Interventions de l’audience au colloque « Comment faire face à l’explosion de la dette publique? » du 14 mars 2011

Bruno Moschetto
Nous avons entendu des exposés extraordinairement riches et une synthèse qui l’est tout autant. Il n’y a plus grand-chose à ajouter.
Peut-être risquerai-je trois réflexions.
Si j’ai bien compris, Jean-Michel Quatrepoint nous propose une nationalisation de notre endettement souverain tandis que Frédéric Bonnevay nous propose une communautarisation de cet endettement souverain.

On a beaucoup parlé de l’explosion des dettes souveraines. Cela peut sembler assez alarmant mais j’apporterai deux bémols :
Pour ce qui nous concerne, la dette est passée de 1 000 milliards il y a cinq ans à environ 1 500 milliards maintenant mais le coût de la dette est toujours le même (autour de quarante milliards d’euros) grâce à la baisse des taux d’intérêt.

Comparons l’explosion de la dette à celle de la richesse des Français. 10 000 milliards d’euros de stocks d’actifs de la part des résidents contre 2 000 milliards de PIB (valeur ajoutée par les entreprises et les administrations qui participent à la production) : la richesse représente cinq années de production nationale. Il y a dix ans, c’était deux fois moins et il y a cinquante ans, la richesse représentait une année de production nationale. Il y a là un gisement extraordinaire pour essayer d’amortir le financement de cette dette en faisant payer ceux qui sont devenus terriblement riches sans s’en rendre compte, certes d’une façon inégale.

La très brillante synthèse de Jean-Pierre Chevènement m’invite à une dernière réflexion. On a beaucoup parlé des pays périphériques et des pays centraux. Les pays périphériques pèsent leur propre poids. Les pays centraux, dont la France et l’Allemagne, pèsent plus lourd mais le véritable clivage n’oppose-il pas la France et l’Allemagne ? Le couple franco-allemand ne devrait-il pas renégocier son contrat de mariage ? En effet, la vision de la politique économique, de la façon dont les banques centrales ou les États doivent intervenir diffère fondamentalement de chaque côté du Rhin.

Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur Moschetto, pour cette contribution qui enrichit notre compréhension du sujet. M. l’ambassadeur Nicoullaud m’a demandé la parole.

François Nicoullaud
On s’obnubile sur le montant de la dette ou sur le pourcentage entre dette et PIB mais ce qui est vraiment significatif, c’est le poids que représente annuellement le service de la dette. Or si, comme vous l’avez montré, il s’est allégé, il faut reconnaître que c’est grâce à l’euro fort qui nous permet d’emprunter à bon marché. Avec un euro faible et une dérive des prix, nous serions probablement amenés à emprunter plus cher, à moins que nous n’ayons recours à la francisation de la dette. Cette perspective me ramène aux propositions faites par les intervenants, toutes extrêmement stimulantes. Mais il me semble qu’elles ont évité de s’adresser au problème encore sous-jacent, plus fondamental, de la restauration de notre compétitivité. Le mot « compétitivité », récupéré par Mme Merkel, est chargé d’harmonies qui nous gênent et devient presque un gros mot. Mais si l’ensemble des propositions faites par les différents intervenants ne s’appuyaient pas sur une restauration de notre compétitivité, elles seraient réduites à devenir des sortes d’expédients. Je prendrai un exemple : la création d’un système d’eurobonds, avec une seule source d’émission en vue de financer les investissements dans l’ensemble de la zone euro, est une bonne idée. Mais si ces investissements (infrastructures, construction d’autoroutes, de voies ferrées…) finissaient, à la suite des appels d’offres, par ne profiter qu’à la seule entreprise Siemens, on retomberait dans le problème précédent.

Nous sommes donc bien devant un problème de restauration de la compétitivité française à l’égard de nos principaux concurrents. Je n’ai pas la réponse et je me tourne vers les intervenants.

Jean-Pierre Chevènement
Il me semble que si, comme l’a dit Jean-Luc Gréau, la solution est dans la croissance, si on veut rentrer dans un processus de stabilisation de la dette et de réduction de l’endettement – car le creusement de notre dette est très largement dû aux moins-values fiscales – ce n’est pas compatible avec l’euro fort.

