Par Pierre Papon, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica. Les fortes contraintes qui pèsent aujourd’hui sur la demande d’énergie (épuisement des réserves, climat, développement des pays émergents) constituent une nouvelle donne énergétique. Celle-ci appelle une politique volontariste, fondée sur une diversification des filières, ainsi que des choix industriels et scientifiques pour préparer l’avenir.
Tous les scénarios énergétiques tiennent compte désormais de ces contraintes. Ainsi, en 2010, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) a-t-elle proposé un scénario volontariste compatible avec les engagements pris lors de la conférence de l’ONU sur le climat à Copenhague (limiter à 2°C le réchauffement de la planète depuis le début de l’âge industriel) : – la consommation mondiale d’énergie ne croîtrait que de 21% d’ici 2035 – la part des combustibles fossiles dans l’énergie primaire passerait de 80% à 63%. Plus récemment, les experts du GIEC (groupe intergouvernemental d’experts du climat) ont proposé un scénario qui fait l’hypothèse que les énergies renouvelables assureraient 77% de la demande mondiale d’énergie primaire en 2050.
Toutes ces contraintes appellent des politiques volontaristes pour économiser l’énergie et remplacer les énergies fossiles par un mix énergétique diversifié (des énergies renouvelables au nucléaire). Si la plupart des scénarios énergétiques « prévoient » une forte croissance de la production d’électricité par des énergies renouvelables, on observera que l’avenir de ces filières dépendra de la possibilité d’une part d’abaisser les coûts des kWh produits (tout particulièrement pour le solaire) et d’autre part de stocker leur production car ces énergies sont intermittentes. De nombreux pays investissent déjà massivement dans ces filières. Ainsi, en 2010, la Chine a investi 55 milliards de dollars dans le secteur (elle est le premier exportateur mondial de panneaux solaires) suivie par l’Allemagne (avec 42 milliards de $) et les Etats-Unis (35 milliards de $ d’investissements – dans son dernier discours sur l’état de l’Union, le président Obama annonçait que les Etats-Unis produiraient 85% de leur électricité en 2035 avec des « énergies propres »). Force est de constater que la France prend le train avec retard (elle est au neuvième rang mondial avec un investissement de 7 milliards de $) et que si elle investit dans le solaire photovoltaïque, c’est en important massivement des panneaux.
Un effort industriel et de recherche est donc indispensable en France pour préparer l’avenir : de nouvelles filières solaires et pour les biocarburants, la mise au point de batteries performantes pour les véhicules électriques, etc. La France a beaucoup d’atouts dans ces domaines mais une stratégie à long terme est nécessaire jouant sur les registres scientifiques, techniques et industriels, mobilisant les organismes de recherche publics et les entreprises, des fonds publics, le FSI notamment, ainsi que les programmes de recherche européens car une collaboration européenne est nécessaire. Les grandes entreprises du secteur énergétique sont bien placées pour participer à cet effort mais il existe tout un réseau de PME dans les domaines du bâtiment (des matériaux permettant des économies d’énergie), de la métrologie (des automatismes pour la régulation) qu’il faut conforter.
Le nucléaire a l’avantage d’éviter l’utilisation d’énergies fossiles et son avenir doit être évoqué après l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, survenu au Japon lors du séisme du 11 mars. Il faudra plusieurs années pour en tirer les enseignements, mais si plusieurs gouvernements, ceux d’Allemagne et d’Italie notamment, ont décidé de « sortir » du nucléaire, sans attendre des études approfondies, il est probable que de nombreux pays (la Chine notamment) ne renonceront pas à cette filière car l’abandon du nucléaire n’est pas une hypothèse réaliste aujourd’hui (elle conduirait à une relance des énergies fossiles). Toutefois, il y aura un nucléaire « avant » et « après » Fukushima. Dans une interview au magazine britannique Nature (21 avril 2011), Laurent Stricker, le président l’Association mondiale des opérateurs de centrales nucléaires, qui fut responsable de la production nucléaire d’EDF, estime que l’industrie nucléaire pèche encore par un excès de confiance dans la sûreté de fonctionnement des réacteurs. Un examen sérieux des zones d’implantation de centrales (vingt et une centrales dans le monde sont implantées dans des zones où plus d’un million de personnes vivent dans un rayon de 30 km autour d’une centrale) et des risques possibles est indispensable (graves catastrophes naturelles, perte simultanée de l’alimentation électrique de plusieurs réacteurs).
La responsabilité des gouvernements est de faire comprendre à l’opinion qu’il n’y a pas de voie royale pour l’énergie dont le renchérissement est inéluctable, et que la nouvelle donne énergétique impose la diversification des filières et d’investir dans la recherche et l’industrie pour préparer l’avenir.
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