nécessité à leurs élèves. La centralité du livre, c’est le cœur de l’étude, le repos de la pensée, qui s’apaise dans la lecture. Il y a des passages magnifiques dans les Propos sur l’Éducation (8) où Alain évoque ces moments où il suffirait que le maître lise un beau texte et que les élèves le prennent sous sa dictée. Il poursuit : « leur esprit serait alors nourri de choses qu’ils ne peuvent pas encore saisir pleinement, mais ils auront toute leur vie pour les comprendre ». C’est magnifique. Pour Alain, l’écolier n’est pas un enfant, il est un élève, quelqu’un qu’on élève, dans tous les sens du terme et, dit encore Alain, « l’enfant veut qu’on l’élève ». Nous payons très cher la regrettable formule qui a consisté à dire que c’est l’enfant qui est au centre du système éducatif. Non, ce qui doit être au centre du système éducatif, c’est la transmission, c’est le savoir. Et ce qui doit être au centre du centre, c’est le livre. Le livre, c’est cette clairière.

Ceux qui répètent que l’école ne doit pas être livrée entièrement au monde sont accusés de vouloir mettre des barrières au sein de l’école, de vouloir en faire un centre d’internement, un goulag. Quelle erreur ! Quelle incompréhension ! Une petite plante a besoin d’un espace où elle peut grandir, d’un tuteur, de ceux qui la protègent, qui la soignent. L’école est cela. L’école a besoin d’une clairière dans la violence du monde et cette clairière, c’est le livre.

Remettons le livre au centre. Mais il y est, clame-t-on ! Il y a des livres partout ! Je veux bien, mais, dans le système éducatif, comme une « ressource » parmi d’autres (et l’Internet en est le premier concurrent, forcément gagnant), non comme unité de pensée. Le grand enjeu, répète-t-on, en sautant comme des cabris, est la lecture ! La lecture est au centre de tout ! … Oui, mais dans quel sens ? Tout le monde lit, c’est vrai, sur Internet, sur un plan de métro, sur des recettes de cuisine. On lit des phrases aberrantes, mal construites mais on se débrouille, on prélève des choses. Ce n’est pas lire qu’il faut, c’est lire des livres : apprendre à lire, c’est apprendre à lire des livres. C’est-à-dire apprendre à construire des représentations mentales à partir de ces ensembles de langage organisés que sont les livres.

Des ensembles de langage : or cela ne fait pas partie de l’enseignement que reçoivent les professeurs. Tous, sans exception, quelle que soit la matière qu’ils devront enseigner plus tard, et non pas seulement les futurs professeurs de lettres (expression que je préfère à « professeurs de français »), doivent recevoir un enseignement très bien constitué autour de la question : Qu’est-ce que le langage ? A cette question, un jeune professeur répondra : « Le langage sert à communiquer ». Eh bien, non, le langage ne sert pas à communiquer mais à penser. En effet, on peut très bien communiquer sans les mots. Les élèves le savent très bien qui considèrent que lorsque l’on n’a pas les mots, ce n’est pas grave, on insulte, on donne un coup, on plaisante, on peut toujours communiquer. En revanche, sans langage la pensée n’est rien. La pensée se forme dans les mots selon un texte de Hegel que nous avons tous commenté en classe de philosophie : « C’est dans les mots que nous pensons… » (9). L’ « ineffable » est tout simplement un manque de mots. C’est une incertitude, c’est une absence, non pas seulement de mots, mais de phrases.

On a beaucoup dit, à un certain moment, qu’on apprendrait à lire aux enfants à travers toutes sortes d’expériences ludiques. On a dit aussi qu’ils apprendraient aussi bien l’orthographe et la grammaire à travers la géographie et l’histoire. Peut-être. Encore qu’un enseignement spécifique de la langue, de la grammaire, de la syntaxe soient absolument nécessaires. « Mon enfant aime jouer avec les mots », entend-on. Il faut aussi que les enfants aiment penser, qu’on leur apprenne la joie qu’il y a à comprendre ce qu’on lit et à se faire entendre clairement. Il ne s’agit donc pas seulement de leur apprendre à jouer avec les mots, mais de leur apprendre l’orthographe, la syntaxe de la phrase et, par ensembles de plus en plus vastes, du mot à la phrase, de la phrase au discours, du discours à l’énoncé et de l’énoncé au livre.

La perte de référence à l’unité-livre a de grandes conséquences sur la formation même de la pensée. Mon attention a été attirée par un article en anglais de Nicolas Carr, universitaire américain, publié dans Atlantic Review, repris sur Internet. Prenant conscience, à quarante-cinq ans, qu’il était devenu inattentif, agacé par tout texte de plus d’une page, qu’il lisait trop vite et oubliait ce qu’il lisait, il avait décidé, avec sa femme, d’arrêter Internet pendant un an. Après une année passée dans une ferme du Vermont, il avait repris ses activités de professeur. Il avait senti une nette amélioration. Certains symptômes avaient disparu : précipitation, absence de concentration, conséquences d’un grignotage d’informations non reliées entre elles. L’opposé absolu de ce que procure une phrase bien construite, qui n’est pas un tissu d’informations mais un raisonnement faisant partie d’un ensemble, le livre. Quel que soit le livre, philosophie, histoire ou géographie, cette construction-là demande du temps, s’inscrit dans le temps. Elle s’établit dans un certain ordre, avec un début, un milieu, une fin, qui n’est pas forcément l’ordre chronologique mais l’ordre logique que l’auteur veut donner à son exposé.