Je voudrais éviter tout malentendu : je ne suis pas contre la compétitivité. Mais il y a plusieurs manières de viser la compétitivité. On sait, par exemple, qu’un effort de recherche mieux réparti sur l’ensemble du tissu industriel y contribuerait, comme le ferait une monnaie moins asphyxiante. Peut-être faut-il faire des efforts de rigueur au niveau de la dépense publique. Mais jusqu’où ?

La Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) telle que je la vois appliquée dans certains secteurs me paraît discutable. Le regretté Président Seguin faisait remarquer dans un des derniers rapports de la Cour des comptes que cette politique, totalement indiscriminée, ne tient aucun compte des différences de problématiques selon qu’on traite de l’éducation nationale, de la police, de l’armée… On pourrait épiloguer longtemps.

Jean-Pierre Vesperini
M. l’ambassadeur a raison de dire qu’un euro plus faible entraînerait une hausse des taux d’intérêt, donc une hausse du coût de la dette, c’est indiscutable. Mais, en économie comme dans tous les problèmes de la vie, les choix nous confrontent toujours à des avantages et des inconvénients. Nous voyons très bien les avantages de l’euro fort : des taux d’intérêt plus bas, le fait de payer moins cher ce que nous importons. Mais il comporte des inconvénients, comme la perte de compétitivité, qui est le problème essentiel de la France et des pays périphériques.

En économie, on a coutume de distinguer la compétitivité-prix et la compétitivité hors prix.
La compétitivité-prix, qui consiste à offrir sur le marché des produits à un prix plus avantageux que ceux de vos concurrents, est évidemment complètement déterminée par le taux de change. Plus votre taux de change est faible, plus votre compétitivité-prix est forte.
La compétitivité hors prix dépend de l’innovation, de la recherche, éléments profondément liés à la croissance. Si vous n’avez pas de croissance, vous ne pouvez pas faire d’investissements. Donc, faute d’innovation et de recherche, vous perdez en compétitivité hors prix.

Voilà pourquoi la question du taux de change est tout à fait fondamentale. Les avantages d’un taux de change faible l’emportent sur ceux d’un taux de change fort. Je rejoins sur ce point Jean-Luc Gréau : parler d’euro fort ou faible n’a pas de sens, la vraie question est de savoir quel est le taux de change adapté. Le taux de change actuel de l’euro est tout à fait adapté à l’Allemagne, c’est celui qui lui convient. En revanche, il est trop fort pour nous et il est infiniment trop fort pour les pays périphériques.

Jean-Michel Quatrepoint
Je voudrais répondre à M. Moschetto, à propos du patrimoine, que les dettes ont augmenté, elles aussi. Vous avez considéré l’actif mais l’augmentation de l’actif vient aussi de l’augmentation du passif. Les 10 000 milliards constituent l’actif brut total dont il faut déduire les dettes. Il faut prendre en compte un deuxième phénomène, l’immobilier foncier. La hausse considérable, depuis dix ans, des prix de l’immobilier et du foncier explique pour l’essentiel l’augmentation du patrimoine. Fin 2007, le patrimoine global était de 8 000 milliards, il a dépassé 10 000 milliards en 2010 ! L’augmentation vient essentiellement de l’augmentation de l’immobilier, le financier n’a pas tellement augmenté.

La compétitivité est effectivement le sujet de fond qui établit une distinction entre les pays excédentaires en termes de balance commerciale et ceux qui ne le sont pas. Nous avons choisi implicitement d’avoir des déficits commerciaux. Pendant longtemps, on nous a expliqué que ce n’était pas important puisqu’on raisonnait en balance des paiements, qu’on attirait les investissements étrangers et que dans un monde globalisé, à plus forte raison dans une Europe globalisée, il ne fallait pas raisonner pays par pays. Nous constatons finalement que ceux qui s’en sortent sont ceux qui ont des excédents commerciaux…

La compétitivité allemande n’est pas un problème de compétitivité des salaires. Le coût salarial est globalement équivalent en France et en Allemagne, même s’il peut y avoir des marges sur les charges sociales. Mais l’industrie allemande, qui a mené des opérations de restructurations, de délocalisations des produits intermédiaires, a su viser les niches et les produits à valeur ajoutée. Cette valeur ajoutée est largement réalisée sur son territoire. C’est ce qui fait la compétitivité de l’Allemagne.

