La mobilité électrique, un véritable projet de développement durable

Intervention de Igor Czerny, Directeur Transports et véhicules électriques chez EDF, au colloque « Quelle politique industrielle pour relever le défi climatique? » du 16 mai 2011

Je vais vous parler d’un secteur qui est au cœur des enjeux climatiques industriels : le transport et notamment le développement de la mobilité électrique.

Le contexte est celui d’enjeux importants d’indépendance énergétique. En France, près des trois quarts de la consommation du pétrole est due aux transports. Ce n’est pas pour rien que la Chine, le Japon, la Corée et Israël développent ce nouveau type de mobilité.
Un contexte politique relativement sensible fait que le prix du pétrole augmente (le litre de super est aux alentours d’1,55 euro).
Une pollution importante est imputable aujourd’hui aux transports. Un tiers des émissions de CO2 en France est dû aux transports. On évoque le chiffre de 40 000 morts par an dues à la pollution atmosphérique en France, 350 000 en Europe. Vous avez évoqué tout à l’heure la nécessité de réduire la pollution dans les centres urbains avec le développement des mégalopoles. M. Barré a rappelé tout à l’heure que la France produit plus de 95% de son électricité sans dégagement de CO2.
On parle peu du bruit. Le rapport Boiteux (1) attribue un coût aux valeurs de nuisance causées par le bruit dans la variation du prix de l’immobilier.

Les enjeux industriels autour de cette nouvelle mobilité sont extrêmement structurants, importants et stratégiques.

En premier lieu, je citerai les batteries. Il est très important que l’on développe la recherche et l’industrie françaises (et européennes) en les orientant vers tout ce qui concerne le stockage de l’énergie. C’est complètement transverse. C’est important pour le véhicule électrique. C’est important pour les renouvelables. C’est important pour les réseaux intelligents. La Chine et les États-Unis ne s’y sont pas trompés : les États-Unis mettent plus de trois milliards de dollars sur la table pour développer le secteur des batteries. L’Europe est absente. S’il y avait un seul secteur, un seul métier que l’on dût mettre en place au niveau de l’Europe, serait le stockage de l’énergie, tant il est stratégique. Pour créer une batterie, entre l’idée, le brevet et la mise sur le marché, il faut plus de dix ans. Cela dit, la tâche qui nous attend compte tenu du fait qu’aujourd’hui les usines de production de batteries, notamment au lithium, sont essentiellement en Asie et aux États-Unis.

Dans le domaine des réseaux intelligents, on en est encore à un stade de prototypes et d’essais mais le consommateur est en train d’évoluer. Demain, il voudra être acteur de sa propre gestion de l’énergie et la voiture électrique en est un élément. Le Vehicle-to-grid (V2G), véhicule électrique qui utilise l’énergie lors des productions de pointe, est déjà en test à Shanghai où on peut déjà vendre l’énergie électrique stockée dans sa voiture électrique à la compagnie d’électricité à un prix donné en fonction des pointes.

Dans le domaine de l’évolution de ce nouveau type de mobilité, la communication, le smart phone, les réseaux sociaux entament une nouvelle aventure. Les nouveaux modes de communication, la manière dont nos enfants utilisent internet auront un impact demain sur cette nouvelle mobilité. Nous passerons de la possession à l’usage.

Sur le plan industriel, le secteur de la mobilité – et notamment le développement de la mobilité électrique – est fortement créateur d’emplois. Une dépêche AFP nous apprend aujourd’hui qu’Angela Merkel souhaite positionner l’Allemagne sur le développement du véhicule électrique et multiplier par près de cinq cents en moins de dix ans le nombre de véhicules électriques en circulation. Elle précise : « Nous devons faire attention à ce que l’expertise reste ancrée en Allemagne ». C’est pourquoi je lance un appel pour que tout ce qui concerne le stockage de l’énergie et la batterie (un véhicule électrique, c’est une batterie) soit peut-être un peu plus développé en France et en Europe, compte tenu de la taille des investissements actuels.

La mobilité électrique, le transport électrique, c’est aussi un enjeu de société. Dans les villes qui ont fait des efforts sur la mobilité, les tramways, les pistes cyclables, le développement des véhicules électriques, on vit mieux. La mobilité électrique a aussi un impact sur le social. Roland Ries évoque des « zones de pertinence ». Il parle de « bombes à retardement » lorsqu’on construit de nouveaux périphériques. Faire revenir les gens qui ont quitté le cœur des villes à cause du coût de l’immobilier, rapprocher l’habitat social du centre ville est une priorité. Cette mobilité est absolument passionnante parce qu’elle suscite des comportements différents : on passe de la possession à l’usage. Avant, on dimensionnait l’achat d’une voiture pour le départ en vacances. On en revient. Il y a quelques semaines, nous avions inauguré un projet d’auto-partage à Nice. C’est un succès : les objectifs que nous nous étions fixés ont été dépassés.

La mobilité électrique aussi offre de nouveaux services. Des réflexions concernent le « dernier kilomètre ». La SNCF travaille sur ces projets. Demain, on pourra se rendre sur un lieu de vacances ou de travail en transport en commun grâce à des systèmes d’auto-partage ou de car sharing.