Qu’on n’imagine pas que je suis en train de faire l’éloge d’une école de campagne vers le milieu des années 50 du siècle dernier où, l’ombre tombant sur le village, les enfants, autour du poêle, feuillettent quelques livres ! Ce fut mon cas et celui de beaucoup d’autres. Mais il est heureux que beaucoup de choses se soient aujourd’hui ouvertes aux enfants et quand je les rencontre dans les collèges ou ailleurs, je me garde de leur dire : Range-moi ce jeu vidéo et mets-toi à lire la Légende des siècles ! Cela n’aurait aucun sens. Je leur dis simplement d’aller vers le livre, parce qu’il y a là quelque chose d’essentiel. Un trésor est caché dedans comme dit le fabuliste. C’est là qu’on se forme, qu’on se construit. Car il ne s’agit pas seulement de s’informer et d’apprendre un métier. Il s’agit de devenir soi ; et on se construit selon la logique de la langue, de l’assemblage des mots, de la syntaxe, de l’ordre, de la construction de la pensée. On se construit avec le temps, la patience que cela demande. Sous la responsabilité de quelqu’un qu’on ne voit pas : appelé justement l’auteur, du latin auctor, celui qui « augmente » et se fait le garant de ce qu’il avance

Je reviens à l’observation, très profonde, de Victor Hugo que j’ai citée tout au début, et je vous livre pour ce qu’elle vaut une petite anecdote pour conclure. Quand parfois la situation devenait presque ingérable dans une classe de collège ambition-réussite (où nous étions quand même trois adultes, deux professeurs et moi-même, pour dix-huit élèves !) il m’est arrivé de dire à un élève : « tiens, prends ce livre et lis-moi cette page » à un élève. Quand il acceptait de lire, c’était presque toujours le cas, le geste même de prendre le livre, de l’ouvrir, de commencer à lire à haute voix, ramenait presque à chaque fois le calme. L’autorité du livre se faisait entendre : énigmatique, car n’émanant que d’un invisible, mais s’imposant. Je ne dis pas que cela durait une heure, mais, pendant quelques minutes, le temps de la lecture, les observations, les remarques sur la coiffure de la voisine s’arrêtaient. Ce rapport étroit avec un texte, avec des mots, leur patience, leur lenteur, l’engagement qu’il requiert de l’âme et du corps, c’est cela qu’il faut rétablir, et d’abord dans la formation des maîtres. Sinon, rien ne sera possible.

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(1) « L’existence d’une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l’existence de l’individu est une affirmation perpétuelle de vie », phrase extraite d’une conférence célèbre, intitulée Qu’est-ce qu’une nation ? , prononcée par Ernest Renan à la Sorbonne le 11 mars 1882.
(2) La première édition de Between Past and Future d’Hannah Arendt, est parue en 1961. La traduction française La Crise de la culture est fondée sur la deuxième édition, parue en 1968.
« La place croissante de l’islam en banlieue »
(3) Enquête, dans du 04.10.11 par Luc Bronner
(4) « Mais où est donc passée la France ? » ; Point de vue, dans du 04.10.11, par Rémy Knafou, professeur émérite de géographie à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne.
(5) Dossier du supplément hebdomadaire Science & Techno, « La télévision nuit gravement à la santé », dans Le Monde daté du samedi 8 octobre et Frederick Zimmerman : « La façon dont la télévision est utilisée est un problème de santé publique » dans du 07 octobre 2011. Propos recueillis par Stéphane Foucart.
(6) De la plume au clavier : Est-il toujours utile d’enseigner l’écriture manuscrite ? (voir le résumé http://tice.aix-mrs.iufm.fr/cotic/IMG/pdf/velay_dunod.pdf)
(7) Liliane Lurçat, docteur en psychologie, docteur ès Lettres et Sciences Humaines, directeur de recherche honoraire au CNRS (psychologie de l’enfant). Auteur notamment de : Le jeune enfant devant les apparences télévisuelles (Desclée de Brouwer, 1994), Le temps prisonnier : Des enfances volées par la télévision (Desclée de Brouwer, 1995), La destruction de l’enseignement élémentaire et ses penseurs (François-Xavier de Guibert, 1998), Vers une école totalitaire ? L’enfance massifiée dans l’école et dans la société (François-Xavier de Guibert, 1998).
(8) Propos sur l’éducation, Alain, P.U.F. 1932
(9) « C’est dans les mots que nous pensons. Nous n’avons conscience de nos pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de notre intériorité, et par suite nous les marquons d’une forme externe, mais d’une forme qui contient aussi le caractère de l’activité interne la plus haute. C’est le son articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où l’externe et l’interne sont si intimement unis. Par conséquent, vouloir penser sans les mots, c’est une tentative insensée. Et il est également absurde de considérer comme un désavantage et comme un défaut de la pensée cette nécessité qui lie celle-ci au mot. On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu’il y a de plus haut, c’est l’ineffable. Mais c’est là une opinion superficielle et sans fondement ; car, en réalité, l’ineffable, c’est la pensée obscure, la pensée à l’état de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu’elle trouve le mot. Ainsi le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie. » (Philosophie de l’Esprit, Georg W. F. Hegel )

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Le cahier imprimé du colloque « A demain la République? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation

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