Quelle politique iranienne pour la France ?

Par Pierre Conesa, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, auteur de La Fabrication de l’ennemi : ou comment tuer avec la conscience pour soi (Robert Laffont, 8 septembre 2011)
L’Iran est l’objet d’un ressentiment particulier de la France ; c’est même le seul pays contre lequel des appels privés et publics à la guerre s’affichent (1). On pourrait cependant soutenir que l’Iran d’Ahmadinejad est moins islamiste que l’Arabie saoudite – qui nourrit la fâcheuse réputation d’envoyer partout ses prédicateurs salafistes et qui a noyé dans l’œuf le printemps de Bahrein – ou que le Pakistan.

On pourrait aussi bien plaider que l’Iran a fourni moins de terroristes que ces deux « Alliés » ; qu’il n’a pas créé de réseau de vente de technologies nucléaires à la différence du père de la bombe pakistanaise ; qu’il est au total moins nucléaire qu’Israël ou que le Pakistan. Il est ainsi bien légitime de craindre, au regard de la fragilité du régime d’Islamabad qu’un jour la bombe pakistanaise ne tombe entre les mains de groupes terroristes. Ce genre de chaos n’est pas en vue à Téhéran. Et pourtant…

Faudrait-il croire Shirin Ebadi, avocate prix Nobel de la Paix, pour qui l’Iran islamiste est le « syndrome de Frankenstein », c’est-à-dire le monstre que les Occidentaux ont fait naître au cours des soixante dernières années ?

Un bref rappel historique n’est pas inutile. En 1953, le coup d’Etat organisé à l’initiative des Etats-Unis contre le gouvernement Mossadegh pour l’empêcher de nationaliser le pétrole – ce que fit le régime Reza Shah vingt ans plus tard -, instaure vingt-cinq ans de dictature dotée d’une féroce police politique, la Savak. Le Shah se dote à l’époque d’une filière nucléaire militarisable avec le programme français Eurodif, arrêté au début de la révolution par Khomeiny, qui estimait que la République islamique avait d’autres priorités. Durant douze ans un contentieux difficile opposa l’Iran à la France, accusée de ne pas vouloir rembourser l’argent versé par le Shah. Après la révolution de 1979, l’Irak avait le soutien de tous les pays occidentaux dans le conflit qui l’opposa à l’Iran, Soutien si marqué, que, en violation des dispositions du Chapitre 7 de la Charte des Nations Unies, l’Iran agressé fut placé sous embargo, tandis que tous les équipements nécessaires se dirigeaient vers l’Irak. Le premier emploi des armes chimiques par Saddam Hussein en 1982 sur la péninsule de Falloujah, laissèrent les capitales des démocraties muettes. Les 600 000 morts iraniens du conflit pèsent dans la mémoire collective iranienne, comme en Europe le poids des anciens combattants de la guerre de 14-18 dans l’entre-deux guerres. En matière de terrorisme, le régime de Téhéran ayant eu à subir des attentats qui par exemple tuèrent en 1982 la moitié du gouvernement puis le Président de la République, ne comprenait pas pourquoi la France lui reprochait des attentats à Paris, alors qu’elle accordait l’asile politique aux Moudjahidines du peuple qui revendiquaient les attentats commis en Iran. Après la libération du Koweït en 1991, les inspections internationales permirent la découverte de l’avancée des programmes nucléaires, bactériologiques et chimiques du régime de Saddam Hussein aidés par ces mêmes Occidentaux : le chimique par l’Allemagne, les armes chimiques par les Etats-Unis… Le choc que provoqua la découverte de tous ces programmes aida certainement Téhéran à se convaincre qu’aucune garantie internationale n’était assez solide pour assurer la sécurité du pays.

Le programme nucléaire iranien a été repris à ce moment par ceux qu’on appelle aujourd’hui les « modérés », c’est-à-dire Rafsandjani et ses alliés. Quel dirigeant ayant subi la même histoire pourrait interdire à l’Iran de réfléchir à l’arme nucléaire ? Certainement pas la France qui a justifié par ce même argument son programme nucléaire. Aussi inacceptable que soit le régime islamique, l’Iran a quelques bonnes raisons de ne pas confier sa sécurité aux garanties internationales occidentales. Le programme nucléaire iranien a été annoncé par les services américains et israéliens comme imminent pour 1994, puis 1996, puis 2000 puis 2006, maintenant pour 2011 ou 2012. Est-il de bonne politique de mettre en accusation le régime d’Ahmadinejad qui, sur ce point au moins, semble avoir le soutien de sa population ? Est-ce la meilleure voie pour obtenir l’application du Traité de non-prolifération ou pour conjurer le risque d’escalade nucléaire dans la région ? La partie la plus modérée de l’opinion iranienne attend de l’Occident une aide à la démocratisation plus qu’une diabolisation du pays qui renforce le pouvoir en place. Encore faut-il définir clairement ses objectifs, intégrer la compréhension des évolutions de la société iranienne, des motivations profondes qui l’irriguent quel que soit le régime, et s’y tenir.

L’Iran applique une logique de puissance dont d’autres acteurs de la vie internationale lui démontrent tous les jours qu’elle est la plus pratiquée. Le respect du droit international devrait s’imposer à tous, Mais la liste est longue des mauvais exemples que Téhéran peut mettre en exergue. Ainsi en va-t-il des Etats-Unis qui n’ont ratifié ni le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires, ni le protocole d’Ottawa contre les mines antipersonnel, ne respectent pas le Traité interdisant les armes bactériologiques, n’ont pas ratifié la Convention de Rome créant le Cour pénale internationale, s’opposent au Traité sur les Petites armes au nom du quatrième Amendement, méconnaissent le protocole de Kyoto, s’exonèrent des conventions de Genève à Guantanamo… Les Iraniens ne manquent pas de prétextes. Quand le Président brésilien Lula et le Premier ministre turc Erdogan tentèrent une médiation, les autorités des pays occidentaux, responsables de tant d’erreurs, refusèrent même de considérer la démarche tenue pour non avenue.

Cet immobilisme est-il un bon choix ? La France risque de donner l’image d’un pays prenant la tête d’une croisade qu’elle ne peut mener. Peut-on croire qu’elle se donne ainsi les moyens de peser sur les choix de Téhéran ? La France n’aurait-elle pas besoin d’une politique plus imaginative ? Aujourd’hui pour trouver des solutions à la crise irakienne et sortir correctement du bourbier afghan, les Occidentaux devront discuter avec l’Iran, seul facteur géopolitique cohérent de la région. Nous serions bien avisés de préparer sérieusement cette échéance.

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1/ T Delpech : l’Iran ou la trahison des Nations, Ceri ; Amir Jahanchahi homme d’affaire et essayiste, Vaincre le IIIème totalitarisme : La leçon de Churchill ; Frédéric Encel, Adler : Le Figaro, 20 avril 2006, et tout récemment le Président de la République à l’occasion de la réunion des ambassadeurs d’août 2011.

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