Il faut rétablir la compétitivité industrielle française. Ce sera difficile car, depuis vingt ans, nous avons abandonné un certain nombre de secteurs. Les constructeurs automobiles, par exemple, ont délocalisé, non des sous-ensembles, mais la totalité de la fabrication pour réimporter ensuite. Cela entraîne une perte de savoir-faire. Il nous faut, sinon copier le modèle allemand, du moins nous fixer l’objectif de ne pas abandonner l’industrie. De facto, les Allemands se sont emparés du secteur industriel. Il nous restait le luxe et l’agroalimentaire mais les Allemands sont en train d’y venir et de nous tailler des croupières. Ils ont modernisé leur outil de production, ce que nous n’avons pas fait suffisamment. Nous avons joué les services, le tourisme, les banques (nos banques sont plus performantes que les banques allemandes). Ces choix n’ont pas été vraiment explicités et nous nous retrouvons aujourd’hui avec des emplois à faible valeur ajoutée, tels les emplois de « services à la personne ». Et nous avons des déficits commerciaux.

Si nous ne voulons pas abandonner ce qui nous reste et revenir sur certains secteurs industriels, nous devrons avoir une discussion musclée avec l’Allemagne avec laquelle nous allons nous retrouver en compétition sur certains terrains, comme on l’a déjà vu avec Siemens.

Jean-Luc Gréau
Le lien entre la monnaie et les taux d’intérêt est très élastique. Les transformations financières que nous avons subies depuis trente ans ont créé un nouveau système que j’ai essayé d’analyser dans un livre indigeste paru en 1998 : « Le capitalisme malade de sa finance » (1). Frédéric Bonnevay a distingué liquidité et solvabilité. C’est une distinction classique du répertoire économique que les économistes qui n’ont pas oublié leurs fondamentaux conservent. Jusqu’au mois de janvier 2009, quand naquirent les doutes sur les dettes publiques européennes, l’appartenance à la zone euro valait postulat de solvabilité des États membres. À partir de cette date, le schéma a changé, les agences de notation se sont mises de la partie et les souscripteurs ont commencé à douter, au moins de certains pays. Donc le fait même d’appartenir à une zone monétaire dont la monnaie est fortement évaluée ne protège pas complètement. Une monnaie forte vous protège jusqu’au jour où vous êtes abandonné par vos prêteurs et par nos amies les agences de notation dont le pouvoir de nuire ne saurait être sous-estimé. C’est un point essentiel. La crise des dettes européennes révèle que la force de la monnaie n’est pas une garantie absolue. En revanche, ainsi que l’a dit Jean-Pierre Vesperini, une excessive force de la monnaie est une entrave à une nouvelle croissance stable et durable de nos économies.

Dans la salle
Le problème de la création monétaire n’a pas été évoqué. La création monétaire devrait appartenir à l’État. Aujourd’hui les banques privées ont usurpé ce rôle et émettent de la monnaie. Circonstance aggravante, elles le font dans le cadre du crédit, c’est-à-dire qu’elles mettent en circulation de la monnaie qui devrait servir à payer le peuple pour son travail et qui revient aux banques avec des intérêts. Cela crée une situation d’endettement perpétuel qui ne peut que grossir à l’infini. Si, pour rembourser une dette qui arrive à échéance, il faut faire un nouvel emprunt, il n’y a pas de diminution de l’endettement. Au contraire, les intérêts s’ajoutent d’année en année. Contre ce phénomène, on ne peut rien. La solution pour réduire la dette serait la monétisation de la dette.

Nicolas Ravailhe
Je suis venu pour exorciser le fait d’avoir été l’un des organisateurs du « oui » à Maastricht pour le Parti socialiste. De surcroît, j’arrive de Bruxelles !
Je vous écoute parler, avec un certain optimisme, de réponse politique européenne. Les idées que vous émettez sont intéressantes mais je crains qu’elles ne soient purement franco-françaises.

