Le lien entre enseignement supérieur et recherche
Intervention de Ronan Stephan, Directeur général de la Recherche et de l’innovation au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, lors du colloque « Quelle université française pour demain? », tenu le 13 septembre 2010.
La production et la formation de connaissances sont les deux faces d’une seule et unique pièce, ce qui signifie que la recherche, l’accès à la recherche, la possibilité pour des jeunes, dans des conditions acceptables, motivantes, enthousiasmantes, d’être formés sur les sujets qui font l’économie d’aujourd’hui et de demain est une nécessité. On a certainement beaucoup à inventer en matière d’espaces pédagogiques, d’espaces d’échanges entre le monde de la recherche, le monde de la formation et la sphère privée. Ceci pour répondre brièvement à votre propos liminaire.
Les réformes ont déjà été largement commentées par d’autres intervenants. Elles visent deux objectifs prioritaires et peut-être un troisième qui relie les deux premiers.
Le premier objectif est l’accroissement du niveau de qualification au sens large, du niveau de qualification professionnelle, donc de la capacité d’insertion des jeunes, avec une cible – qui a été quelque peu brocardée – de 50% d’une classe d’âge au niveau de la licence. Chacun sait que nous en sommes loin, pour toutes les raisons qui ont été évoquées.
Le deuxième objectif est le développement de la recherche, challengée en permanence avec des enjeux sociétaux, des enjeux de compétitivité, des articulations technologiques, de manière à élever le niveau potentiel de croissance de notre pays.
Entre les deux, l’objectif est naturellement la capacité de diffusion de ces recherches – et de ceux qui sont formés pour diffuser leurs résultats – entre la sphère publique d’une part et la sphère privée de l’autre, étant entendu, là aussi, que les frontières deviennent beaucoup plus perméables qu’elles ne l’étaient. Les investissements d’avenir, notamment, montrent le début d’une forte continuité et d’une réelle osmose entre recherche privée et recherche publique.
Le premier objectif était donc de créer des conditions permettant de combler le retard existant. À propos de ce retard, on a évoqué un certain nombre de comparaisons internationales qui ont pu servir de références. Selon moi, il n’y a pas de querelle véritable sur les chiffres, sur les nombres, sur les masses. Si Harvard, MIT, Oxford, Cambridge … sont des maisons relativement importantes, avec un nombre important d’innovateurs potentiels, c’est-à-dire de jeunes dans des formations doctorales, Caltech (California Institute of Technology), qui, elle aussi, recèle énormément de prix Nobel, est une petite université de 2 200 étudiants dont environ 1 500 doctorants. Des équipements structurants de standing international qui jouxtent cette université sont des lieux d’innovation technologique. Il serait faux de croire que la physique des hautes énergies, la physique nucléaire, constitue le corpus unique de formation à Caltech. Je parlais tout à l’heure d’espaces de coopération entre les besoins exprimés par la société, par l’industrie, la capacité de formation et le potentiel de créativité des chercheurs ou des apprentis chercheurs. Caltech est un bon exemple d’un véritable centre d’innovation permettant de développer ces aptitudes sur des sujets technologiquement très élaborés qui correspondent à des réponses attendues dans le monde réel. Donc, à nouveau, on voit bien que, à défaut de taille importante, il existe d’autres possibilités, d’autres modalités tout à fait vertueuses – parce qu’elles remplissent ou satisfont les objectifs visés – permettant de former en adéquation avec le milieu privé.
