Accueil de Marie-Françoise Bechtel, Vice-présidente de la Fondation Res Publica, lors du colloque « Quelle université française pour demain? », tenu le 13 septembre 2010.
La publication dans un grand journal populaire daté de ce jour de quatre pages dont la page de couverture, consacrées au retour de l’Université – la « fac » – dans les choix des bacheliers ainsi que son nouveau pouvoir d’attraction nous met d’emblée au cœur du sujet que nous traitons ce soir.
La Fondation Res Publica a désiré se pencher sur la question de l’avenir de l’Université française parce que celle-ci, sans doute, se trouve à un tournant et parce que cet avenir est une question fondamentale pour notre société mais aussi pour le rayonnement de notre pays à l’extérieur.
La publication annuelle de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques) « Regards sur l’éducation » (1), parue il y a quelques jours, met spécialement l’accent cette année sur la question de l’investissement dans l’enseignement supérieur et sur ses effets.
L’OCDE défend le point de vue suivant : alors que la concurrence s’intensifie sur le marché mondial de l’éducation, les États doivent viser une qualité de niveau international pour leurs systèmes éducatifs afin d’assurer une croissance économique à long terme : « Face à une récession mondiale qui continue de peser sur l’emploi, l’éducation constitue un investissement essentiel pour répondre à des évolutions technologiques et démographiques qui redessinent le marché du travail. »
Des constats récents, poursuit l’étude, montrent tout l’intérêt d’investir dans l’enseignement. Les jeunes peu qualifiés ont été durement touchés au cours de la crise économique, notamment ceux qui n’ont pas terminé leurs études secondaires, et dont le taux de chômage a augmenté de près de cinq points de pourcentage dans les pays de l’OCDE entre 2008 et 2009.
Par comparaison, le taux de chômage des diplômés du supérieur a augmenté de moins de deux points de pourcentage pendant la même période.
Pour mesurer les défis essentiels qui se posent aujourd’hui à notre université en tant qu’elle est le cœur de l’enseignement supérieur français, nous avons fait appel, dans l’esprit qui anime la Fondation, à des spécialistes éminents qui défendront des points de vue peut-être convergents, peut-être contrastés, mais nous pensons que seule la vue large des choses que chacun d’eux peut apporter est de nature à permettre un diagnostic et si possible un pronostic fondé sur une vision de l’intérêt général.
Avant de leur passer la parole, je dirai seulement quelques mots qui, nous sortant provisoirement du présent et du futur, pointeront ici la juste place qu’il faut laisser à l’histoire.
Les grandes institutions de notre pays, et notamment les plus anciennes, vivent et se développent sur le fondement de leurs caractères propres. Cette observation s’appliquerait à l’institution judiciaire ; elle s’applique certainement à l’université. Cela n’empêche pas les changements, mais cela les façonne aussi pour partie, qu’il s’agisse du degré de résistance de certains principes, ou des carences devenus si patentes qu’elles appellent nécessairement une réforme.
De l’histoire fort ancienne dans laquelle notre Université plonge ses racines, il me semble qu’il faut mentionner deux des traits spécifiques que sont le corporatisme reconnu face au pouvoir d’État et la liberté académique qui a d’abord dû s’imposer face au pouvoir spirituel.
Ce sont bien en effet ces deux traits qui ont façonné l’Universitas magistrorum et scholarium créée sous Philippe Auguste dans une période qui devait aussi voir naître l’université de Bologne et celle d’Oxford.
Il est frappant tout d’abord de voir que la charte royale reconnaissant les privilèges des écoliers du quartier latin en 1215 prend acte de la liberté de comportement de ceux-ci – prompts dès cette époque à manifester dans les rues – et oblige même le prévôt de Paris à s’engager lorsqu’il prend ses fonctions à respecter ces privilèges. C’est un peu comme si le Préfet de police de Paris devait, dès sa nomination en Conseil des ministres, venir prêter serment devant une instance (je ne sais laquelle d’ailleurs, peut-être le Conseil national des universités ?), pour jurer de respecter le droit des étudiants de manifester. Il est vrai qu’une telle procédure ne serait guère utile … En tout cas, dans les luttes estudiantines qui ont contribué à fédérer cet ensemble d’écoles préexistantes qui devaient devenir l’Universitas studii pariensis, on regardera comme piquant, mais peut-être significatif, le fait que la révolte récurrente des écoliers ait porté sur la cherté du logement étudiant, lourdement taxé par la bourgeoisie qui leur louait leur gîte.
De l’autre côté, c’est contre l’évêque de Paris que l’université a dû lutter afin d’être reconnue comme un corps ecclésiastique certes, mais jouissant d’une liberté importante dans l’octroi de la licentia docendi, ainsi, plus largement, que dans la sphère de l’enseignement et des examens.
C’est donc de haute lutte, même si le comportement royal et papal n’a pas été très agressif à l’origine, et depuis des temps fort anciens, que notre université a décrété sa liberté, tant dans sa dimension corporatiste que dans la définition d’un savoir académique, désintéressé et non soumis à quelque pouvoir que ce soit. Faut-il dès lors s’étonner de ce que par sa décision du 20 janvier 1984 sur la loi Savary, le Conseil constitutionnel ait reconnu dans l’indépendance des professeurs d’université un principe de valeur constitutionnelle ? Quoi que l’on puisse penser de cette décision et des domaines auxquels elle s’est appliquée, il est clair que le principe « constitutionnel » en cause remonte à des temps très anciens.
Quant à l’histoire plus récente, je me bornerai à constater que notre université a fait l’objet au cours des siècles de nombreuses réformes dont aucune n’a vraiment réglé le problème de sa place dans l’enseignement supérieur et encore moins dans la recherche.