Il y a quinze ans, pour le compte du groupe socialiste, j’avais rédigé avec André Laignel un amendement qui demandait qu’on cessât de financer l’Irlande à 100% par les aides structurelles tant qu’elle pratiquait le dumping fiscal et social. On nous a répondu que l’amendement était caduc parce que contraire à l’esprit européen ! Aucune proposition ne rencontre de volonté politique au niveau européen, faute d’accord. Voyez l’attitude irlandaise, ces jours-ci, à propos de l’IS !

Vous avez cité Siemens, il y a pis : pour avoir travaillé pour la Commission européenne pendant trois ans, après être passé au Parlement européen, je peux vous dire qu’on a financé Boeing, en tant que PME, dans les programmes de recherche et donné 800 000 euros pour étudier la fermentation du vin en Grande Bretagne !

Aujourd’hui, nous, contribuables de l’Ouest, donnons de l’argent à l’Est au nom d’une solidarité que je ne remets pas en cause. Mais, compte tenu des modes opératoires, ce sont des opérateurs économiques américains, coréens, chinois, japonais, qui captent ces sommes. Ils font des effets de leviers fabuleux (c’est de la subvention, pas du haut de bilan), prennent de nouveaux consommateurs et, comme il n’y a plus de barrière douanière, viennent réattaquer les marchés domestiques de nos entreprises, ce qui provoque faillites en cascade en France. Je pourrais multiplier les exemples, c’est aujourd’hui, malheureusement, mon quotidien. Alors, quand je vous écoute, j’ai envie de vous chanter La belle Hélène d’Offenbach, lequel dénonçait déjà, à propos de la Grèce, l’attitude de la France dans le contexte européen. Nous sommes dans la même configuration.

Je vous remercie, Jean-Pierre Chevènement, pour votre courage sur l’Allemagne. Il n’y a pas beaucoup d’hommes politiques français qui disent les choses aussi franchement. Traditionnellement, les Anglais arbitraient les querelles entre la France et l’Allemagne pour qu’aucune des deux ne prenne l’avantage. À l’inverse, les Allemands vont nous laisser nous chamailler aujourd’hui avec les Irlandais, demain avec les Anglais, sur la macroéconomie où les désaccords sont profonds. En effet, tant que le système ne bouge pas, ils continuent à en profiter à plein.

Si le problème est européen, la réponse devrait être européenne mais je crains qu’elle n’arrive pas.

Ne soyons donc pas naïfs et recherchons des solutions françaises sur le plan de la microéconomie. Je veux vous alerter sur un sujet très angoissant : une des réponses internationales de l’Europe à la crise, ce sont les accords de Bâle 3. Ménagés aux États-Unis pour pouvoir financer l’économie réelle, ils ne vont pas s’appliquer dans toute une série de zones du globe mais ils auront des conséquences terribles en Europe et particulièrement en France où les banques, en particulier celles que vous citiez, les banques mutualistes, la Banque postale…, qui jouaient à peu près le jeu de l’économie réelle, ne pourront plus le faire.

Donc, non seulement nous n’avons pas la réponse à laquelle vous appelez sur le plan européen mais la politique d’État, la concurrence, couplées avec les accords de Bâle 3 à la sauce européenne, vont entraîner une catastrophe sur le plan microéconomique avec l’assèchement complet du financement de notre économie, donc de la capacité à faire redémarrer l’appareil de production français (pour autant qu’on le puisse encore).

Jean-Pierre Chevènement
Je veux vous rassurer, nous ne cherchons pas ici un compromis au Conseil européen. Nous faisons des propositions qui pourraient nourrir l’action d’un gouvernement qui s’en saisirait. Vous êtes évidemment un très bon connaisseur de la chose européenne, cela s’entend. Mais nous avions un peu prévu cette évolution, je vous le rappelle.

Quant à la monétisation de la dette, pourquoi ne pas l’envisager ? Je me pose la question.