Je reviens à la structuration du paysage national, structuration de plus en plus autonome et de plus en plus libre. On a déjà évoqué le Pacte pour la recherche de 2006, avec la création des PRES, des RTRA (Réseau Thématique de Recherche Avancée), des RTRS (Réseau Thématique de Recherche et de Soins) … L’importante réforme de l’université se met en place : Au 1er janvier 2011, 90% des universités françaises auront adopté la loi LRU qui, effectivement, leur donne une liberté beaucoup plus grande de détermination et d’expression de leur stratégie. Elles peuvent choisir les modalités de cette expression, même si, comme l’ont rappelé Axel Kahn et Bernard Ramanantsoa, se pose la question des moyens pour challenger les meilleurs à l’international. Il y a une dizaine de jours, j’étais à l’université du Wisconsin à Madison, une université pluridisciplinaire du Midwest, relativement réputée puisqu’elle est 17ème dans le classement de Shanghai (quel que soit le crédit qu’on accorde à la métrique du classement). Elle dispose d’un budget de 4,2 milliards de dollars et une capitalisation au moins du même niveau dans ses fondations ! Je ne suis pas convaincu que la réforme des droits universitaires ou des coûts, des fees , dans les grandes écoles résolve le problème : un rapide calcul montre qu’elle couvrirait à peine à un milliard… restent 3,2 milliards à trouver. Cette somme provient, non seulement du privé, mais aussi de la gestion territoriale (en l’occurrence au niveau d’un État) d’un certain nombre d’infrastructures qui génère des recettes capitalisées avec beaucoup de soin par les universités pour créer un trésor de guerre tout à fait significatif. Je m’arrête là-dessus mais je ne suis pas convaincu que – comme vous le disiez d’ailleurs fort justement – les méthodes venues d’outre atlantique soient les seules. Le modèle asiatique, tout à fait différent, fonctionne aussi de manière extrêmement significative, d’autant que des taux de croissance extrêmement élevés permettent de financer des investissements très conséquents dans les universités et les centres de recherche.
L’effort pour créer plus de réussite des étudiants dans l’enseignement supérieur est à prendre extrêmement au sérieux.
Je viens de l’industrie privée. Pendant la quinzaine d’années passées dans un grand groupe international français, j’ai toujours été surpris par l’aptitude de nos collègues anglo-saxons, gestionnaires ou administratifs, à savoir parler de technologie sans avoir suivi de cursus particulier. Les ingénieurs et les scientifiques eux-mêmes savent le plus souvent, à un âge relativement précoce, lire et comprendre un compte d’exploitation et un bilan. Ce n’est pas le cas chez nous. Cela signifie que ces compétences sont acquises dans les premières années d’université ou dans l’équivalent des classes secondaires. Ceci démontre l’importance des formations généralistes. La spécialisation à outrance avant d’entrer dans les cursus supérieurs nuit considérablement à l’installation des personnes dans leurs entreprises. J’évoque cette expérience pour insister sur la nécessité de donner aux jeunes gens, avant ou après le bac, une vraie formation générale afin qu’ils s’insèrent mieux dans un environnement compétitif national et surtout international.
Je voudrais insister sur un autre point. On déplore souvent le déficit d’interactions entre le public et le privé : il y a peu de transferts de technologies réussis entre les laboratoires publics et les centres de développement et d’industrialisation privés. M. Bloch nous disait que nous ne sommes pas très bons en matière de brevets. Nous ne sommes pas beaucoup plus mauvais qu’ailleurs mais la culture du brevet – je parle de la recherche publique – a été jalonnée par un certain nombre de réformes. Jusqu’à la fin des années 90, les brevets ont été largement pris par les entreprises dans le cadre de coopérations, à l’exception d’une période, Monsieur le ministre, au début des années 80 où, des établissements publics comme le CNRS avaient pris une posture tout à fait particulière et développé la prise de brevets mais ça s’est ensuite pas mal étiolé. Aujourd’hui, la situation évolue et le nombre de brevets solides est aussi important qu’ailleurs. Les ratio de réussite des brevets sont parfaitement identiques entre la France et des pays souvent pris comme modèles, comme la Finlande, le Danemark, la Suède ou les États-Unis : un brevet sur une dizaine s’autofinance, un brevet sur cent permet de financer la grappe de brevets qui est autour de lui et un brevet sur mille rapporte le jackpot. Par conséquent, à défaut de portefeuilles de brevets très importants – donc très coûteux – il y a assez peu de possibilités d’en tirer beaucoup de revenus pour un établissement ou un organisme.
Un transfert de technologie réussi n’est pas simplement la cession d’un brevet ou d’une licence, c’est aussi un accompagnement sous forme d’un partenariat et c’est surtout la capacité à « fournir » les personnels qualifiés aptes à diffuser les innovations au sein du tissu industriel – ou du tissu économique au sens large. L’industrie aéronautique, à l’avènement des matériaux composites, pour remplacer le métal, s’est trouvée un jour confrontée à la nécessité d’avoir des personnes capables de diffuser ces connaissances techniques dans le tissu de la sous-traitance des grands donneurs d’ordres de l’aéronautique. Mais on avait oublié d’en former… Les besoins ne concernent pas seulement des formations de doctorats, de masters ou de licences. Des formations beaucoup plus courtes sont tout à fait nécessaires et appelées, avec de vrais emplois, par les entreprises.