Passons sur la réforme impériale de 1808 qui a certes donné le monopole de la collation des grades mais a surtout créé les lycées, les réformes de Victor Cousin sous la Restauration, puis celles de la III° République, influencées par le modèle allemand mais qui n’ont pas résolu la question centrale du lien enseignement-recherche. La réforme Edgar Faure en 1968 tend vers une certaine autonomie conforme à l’esprit du temps. La réforme Savary crée le statut d’enseignant-chercheur mais les importantes modifications de structures qu’elle apporte et que le ministre de l’Éducation qui est assis au premier rang a eu en charge de mettre en œuvre, ne résolvent pas de nombreuses questions, comme la disparité des filières et celle des établissements et organismes en charge de la formation.
Aujourd’hui, et compte non tenu de la réforme récente dont nous allons tenter dans quelques instants d’évaluer les effets, on peut, sans trop caricaturer voir dans l’Université le siège de plusieurs paradoxes:
– Faite pour accueillir une masse d’étudiants sans sélection, elle ne produit en même temps que (trop) peu de diplômés avec, selon les chiffres donnés par D. Bloch dans son ouvrage « École et démocratie » (2), un stock de 27% en 2007 de diplômés de l’enseignement supérieur, toutes formations et filières confondues. Or ce stock porte sur une population de 25 à 64 ans, ce qui veut dire que les plus anciens ont été formés autour de 1968, époque où tout de même l’enseignement de masse existait déjà même si c’était à un degré moindre par rapport aux décennies suivantes.
– Créée pour universaliser le savoir et la formation, elle n’est et ne reste qu’une part du paysage d’ensemble de l’enseignement supérieur. Les grandes écoles, avec des aléas, sont au total restées solidement implantées dans notre pays et, si la légitimité de leur maintien passe peut-être par des réformes à venir, celles-ci ne pourront, me semble-t-il, se faire sans que soit posé le problème de la sélection.
Normalement faite pour la formation des élites, comme c’est le cas dans la plupart des autres pays occidentaux, l’université subit la concurrence des grandes écoles alors que c’est elle qui produit les meilleurs maîtres.
– Enfin, faite aussi bien pour la diffusion du savoir que pour le développement de la recherche, elle bute, là aussi, sur des concurrents de taille, alors que des réformes multiples n’ont guère réussi à unifier ni peut-être à harmoniser les lieux de recherche.
La loi LRU (Libertés et Responsabilités des Universités) de 2007 porte-t-elle le fer où il le faut ? Crée-t-elle des conditions de fonctionnement efficaces ? Résout-elle la question du lien entre recherche et enseignement supérieur, celle de la professionnalisation et des débouchés ? Enfin crée-t-elle les synergies utiles à l’intérieur d’un paysage de l’enseignement supérieur qui, avec les universités, les établissements spécifiques et les grandes écoles nous est particulier, ce qui ne préjuge pas de sa validité mais laisse apparaître où se situent les problèmes ? Nous met-elle en situation d’affronter dans de bonnes conditions la compétition internationale de plus en plus vive, perçue par la plupart des pays – le rapport de l’OCDE le montre – comme un défi majeur ?
Pour ce diagnostic, suivi – peut-on espérer – d’un pronostic, je me tournerai vers le professeur Axel Kahn pour lui demander comment il voit l’état des lieux et l’avenir.
Il pourrait être suivi de l’intervention du professeur Lichtenberger qui, fort de son expérience d’ancien président de PRES (Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur), décrira peut-être le nouveau paysage universitaire.
Après lui, Daniel Bloch pourra traiter des formations professionnalisantes et du défi que posent notamment les formations courtes dans notre enseignement supérieur.
Puis Bernard Ramanantsoa parlera du lien entre universités et grandes écoles ainsi peut-être que des défis particuliers posés ces temps-ci aux grandes écoles et dont certains ont un peu défrayé la chronique.
Nous entendrons ensuite Ronan Stephan qui présentera le lien avec la recherche : avons-nous pu, avons-nous su reconstituer un lien organique entre enseignement et recherche ? Qu’en est-il de ce lien ? Quels sont les défis de demain ?
Et, pour finir, nous entendrons Ghislaine Filliatreau qui nous parlera des fameux classements internationaux, de la manière dont ceux-ci ont posé un défi à notre université, de la façon dont celle-ci peut les relever et aussi, en arrière-plan, du rayonnement international de l’université française.
Faut-il présenter le professeur Axel Kahn?
Éminent généticien, chercheur de très haut niveau, ancien directeur de recherche à l’Inserm, directeur de l’institut Cochin, depuis 2007, vous êtes président de l’Université Paris-Descartes. Le grand public vous a découvert à l’occasion d’un certain nombre de débats qui ont pu tourner autour des progrès de la génétique, qu’il s’agisse des progrès sur l’embryon humain ou de l’affaire des OGM. Mais ce n’est pas à ce titre que vous intervenez ici.
Je vous donne donc la parole sur le premier aspect des choses : après la réforme de 2007, quel est l’état des lieux, quel est le diagnostic et quel est votre pronostic ?
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1) Conçue pour permettre aux pays d’évaluer la performance de leur système d’enseignement à la lumière de celle d’autres pays, l’édition 2010 de Regards sur l’éducation : Les indicateurs de l’OCDE présente une imposante batterie d’indicateurs actualisés et comparables sur les résultats des systèmes éducatifs. Ces indicateurs sont le fruit d’une concertation entre spécialistes sur la façon de mesurer l’état actuel de l’éducation à l’échelle internationale.
2) Daniel Bloch : École et démocratie. Pour remettre en route l’ascenseur économique et social. Presses universitaires de Grenoble, mai 2010.
3) Loi no 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités (dite loi L.R.U. ou loi Pécresse).
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