Jean-Luc Gréau
Ne soyons pas otages des formules. La croissance économique s’accompagne presque toujours d’une expansion de la masse monétaire qui commence à l’échelon des banques commerciales. Elle est plus ou moins entérinée, selon les circonstances, par la banque centrale qui a effectivement un rôle de pilotage, de freinage, d’accélération, de cette expansion. Le problème, c’est que depuis quatre décennies, cette expansion ne sert qu’au secteur privé, principalement à l’expansion des marchés de l’immobilier et des marchés financiers et les États se sont vu interdire le bénéfice, même partiel, de cette création monétaire. Il y a un problème de fond, difficilement soluble parce qu’on atteint un tabou de la doctrine européenne et de nos élites dirigeantes de tous bords, totalement imprégnées de l’idée que tout recours à la monétarisation – ce que j’avais proposé par exemple pour des investissements à caractère écologique – est absolument prohibé. De ce point de vue, nous nous heurtons chaque jour au mur dénoncé par M. Ravailhe qui a travaillé dans les sphères européennes.

Jean-Claude Werrebrouck
Pour rebondir sur cette question et les propositions de M. Quatrepoint, je voudrais rappeler que pendant les Trente glorieuses il y avait en France, pour la gestion de la dette, une règle : la règle des planchers de bons du Trésor. Il est juridiquement obligatoire pour les banques, sous surveillance du Trésor, d’acheter des bons du Trésor moyennant un certain nombre de critères (pourcentage des actifs de la banque etc.). Il faut savoir que la surveillance était quotidienne dans les années cinquante et soixante. C’est un processus de renationalisation qu’à mon tour je propose mais je ne suis pas naïf, je sais bien que ce n’est pas possible car cela suppose de mettre en cause l’indépendance des banques, donc l’indépendance des banques centrales. Mais il faut savoir que cela a existé. C’est par les planchers de bons du Trésor que la France a réussi à sortir de son endettement gigantesque dû à la guerre.

Dans la monétisation, il y a une autre solution qui date de 1915 : le Parlement vote une avance obligatoire de la Banque centrale au Trésor. Pendant la Seconde guerre mondiale, c’était fait toutes les trois semaines.
Je demanderais aussi volontiers que l’on revoie un peu le dispositif dit d’indépendance des banques centrales qui s’est répandu dans les années soixante – soixante-dix comme une traînée de poudre à la surface de la planète. Aujourd’hui, on compte 172 banques centrales indépendantes. Je pense qu’on peut revenir en arrière.

Jean-Pierre Chevènement
Oui, merci, surtout si les événements y contribuent. De ce point de vue-là, je ne suis pas loin de penser comme Nietzsche que L’éternel Retour se produit. L’histoire est assez cyclique.

Jean-Pierre Vesperini
En ce qui concerne les planchers de bons du Trésor, le problème n’est pas seulement l’atteinte à l’indépendance de la Banque centrale, mais celui de la compétitivité des banques dans le monde. Dans un monde où la finance est complètement mondialisée, vous ne pouvez pas mettre une charge sur les banques françaises.

Un jeune homme dans la salle
Modeste étudiant en 5ème année de droit des affaires, je profite de l’occasion d’avoir d’éminents spécialistes en face de moi, notamment Monsieur Chevènement, ancien ministre de l’Intérieur.

On est tenté, quand on veut lutter contre la dette publique de trouver de l’argent là où il existe. À propos des flux financiers, une question est trop souvent occultée. Cette question, c’est le marché noir dans deux grands secteurs : les stupéfiants, la prostitution. Jusqu’à quand va-t-on, au nom de nos valeurs morales, continuer à repousser ces secteurs dans l’illégalité et se priver d’une manne financière qui grandit chaque année. On pourrait évoquer la question des impôts directs sur ces revenus et le coût en matière de police et de justice. Je n’ai pas un point de vue arrêté sur la question mais j’aimerais bien entendre votre position car en ces temps de morosité économique, peut-être faudrait-il trouver l’argent où il se trouve.

