En finir avec les idées reçues sur les exportations de l’industrie française
Intervention de François David, Président de la COFACE, lors du colloque « Stratégie des grands groupes et politique industrielle française » tenu le 12 avril 2010.
Je voudrais revenir sur ce sujet parce que je crois qu’on se trompe complètement.
Si vous lisez la presse étrangère, vous constaterez qu’on n’y parle de déficit commercial nulle part. Pas une ligne sur le déficit commercial britannique dans le Financial Times ; rien non plus sur ce thème dans la presse espagnole ou américaine.
La notion de déficit commercial, pour mesurer la compétitivité d’un pays, n’a plus de sens. Le déficit commercial mesure la différence entre les importations, qui dépendent de la consommation chez nous, et les exportations, qui dépendent de la consommation chez les autres. Ces deux flux n’ont donc aucun rapport l’un avec l’autre.
À l’époque du franc – et des ministres du commerce extérieur prestigieux – le déficit commercial était gênant, il constituait la « contrainte extérieure » et comportait un risque de dévaluation. Aujourd’hui, 70% de nos échanges se font dans la zone euro, il n’y a plus de risque de dévaluation, plus de contrainte extérieure.
En quoi un déficit prouve-t-il qu’on n’est pas compétitif ? Jean-Michel Quatrepoint a parlé tout à l’heure de l’extraordinaire expérience chinoise, devenue en quelques années le premier exportateur mondial. Savez-vous que le mois dernier la balance commerciale chinoise a été déficitaire ? Le prix des importations, des matières premières notamment (cuivre, pétrole…), a augmenté de manière considérable, ce qui n’a rien à voir avec la politique économique chinoise.
Arrêtons donc de nous polariser sur ce déficit qui n’a plus de sens aujourd’hui.
La stratégie des firmes repose sur la vente, bien sûr, mais aussi sur l’investissement à l’étranger. Les firmes qui, demain, seront présentes sont celles qui investissent. Or les investissements à l’étranger ne sont pas pris en compte dans le solde commercial.
Cessons aussi de nous focaliser sur l’Allemagne. Nos amis des médias (sauf Jean-Michel Quatrepoint, un journaliste exceptionnel) ont le tort de pratiquer en permanence la comparaison avec l’exception. L’Allemagne est une exception. Est-ce qu’on se compare aux autres pays européens ? Si la France, l’an dernier, a eu un déficit de 45 milliards d’euros, le déficit de la Grande-Bretagne a été de 130 milliards d’euros et le déficit espagnol de 120 milliards d’euros, ce qu’on ne lit nulle part. On ne peut pas toujours se comparer à l’exception, il faut se comparer à ce qui est comparable.
Parlons un instant de l’Allemagne, deuxième exportateur mondial, dont l’économie repose sur l’exportation.
En 2009, lorsque le commerce mondial s’est effondré de 12%, l’Allemagne a connu une chute de son PNB de 5%, la plus forte de toute l’Europe. Ce qui peut être une force en période de croissance peut être un problème en période de crise.
On nous dit que l’excédent de l’Allemagne est dû à l’exceptionnelle qualité de ses produits. Or l’Allemagne fabrique des produits de milieu de gamme industrielle : voitures, machines outils. Que sera l’économie allemande dans vingt ans ? La part des produits de haute technologie dans le commerce extérieur français est supérieure à ce qu’elle est en Allemagne. L’exportateur de demain sera technologique. L’Allemagne, dans vingt ans, sera concurrencée très sévèrement sur ses produits industriels par la Chine, la Corée et les autres. C’est déjà le cas pour l’automobile. Les pays émergents fabriqueront aussi des machines-outils. Le made in Germany qui fait la force de l’économie allemande sera très fortement concurrencé dans les années qui viennent.
L’Allemagne exporte la Touareg, formidable voiture fabriquée à 90% en Slovaquie, une production qui n’apporte pas grand chose à l’emploi allemand.
Sur les cinq dernières années, les entreprises françaises ont investi à l’étranger trois fois plus que les entreprises allemandes. Le bon investissement à l’étranger est l’investissement commercial. L’investissement industriel peut délocaliser, l’investissement commercial assure la pérennité de la croissance. Les Allemands n’investissent pas commercialement à l’étranger. L’exception à laquelle nous ne cessons de nous comparer pourrait demain connaître des désillusions.
