Collectivités territoriales: faire de la politique

Par Patrick Quinqueton, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, conseiller d’Etat, élu local en Lorraine.
Tous les territoires sont interdépendants et posent tous des problèmes de pertinence. Le territoire pertinent, c’est le territoire vécu, en tant que territoire d’appartenance et territoire de référence. Le territoire, c’est un lieu et un lien, mais aussi une durée, qui découle des modes d’exercice de la citoyenneté. Dans cette période de réforme territoriale, on peut se demander s’il y a un territoire plus pertinent qu’un autre.

De l’abolition des privilèges territoriaux (4 août 1789) et des particularismes de provinces (14 juillet 1790), sont nés des départements (loi du 10 août 1871 organisant les départements). Mais dans le même temps, il y a la mise en place des communes sur le territoire des paroisses existantes : subtil jeu d’équilibre entre le vieux et le neuf. Chaque fin de siècle a été depuis la Révolution française le moment d’une réforme de notre organisation territoriale. La fin du XIXème siècle a vu l’élection au suffrage universel du conseil général (loi du 18 août 1871) et du conseil municipal (loi du 5 avril 1884). Et la fin de XXème siècle a vu la grande loi de décentralisation du 2 mars 1982, complétée en 1999 par une forte impulsion en faveur de l’intercommunalité. Il faudrait donc un siècle à notre pays pour prendre toute la mesure de son organisation territoriale et se décider à réinventer.

Rompant avec sa tradition jacobine, la France a engagé une transformation profonde de son mode d’organisation institutionnelle et administrative : établie par le général de Gaulle dès les années 1960, la nécessité de la décentralisation s’est concrétisée en 1982 avec l’impulsion décisive des lois Defferre, c’est l’acte I de la décentralisation.

Le temps de l’organisation du territoire ne doit pas s’inscrire dans l’urgence ou l’immédiateté : elle se fait dans la durée, car cela facilite l’observation, l’analyse et donc de réelles opportunités d’amélioration en profondeur.

De vieilles lunes
Il est aussi nécessaire de déconstruire deux idées fausses concernant la pertinence des territoires et des interventions des collectivités : il n’y a pas « un niveau de trop » entre la commune, le département et la région ; et les dépenses des collectivités ne sont ni excessives ni incohérentes.

Contrairement à ce qui peut être dit et écrit par beaucoup, il n’y a pas un nombre « excessif » d’échelons locaux, notamment au regard de la situation chez nos voisins européens. Dans tous les pays comparables, il existe trois niveaux d’administration territoriale, auxquels s’ajoute l’intercommunalité. La France ne possède pas un système plus compliqué que les autres pays d’Europe. Ces « trois niveaux et demi » se retrouvent en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Pologne. Dans ce dernier pays, qui compte 38 millions d’habitants, depuis le 1er janvier 1999, il existe, comme en France, trois niveaux de collectivités locales : la création, aux côtés des Gminy (commune) – unité administrative de base – de deux types de collectivités territoriales – les Powiaty (districts) et les Voïvodies (régions) – a renforcé le système administratif. Cette nouveauté a permis une véritable décentralisation des compétences publiques, la décision dans le domaine des affaires locales revenant à ces différentes autorités publiques, indépendantes du gouvernement.

Par ailleurs, les dépenses des collectivités territoriales ne sont dans notre pays ni excessives ni désorientées, comme c’est parfois dit assez rapidement. Rappelons que c’est l’Etat et la sécurité sociale – et non les collectivités locales – qui sont à l’origine de l’essentiel du déficit public. En outre, des compétences et prérogatives ne cessent d’être transférées aux collectivités territoriales, mais les moyens d’exercer ces compétences ne sont pas à la hauteur. Si les collectivités ont parfois dépensé beaucoup d’argent, c’est parce qu’elles sont plus sollicitées, et pour des motifs raisonnables : l’amélioration des infrastructures dont la gestion est décentralisée en est un exemple. La rénovation d’un collège ou d’un lycée, cela coûte cher en effet, et les collectivités y ont consacré plus de deux fois plus de moyens que n’y consacrait l’Etat quand il avait encore cette charge.

De vrais sujets
Pour autant, des questions réelles se posent à l’étape que nous traversons. Il faut renforcer l’intercommunalité et rendre plus cohérente la fiscalité locale.