Jean-Pierre Chevènement
Comme ministre de l’Intérieur, puisque vous m’avez interpellé, je vous signale qu’en 1999 j’avais donné une mission sur ces sujets difficiles parce que très opaques (paradis fiscaux, trafics en tous genres) à deux parlementaires de la majorité : M. Montebourg et M. Peillon. Vous pouvez consulter le rapport, assez complet, qui a été publié (2). Mais c’est très difficile parce que, par définition, les paradis fiscaux posent le problème des législations dont nous ne sommes pas maîtres.

Jean-Michel Quatrepoint
C’est aussi un problème d’offre et de demande. Il se trouve que je connais un peu le sujet des narcotrafiquants. L’argent du crime organisé est évalué à plusieurs centaines de milliards de dollars par an qui, en cumulé depuis trente ans, représentent plusieurs milliers de milliards de dollars. C’est beaucoup d’argent.

N’oubliez jamais que les plus grands trafiquants de tous les temps ont été les Occidentaux avec l’opium. D’ailleurs, dans la mentalité chinoise, la volonté de revanche sur l’Occident vient aussi de ce qu’ils ont subi pendant les guerres de l’opium. En travaillant sur ce sujet, je me suis aperçu que la famille de la femme de Roosevelt avait fait fortune à Canton dans le trafic de l’opium ! La drogue est donc un problème qui ne date pas d’aujourd’hui.

Les producteurs boliviens ou colombiens ne sont pas les seuls responsables. Les responsables sont aussi les consommateurs des marchés américain et européen. On leur demande d’éradiquer leurs champs de coca pour planter du café. Outre que le café ne pousse pas à la même altitude, le rapport n’est pas le même ! N’oubliez jamais que la CIA s’est financée pendant des décennies avec l’argent de la drogue. Au temps de la guerre du Vietnam, les « opérations noires » étaient menées avec l’argent de la drogue cultivée dans le Triangle d’or par les Méos. Quand l’héroïne a fait place à la cocaïne, en 1980, on retrouve Noriega, un agent de la CIA, laquelle finançait, là aussi, ses opérations noires avec l’argent de la drogue. Castro n’est pas non plus très clair sur cette question.

Tout cela représente beaucoup d’argent qui transite et qui s’investit, et pas seulement dans les paradis fiscaux. La Russie a recyclé beaucoup d’argent de la mafia, à un moment donné.

J’en suis arrivé à me dire qu’il faut vendre la drogue en pharmacie et mettre une TVA dessus. Mais la société française, comme d’autres, n’est pas prête à accepter ce type de mesures. De la même façon, on n’est pas prêts à aller reconquérir les quartiers. Or, dans certains quartiers, le trafic de drogue est, avec les revenus d’assistance, la seule circulation monétaire. Si vous éradiquez le trafic de drogue dans les quartiers, que reste-t-il ? Or, drogues et armes vont ensemble. Je l’ai découvert au Liban dans les années quatre-vingt. Lors de la guerre civile libanaise, à Beyrouth et à Tripoli, les milices s’étripaient mais dans la vallée de la Bekaa, le champ de pavots de la milice Amal jouxtait le champ de pavots des Chrétiens et celui des Sunnites… à dix minutes d’avion d’Israël et des porte-avions de la 6ème Flotte, aucun champ de pavots n’a jamais brûlé car le pavot servait à acheter des armes aux Occidentaux. C’est alors que je me suis dit qu’il y avait quand même quelque chose de pourri dans ce système.

Jean-Pierre Chevènement
Je voudrais revenir sur la proposition qu’a faite Frédéric Bonnevay. Je ne suis pas contre le principe des eurobonds mais, comme l’a dit Jean-Luc Gréau, il ne me paraît pas de nature à résoudre le problème de ces dettes immenses qui se sont constituées. Ce système peut être un moyen de financement de projets d’infrastructures ou de recherche mais il ne répond pas à la question de l’avenir de la dette de chacun des pays en cause. Vous avez mis la barre beaucoup trop haut. On ne peut pas imaginer même qu’autour du noyau franco-allemand – que vous avez évoqué mais qui n’existe pas – d’autres pays pourraient ensuite s’agréger jusqu’à la Grèce et au Portugal. C’est certainement une construction intéressante du point de vue de l’esprit mais je n’y crois pas.

