Par Baptiste Petitjean, directeur de la Fondation Res Publica. La France subit une désindustrialisation accélérée, dans le contexte d’un euro surévalué, de la concurrence des pays à bas salaires et de l’absence d’un tissu de PME suffisamment capitalisées. Pour éviter un décrochage de longue durée, une politique industrielle vigoureuse s’impose.
Dans la dernière décennie, la surévaluation de l’euro a joué un rôle très dommageable à la compétitivité de l’industrie française. Est-il utile de rappeler que lors de l’introduction des pièces et billets européens le 1er janvier 2002, le change euro-dollar était à 0,8862 ? Il était à la date du 5 avril 2011 à 1,422. Déjà en 1971, John Connally, alors secrétaire d’Etat américain au Trésor, disait : « Le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème ». Cette célèbre phrase n’a pas été démentie, d’autant que la Banque Centrale Européenne, par une absurde politique de taux d’intérêt, a continuellement fait s’apprécier l’euro par rapport aux monnaies concurrentes.
Cette surévaluation pèse certes davantage sur certains pays que sur d’autres. Ainsi les secteurs dans lesquels l’Allemagne enregistre des excédents commerciaux impressionnants sont moins sensibles au taux de change de l’euro. L’Allemagne dispose en effet d’un tissu de PME remarquablement dense, enraciné historiquement dans un capitalisme de type « holiste », puissamment soutenu par un secteur bancaire agissant comme un partenaire de longue durée, et spécialisé technologiquement dans des niches sur lesquels les Allemands dominent le marché mondial.
A contrario la plupart des secteurs d’activité de la France, comme de l’Italie (à l’exception des industries de l’Italie du Nord) ou de l’Espagne, sont très exposés à cette surévaluation.
La France pâtit également d’une faiblesse structurelle dans son tissu de PME industrielles. Ainsi, si le tissu industriel allemand – le fameux Mittelstand – représente 40% des exportations du pays, et les PME et ETI (Entreprises de taille intermédiaires) italiennes comptent pour plus de 60% des exportations italiennes, la part des exportations des mêmes PME et ETI en France s’élève seulement à 24%. Autres chiffres édifiants : au total, environ 2 550 000 entreprises, toutes tailles confondues, existent en France, contre 2 900 000 en Allemagne, et 4 000 000 en Italie. La France comptait avant la crise économique internationale un peu moins de 5 000 ETI ; en 2011, elle n’en compte plus que 4 200, dont la moitié dans des secteurs non exportateurs. Autrement dit, la crise a aggravé la situation déjà préoccupante du tissu productif français.
En France, seules nos multinationales – plus nombreuses qu’en Allemagne – sont actuellement en capacité de faire face aux défis de la globalisation. Mais elles ne sont pas assez impliquées dans la construction de partenariat de longue durée avec les PME industrielles, qui pourraient pourtant être des vecteurs d’innovation technologique de première importance. Bien entendu, un environnement plus favorable à l’industrie et à l’entrepreunariat devrait être un élément clé d’une politique industrielle rénovée. Ainsi une réorientation de la formation des élites du pays vers la recherche et l’Industrie devrait être engagée, en particulier des jeunes ingénieurs, aujourd’hui trop dirigés vers les métiers de la finance et de la banque. Les jeunes diplômés des grandes écoles et les doctorants doivent être encouragés et soutenus afin que se multiplient les start-ups, qui sont les laboratoires de l’innovation de demain. On dénombre 3 fois moins de créations de start-ups en France par rapport aux Etats-Unis, mais aussi 2 fois moins de brevets déposés. Un « brain drain » interne à l’économie française et un soutien aux jeunes entrepreneurs aurait un puissant effet d’entraînement sur nos PME industrielles.
Une simplification de la législation sociale et fiscale, respectueuse des droits des salariés, pourrait également être menée afin qu’elle soit plus favorable à la prise de risques et à l’investissement dans les PME industrielles.
Le problème historique de sous-capitalisation des PME industrielles françaises devra être pris en charge par la montée en puissance d’une banque publique d’investissement (BPI) – regroupant les moyens de la Caisse des dépôts et le Fonds stratégique d’investissement. La BPI financerait les PME innovantes et prendrait des participations permettant de structurer les filières d’avenir. La CDC Entreprises (filiale du groupe Caisse des Dépôts) finance ainsi déjà environ 2 500 entreprises, dont plus de 300 entreprises nouvelles en 2009. Quant au Fonds Stratégique d’Investissement, les investissements décidés en 2010 et les fonds qu’il finance ont concerné 426 entreprises, pour un montant total de 2,4 milliards d’euros. Ces premiers pas doivent être puissamment amplifiés, et accompagnés de mesures complémentaires.
La France ne manque en effet pas tant d’atouts que d’une vision ferme de ses priorités industrielles et technologiques, ainsi que d’une défense plus lucide de ses intérêts stratégiques. Plusieurs secteurs clés ne doivent pas être abandonnés : l’industrie agroalimentaire, via notre production et notre savoir-faire agricoles ; la construction ; l’industrie de défense, car elle irrigue plusieurs branches industrielles, et l’Allemagne est moins concurrente en ce domaine, réticente qu’elle est à toute politique de premier plan en matière de défense nationale ou européenne. La France devra se repositionner sur d’autres secteurs comme l’automobile, en perte de vitesse depuis quelques années. Fleuron de l’industrie française pendant des décennies au XXème siècle, le secteur automobile souffre du rattrapage et de la concurrence rude des pays à bas coûts salariaux. En effet, ce sont les grands « émergents » asiatiques – désormais bien émergés ! – qui gagnent le plus de parts de marché. Notre industrie, pour rebondir, doit également investir massivement dans les nouvelles technologies et ne saurait laisser passer le train des secteurs d’avenir tels que les nanotechnologies, la biochimie, la biotechnologie, le numérique (logiciel, électronique), ou encore l’éco-industrie. Il faut enfin que la France conserve sa position de premier plan dans les secteurs de l’aéronautique et du spatial. Ces chantiers gigantesques représentent autant d’occasions de remettre la France sur le chemin de la croissance et de la réduction du chômage. En effet, à l’horizon 2015, tous ces secteurs devraient recruter des milliers de salariés et compenser les nombreux départs en retraite de la génération du baby-boom.
Pour faire face au déclinisme ambiant selon lequel la France serait condamnée à abandonner son industrie et à devenir une puissance économique intermédiaire, il faut faire preuve de volontarisme. Au lieu d’attendre que nos concurrents se saisissent de nos parts de marché, et que l’existence même de la zone euro porte en elle ses propres effets de convergence, il faut agir sur les règles du jeu, afin d’offrir l’occasion à la France de relever son industrie. C’est la survie d’une France industrielle, actuellement prise en étau entre les pays à bas coûts salariaux et un yuan sous-évalué d’une part, et les Etats-Unis utilisant l’arme du dollar faible, qui est en jeu.
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