D’abord, plus d’une décennie après la loi sur la coopération intercommunale, il est temps de rationaliser et de renforcer l’intercommunalité de projet. En effet, la loi sur l’intercommunalité du 12 juillet 1999 dite « loi Chevènement » a eu un effet particulièrement dynamique en encourageant sur tout le territoire de la République la création de communautés de communes et de communautés d’agglomération. L’étape actuelle – nécessaire – doit consister à rationaliser les périmètres et à encourager la mise en commun de moyens. Un certain nombre de syndicats intercommunaux pourraient aisément intégrer les communautés existantes. La communauté de communes, la communauté d’agglomération, la communauté urbaine, ce sont en quelque sorte des « coopératives » de communes, qui doivent mieux sélectionner les projets qui résultent de leurs compétences pour « créer du développement ». La réussite de l’intercommunalité est l’un des enjeux de l’heure.

Il faut aussi s’attaquer au désordre des finances locales. Le grand principe – inscrit dans la Constitution à la faveur de la révision constitutionnelle de 2003 – de l’autonomie financière des collectivités territoriales semble bien loin. Mais c’est la modernisation de la fiscalité locale qui est indispensable. La taxe professionnelle a été réformée, de façon discutable, mais c’est toute la fiscalité locale qui est obsolète. Les bases de la taxe d’habitation et de la taxe foncière – c’est-à-dire la fameuse valeur locative cadastrale – sont aujourd’hui évaluées par comparaison avec des locaux semblables qui existaient au 1er janvier 1970. Quand on connaît la véritable révolution qu’a connue le territoire français en un peu plus de quarante ans, il y a urgence à s’y atteler. La révision des bases de ces impôts locaux – tentée mais finalement abandonnée au début des années quatre-vingt-dix – est une urgence. Il faut aussi retrouver un équilibre entre impôts sur les ménages et impôts sur les entreprises. Et, plus que jamais, redonner un caractère prévisible aux recettes et un équilibre entre dotations et impôts est souhaitable. Il y a urgence à poursuivre le chantier de l’actualisation des finances locales.

Des risques réels
Enfin, il faut rester attentif à certaines menaces qui planent sur l’organisation territoriale de la France. Les départements sont un échelon essentiel dont il faut réévaluer la pertinence. Et il faut sauver les maires de la disparition.

En premier lieu la démolition progressive des départements, par un mécanisme de réforme territoriale qui place la compétence des régions et des départements sous la tutelle des régions, par le poids écrasant des métropoles qui engloutissent les départements (et parfois même les régions comme le montre le rayonnement de la ville de Paris). C’est évidemment une mauvaise nouvelle car le département revêt un rôle économique et social d’avenir, tant du point de vue des infrastructures de proximité (routes départementales, liaisons électroniques, etc) que du financement de la dépendance par exemple (c’est en effet le département qui prend en charge l’Allocation Personnalisée à l’Autonomie).

Concernant les communes, auxquelles les Français sont très attachés, il y a également un risque de délégitimation des maires. La diminution de la présence de l’Etat et des services publics sur le territoire est frappante – non pas vraiment dans les banlieues, où ils sont plus présents qu’on ne le dit souvent – mais dans les zones suburbaines et rurales, où les ouvriers et les employés sont les plus nombreux. Le seul recours de beaucoup de nos concitoyens est le maire. Et l’élection directe des présidents d’EPCI (Etablissement public de coopération intercommunale) passerait par-dessus les maires. Or le maire est clairement un point d’identification et un repère pour tous les citoyens français. Il est nécessaire de donner un contenu actuel à une fonction historique et un peu oubliée du maire : la fonction d’agent de l’Etat, de représentant de la collectivité publique dans son ensemble.

Un choix politique
Alors revenons à la question de départ : quel est le territoire le plus pertinent ? Chaque niveau a en fait sa pertinence propre. Il y a un axe de pertinence autour des communes et des départements, fondé sur l’équipement et la solidarité. Il existe un second axe lié au développement économique et à des dynamiques de projet plus profondes, autour de l’intercommunalité et de la région. Il n’y a pas un territoire pertinent, mais il faut des structures pivots qui puissent se fixer des objectifs.

L’essentiel, en fin de compte, est de commencer à faire de la politique dans les collectivités territoriales. Quand il se négociait un contrat de plan à cinq ans entre l’Etat et chacune des régions, il s’agissait de croiser financements, problèmes et enjeux. La formule peut en être renouvelée, en contractualisant autour des compétences structurantes de chacun des niveaux de collectivités territoriales. Les difficultés – notamment financières – que nous traversons n’appellent pas un retrait des collectivités publiques, mais au contraire un investissement en profondeur.

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