Frédéric Bonnevay
Il s’agit moins d’une proposition que d’un moyen de sauvetage de la zone euro. Il ne faut pas se leurrer : la zone euro aujourd’hui est vraiment en grand risque et si nous n’avançons pas vers davantage de coordination budgétaire, dont cette introduction d’eurobonds pourrait être une modalité, je crois que nous allons très lentement vers une dissolution de la zone euro. Je ne crois pas que nous la souhaitions.

Il ne s’agit certainement pas d’une panacée. L’introduction d’eurobonds ne va pas résoudre d’un coup de baguette magique le problème des endettements souverains en Europe. C’est néanmoins un moyen d’augmenter le contrôle qu’ont les autorités monétaires et politiques sur l’endettement des États. Malheureusement, le sort d’un État ne se décide plus en son seul sein. Le sort de Paris dépend aussi de celui d’Athènes, de celui de Berlin, de celui de Madrid et de celui de Lisbonne. Nous ne sommes plus seuls, la France n’est pas une île.

Enfin, le retour des investissements de long terme est certainement l’une des applications pratiques les plus immédiates de cet instrument.

Ce serait, je crois, un pas dans le bon sens, un pas absolument nécessaire, faute de quoi nous tomberons plus ou moins rapidement dans un gouffre. Néanmoins, ce n’est pas la solution à tous nos problèmes. Il faudra du courage et certainement un tour de vis fiscal.

Jean-Michel Quatrepoint
On peut commencer à faire des OAT perpétuelles et des eurobonds pour des projets d’investissements.

Jean-Pierre Chevènement
Voilà deux propositions auxquelles s’ajoute l’idée d’une certaine monétisation de la dette. Il faudrait permettre à la Banque centrale européenne d’aller plus loin qu’elle ne l’a fait. Elle a acheté soixante milliards d’euros de dette grecque, portugaise, espagnole, irlandaise. Mais la Réserve fédérale a acheté 2 000 milliards lors des opérations QE1(Quantitative Easing) et QE2.
Voilà toutes sortes de propositions innovantes qui nous permettraient d’aller de l’avant, plus sûrement – Monsieur Bonnevay l’a dit à juste titre – qu’avec le Fonds européen de stabilité financière dont le montant est évidemment encore insuffisant.
J’ajoute que la perspective de restructuration des dettes des pays périphériques me paraît un curieux signal envoyé aux acheteurs de dettes publiques. Je ne vois pas comment ces pays pourront emprunter si on commence par parler de restructuration de la dette.

Jean-Pierre Vesperini
Je ferai non pas une proposition, mais une contre-proposition à ce que disait Frédéric Bonnevay en conclusion : « Il faudra… certainement un tour de vis fiscal ». C’est une proposition à laquelle je suis totalement opposé. Si l’on veut définitivement plomber l’économie française et toute perspective de croissance, c’est en donnant un tour de vis fiscal.

Frédéric Bonnevay
À un moment ou à un autre, on ne fera pas l’économie d’une rigueur plus grande dans la gestion de nos finances publiques et d’une plus grande efficacité en matière de taxation. Voilà ce que j’entends par « un tour de vis fiscal », terme il est vrai assez vague que vous me demandez très justement de préciser.

Jean-Pierre Chevènement
Nous partions d’assez loin, nous nous sommes rapprochés. Il reste évidemment quelques divergences mais je ne m’étends pas.
Je remercie particulièrement nos intervenants très brillants.

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1/ Le capitalisme malade de sa finance. Des années d’expansion aux années de stagnation. Coll. Le débat, éd. Gallimard, paru le 23/04/1998.
2/ Rapport n° 2311 (Assemblée nationale) par la mission d’information commune sur les obstacles au contrôle et à la répression de la délinquance financière et du blanchiment des capitaux en Europe (1)
Président M. Vincent PEILLON, Rapporteur M. Arnaud MONTEBOURG, Députés.

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Le cahier imprimé du colloque « Comment faire face à l’explosion de la dette publique? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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