En ce qui concerne la mobilité électrique, notamment l’automobile, on est en train de vivre une double révolution : une révolution technologique, sur la batterie et les infrastructures nécessaires, et une révolution du modèle économique. Aujourd’hui on a énormément de mal à équilibrer le business modèle de la voiture électrique, notamment à cause du coût de la batterie. On estime que le coût de la batterie devrait être diminué par moitié pour ramener le coût total de possession du véhicule électrique à celui du véhicule thermique. Les ingénieurs de la direction de la recherche qui testent de nombreuses batteries sont assez optimistes et pensent que, dans cinq à sept ans, ce prix évoluera significativement.

La mobilité électrique est fortement tributaire de la réglementation. Les Italiens, par exemple, ont développé des bus électriques parce que certaines municipalités ont interdit les bus thermiques dans les centres-villes.

Où en est-on en France ?

Aujourd’hui il est important de mettre en place un cadre de référence et des standards, il y a là un véritable enjeu industriel. La France a développé un cadre de référence avec des groupes du MEDEM (Mouvement Des Entreprises du Monde). À EDF, nous avons piloté un groupe de standardisation et de normalisation avec nos amis allemands. Ce ne fut pas facile. En effet, la prise côté mur du véhicule électrique sera spécifique. Or deux constructeurs sont sur les rangs : un Allemand (Mennekes) et un Français (Schneider). Nous avons confié la mission de choisir entre ces deux entreprises à la Commission européenne, destinataire d’un rapport de deux organismes de standardisation, le CEN (Comité européen de normalisation) et le CENELEC (Comité européen de normalisation électrotechnique).

Dans le contexte actuel, pour ce nouveau type de mobilité, il est important de faire des expérimentations pour appréhender les aspects techniques, financiers et sociologiques. Nous avons dans nos équipes des sociologues qui observent comment et quand ces voitures sont utilisées et quel type d’infrastructures est le plus adapté. Nous avons fêté il y a quelques jours à Strasbourg l’anniversaire d’un projet réalisé avec Toyota : il s’agissait de tester une centaine de véhicules hybrides rechargeables. C’est une première mondiale dont on peut s’enorgueillir. Il ressort de ces premiers tests que les utilisateurs, qui ont parcouru environ 19 000 kilomètres en un an, n’ont plus envie de revenir en arrière et trouvent la conduite de ces véhicules simple et relativement agréable. Nous travaillons aussi avec les constructeurs nationaux que sont Renault et PSA (nous menons des expérimentations en région parisienne) et avec BMW. Nous allons lancer un projet transfrontalier, entre la France et l’Allemagne, qui intègrera plus de deux cents véhicules multi-constructeurs et multi-utility.

En ce qui concerne le type d’infrastructures de charge, compte tenu du modèle d’affaires, il convient d’éviter de développer des systèmes trop complexes. Un véhicule particulier se trouve, 80% du temps, soit chez son propriétaire, soit sur son lieu de travail. L’enjeu principal pour aider au développement de l’infrastructure de recharge est donc le domicile et le lieu de travail. Le développement de l’infrastructure de charge suppose une évolution de la réglementation des copropriétés. Les expériences montrent que les utilisateurs se rechargent à 95% soit au domicile soit sur le lieu de travail. La moyenne des trajets en France est de l’ordre de 35 kilomètres, l’autonomie de la batterie est de de l’ordre de 220 kilomètres, on ne recharge donc pas sa voiture tous les jours. EDF travaille au développement de systèmes permettant de recharger la voiture en dehors des heures de pointe, entre 22 heures et 7 heures du matin. Le gouvernement a lancé un plan ambitieux de développement du véhicule électrique. L’objectif en termes de marché pour des véhicules électriques hybrides rechargeables est de l’ordre de deux millions de véhicules à l’horizon de 2020, avec des financements et treize collectivités territoriales qui se sont portées candidates pour implanter ces premières infrastructures.

Quand la voiture ou le bus électriques roulent, c’est du domaine du constructeur ; quand cette voiture est à l’arrêt, elle concerne EDF. Il y a des enjeux de société, il y a des enjeux industriels importants et des enjeux financiers. C’est un véritable projet de développement durable, une ambition d’entreprise. Je pense que demain, après-demain, on se déplacera différemment.
Je vous remercie de votre attention.

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(1) Rendre plus rigoureuse l’évaluation des projets d’infrastructures, harmoniser les méthodes en usage dans les différents modes de transport, donner une valeur chiffrée au temps gagné, aux nuisances et à l’insécurité : tels étaient déjà les objectifs du rapport du Commissariat général du Plan confié à Marcel Boiteux, publié en 1994 : « Transports : pour un meilleur choix des investissements ». (Rapport Boiteux 1, cote : 9780).

Les ministres concernés ont souhaité approfondir les conclusions de ce rapport fondateur. Marcel Boiteux a accepté la mission d’étudier comment mieux prendre en compte la pollution atmosphérique, l’effet de serre, l’insécurité routière, le bruit, l’occupation de l’espace et les gains de temps. Le nouveau rapport recommande des valeurs précises qui permettent de donner un prix aux avantages et aux nuisances, donc d’en tenir pleinement compte dans les décisions d’investissement.

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Le cahier imprimé du colloque « Quelle politique industrielle pour relever le défi climatique? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation

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