Si nous voulons parler du commerce extérieur, intéressons-nous à nos expériences à l’exportation.
Le chiffre pertinent est le montant des exportations par habitant. Or, de ce point de vue, le premier exportateur mondial, parmi les grands pays, est l’Allemagne, suivie de la France. Un Français exporte 60% de plus qu’un Américain, 40% de plus qu’un Japonais, 35% de plus qu’un Espagnol, 20% de plus qu’un Italien ou un Anglais. Nous sommes de grands exportateurs.
On nous objectera que notre part du marché mondial a baissé. En effet, la part des exportations françaises est passée de 4,7% du commerce mondial à 4%. Tous les pays occidentaux ont vu leur part baisser car la Chine a pris des parts de marché à tout le monde. S’il est préférable d’avoir un excédent qu’un déficit – car un excédent rapporte des points de PNB – un déficit n’est pas un critère de compétitivité.
Quel est le problème de l’exportation française ?
Elle repose sur deux piliers : les très grandes entreprises et des PME trop peu nombreuses. Il nous manque le Mittelstand, ces grosses entreprises moyennes qui font la force de l’économie allemande. Le patron d’une PME de 50 personnes ne peut distraire pendant un an les dix personnes nécessaires pour conquérir le marché chinois. En revanche, une entreprise de cinq cents personnes peut consentir cet effort. Il faut donc, c’est un sujet bien connu, augmenter la taille de nos PME.
Trois modèles économiques coexistent en Europe : le modèle dépensier (la France ou l’Italie) dont la croissance dépend de la consommation, le modèle épargnant (le modèle allemand) dont la croissance dépend à la fois de l’industrie et de l’export, enfin le modèle des pays en transition (Portugal, Grèce etc.) qui sont dans une situation plus difficile. On peut se demander si les purges que l’on veut infliger à la Grèce seront vraiment efficaces. Sauvera-t-on un pays pauvre en lui faisant payer des intérêts exorbitants ou en lui imposant des restrictions budgétaires qui freineront la consommation et l’investissement ? C’est une question qu’on peut se poser.
Je terminerai par un closing joke, une histoire de fin de discours, qui illustre la problématique française :
Un Français, un Anglais, un Allemand sont dans un bar. Un homme barbu, vêtu d’une longue tunique blanche, pieds nus dans des sandales et la tête couronnée d’épines entre et demande au barman : « Puis-je avoir quelque chose à boire ? » Le barman, voyant qu’il n’a pas de poche, lui demande s’il a de quoi payer. « Non », répond-il. À ce moment, l’Allemand, qui a reconnu cet homme, s’adresse à lui : « Jésus, acceptez mon verre de bière ». Jésus boit le verre de bière, serre la main de l’Allemand et lui dit : « Monsieur, vous êtes un homme de bien ». L’Allemand regarde sa main et dit : « C’est un miracle, je ne sens plus mon arthrose de la main ! » L’Anglais, à son tour, s’avance : « Jésus, permettez-moi de vous offrir mon verre de whisky ». Jésus boit le verre de whisky et serre la main de l’Anglais. Celui-ci se redresse et s’exclame : « Mon lumbago vient de disparaître miraculeusement! ». Le Français, enfin, propose à Jésus son verre de vin. Jésus boit le vin et tend la main au Français qui la refuse : « Non, merci, je suis en congé maladie ! ».
Cette histoire caricature la difficulté de faire entrer des réformes de fond dans notre économie.
Je vous remercie.
Marie-Françoise Bechtel
Nous vous remercions.
Nous avons parlé de la « bande des trois » avec Jean-Michel Quatrepoint, même s’il n’a pas employé cette expression. Nous avons parlé du cadre conceptuel à rénover, avec Christian Stoffaes. Vous avez tenu le discours optimiste que nous vous connaissons (car nous vous avons entendu sur d’autres sujets) : « Cessons de nous désoler en nous comparant ».
Je me tourne vers Louis Gallois pour lui demander quel est son point de vue sur les questions que nous l’avons appelé à traiter.
S'inscire à notre lettre d'informations
Recevez nos invitations aux colloques et nos publications.