L’université de demain devra certainement lutter encore pour corriger ces déficits d’organisation dont M. Ramanantsoa disait qu’ils sont invoqués pour masquer la difficulté à mettre dans l’enseignement supérieur des moyens consistants. Toute réforme nécessite des organisations nouvelles. Je ne dirai pas que nos établissements sont mal organisés, mais ils étaient organisés dans un schéma donné et ils sont en train de se réorganiser dans un contexte plus autonome où ils ont beaucoup plus de responsabilités. Il est clair que les transferts de l’État vers les établissements d’un certain nombre d’obligations doivent s’accompagner de compétences capables de les porter. La question des moyens est une question réelle. Il faudra trouver des solutions.
Dans le cadre des projets qui aujourd’hui se mettent en place dans les investissements d’avenir, il faut prévoir une couche de nouveaux leviers d’exception en matière de structuration. Je reviendrai sur ce que je connais le mieux : les coopérations, les partenariats entre le public et le privé qui vont se mettre en place, certes, dans les instituts de recherche technologique et dans les instituts d’excellence sur l’énergie, mais aussi dans les IHU (1). En matière de recherche technologique, on voit que, dans la majeure partie des projets qui commencent à éclore, la dimension de la formation prend une place très importante. Nous sommes dans un paysage en recomposition, les conditions sont créées pour que le rattrapage du retard puisse être effectif. De nouveaux outils tout à fait originaux sont en train de se mettre en place : de nouveaux outils de financement de l’innovation, de la maturation et des résultats de la recherche qui ne fonctionneront que si des jeunes bien formés peuvent être associés à ces projets, peuvent en être les acteurs, les créateurs. Ces conditions sont suffisamment enthousiasmantes pour qu’on s’y attelle et que nos établissements y trouvent une voie de développement. Il n’y a pas d’établissement trop gros ni trop petit, tout dépend de ce que l’on veut faire.
Je vous remercie.
Marie-Françoise Bechtel
Merci beaucoup. Pour vous, finalement, la relation entre enseignement supérieur et recherche est une relation apaisée qui ne pose pas de problèmes particuliers. Vous avez focalisé votre propos sur la fonction recherche en soulignant, d’ailleurs, l’importance de la question des moyens. J’aurais eu des questions à vous poser, notamment sur le rôle de l’Agence d’évaluation de la recherche et sur les fondations-recherche mais je censure mes propos en raison des contraintes de temps.
Nous avons parlé de l’attractivité, nous avons parlé du rayonnement international de l’université. Le Professeur Axel Kahn a souligné une double contradiction : d’une part, la compétitivité propre des universités risque de les mettre en concurrence, entraînant la dévalorisation de certaines d’entre elles. D’autre part, l’université, en tant que service public, a le devoir d’assumer sa mission « démographique » au moment où il lui faudrait « resserrer les rangs » pour conquérir un degré suffisant de rayonnement international. Mais il faut, a-t-il conclu, me semble-t-il, regarder la compétition ou la compétitivité dans le cadre de l’ensemble du problème de l’enseignement supérieur et non pour quelques universités en elles-mêmes et par elles-mêmes.
Je vais donner la parole à Ghislaine Filliatreau, chercheur en biologie, directeur de l’Observatoire des sciences et des techniques.
Vous êtes intervenue récemment, d’une façon particulièrement intéressante et pertinente, dans une table ronde organisée par le Sénat sur la question un peu provocatrice : « Oublier Shanghai » (2).
Nous vous remercions de nous faire profiter de votre expertise sur ce très redouté classement de Shanghai. Derrière lui s’en profilent d’autres dont l’un, je crois, vous paraît plus pertinent.
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1) Un Institut hospitalo-universitaire (IHU) est un centre et une filière d’excellence au sein de l’hôpital et de l’université qui s’appuie sur un ou plusieurs services de soins reconnus, des équipes de recherche biomédicale de réputation mondiale, un enseignement universitaire de qualité, une valorisation efficace des découvertes efficace avec de la recherche partenariale et translationnelle.
2) Oublier Shanghai : Classements internationaux des établissements d’enseignement supérieur – Actes du colloque organisé le 6 mai 2010 Rapport d’information No 577 de MM. Jacques LEGENDRE et Joël BOURDIN, fait au nom de la commission de la Culture, de l’Éducation et de la Communication et de la Délégation sénatoriale à la prospective
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