Par Jacques Fournier, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, conseiller d’Etat honoraire.
Les Français sont attachés à leurs services publics, mais ils en ont une vision décalée par rapport aux exigences du moment : soit que, à droite, ils les voient comme une charge dont il faudra, nolens volens, et compte tenu des pressions du marché, limiter progressivement le poids ; soit que, à gauche, ils défendent contre vents et marées toutes les caractéristiques d’un modèle qui doit pourtant évoluer s’il veut continuer à répondre aux aspirations sociales. Le moment est venu de renouveler l’approche française de cette question. C’est ce à quoi prétendent les thèses présentées ci-dessous.
Coexistent aujourd’hui dans notre économie, deux formes d’organisation productive. L’organisation capitaliste qui offre sur le marché des biens et des services que chacun peut se procurer en fonction de ses ressources. L’organisation collective qui fournit à la population des biens et des services dont chacun doit pouvoir bénéficier en fonction de ses besoins. La seconde forme n’est pas un simple appendice de la première. Elle assure près du tiers de la production globale. Elle est prédominante ou fortement présente dans des secteurs essentiels : sécurité, justice, éducation santé, transport, logement, énergie. C’est ce que l’on peut appeler l’économie des besoins. Le service public en est un élément essentiel. Mais il n’est pas le seul. D’autres formes d’intervention publique contribuent à la structurer et les initiatives privées qui se développent aujourd’hui sur le terrain de l’économie sociale s’inscrivent dans la même perspective.
Il s’agit de dynamiser cet axe alternatif de développement. Le service public peut y contribuer d’une manière décisive, à condition de savoir se repenser. Dans une société où le niveau d’éducation s’est élevé, où le besoin d’autonomie s’est affirmé et où le développement fantastique des moyens de communications multiplie les voies possibles d’interactivité, le modèle tutélaire et parfois autoritaire de l’administration et de l’entreprise publique doit évoluer en profondeur. Transparence, consultation, décentralisation, participation, diversification de l’offre pour mieux l’adapter aux différences de situation, renforcement des capacités de la demande, notamment celle des publics les plus vulnérables, autant de pistes de réflexion qu’il faut approfondir. La recherche d’une meilleure gestion s’impose dans le même temps. Il n’est pas obscène de parler de rendement ou de productivité au sein du service public dès lors que l’optimisation de la satisfaction des besoins reste bien le critère de choix essentiel.
Dix thèmes de discussion
C’est pour contribuer à cette réflexion qu’est présenté ci-après, sous une forme volontairement synthétique et quelque peu lapidaire, ce que l’on pourrait appeler le décalogue du service public. Il se décline en dix propositions.
1. Le service public n’est pas une charge pour l’économie. C’est une forme de production d’utilité collective.
2. Le service public n’est pas un simple pansement sur la société capitaliste. C’est le ferment possible d’un mode alternatif de développement.
3. Le service public n’est pas une fantaisie française. Ses principes se retrouvent au delà de nos frontières et Il pourrait être l’un des piliers de la construction européenne.
4. Il ne suffit pas de « défendre » le service public. Il faut prendre l’offensive et chercher à lui donner de nouveaux développements dans le cadre de l’organisation collective de la satisfaction des besoins.
5. Il n’y a pas dichotomie mais simple continuum, entre services publics marchands ou non marchands, régaliens, socio-culturels ou économiques, qui sont tous soumis, au nom de l’intérêt général, à des principes communs.
6. Les partisans du service public ne doivent pas abandonner à ses adversaires l’art de la critique non plus que le thème du changement.
7. Le moment est venu de faire émerger une nouvelle culture du service public, plus conviviale, plus souple, plus participative.
8. les modes d’organisation du service public diffèrent d’une fonction à une autre, des opérateurs privés peuvent y avoir une place, mais le pilotage doit rester du ressort de la décision politique et ne saurait dépendre des cours de bourse.
9. Service public, gestion publique, fonction publique : ces trois notions sont en étroite corrélation mais ne se recouvrent pas nécessairement à 100%.
10. Le service public ne peut se désintéresser de l’évaluation de ses résultats.
Tels sont quelques uns des thèmes sur lesquels on verrait volontiers s’investir partis politiques et syndicats en ce temps de préparation d’un nouveau quinquennat. Chacun de ces énoncés est matière à débat. Mais ils méritent au moins autant d’attention que la liste des mesures à prendre pour faire face à la spéculation sur les dettes souveraines, dont le cinéma permanent monopolise l’actualité depuis des mois. L’avenir de notre société dépend largement de la manière dont nous saurons, parallèlement à la régulation de l’économie de marché, faire fonctionner efficacement l’économie des besoins.
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