Introduction de Loïc Hennekinne, Ambassadeur de France, ancien Secrétaire général du Quai d’Orsay, au colloque du 14 décembre 2009, L’Amérique latine en mouvement.
Pourquoi avons-nous décidé de parler, ce soir, de l’Amérique latine ?
Si nous consacrons un colloque au sous-continent, c’est parce que nous estimons que cette zone géographique ne suscite pas, en France, l’intérêt qu’elle mérite dans les média et l’opinion publique. Aucun conflit majeur n’y attire caméras et journalistes, contrairement au Moyen-Orient, à l’Asie centrale ou à l’Asie du sud et cette zone ne connaît ni massacres ni combats sanglants entre ethnies. Une autre raison explique ce peu d’intérêt : le relâchement des liens culturels qui unissaient traditionnellement un certain nombre de pays d’Amérique latine à l’Europe, à la France.
Les média ne s’intéressent donc plus à l’Amérique latine que périodiquement, par « effets de mode ». La révolution cubaine a drainé vers La Havane un grand nombre d’intellectuels de gauche français (dont certains, par un glissement progressif, ont pu se retrouver à droite, pour ne pas dire à l’extrême-droite). Entre 1971 et 1973, l’expérience de l’Unité populaire, au Chili, a suscité un grand intérêt de la presse et de l’opinion (le Chili était même devenu une destination pour des jeunes couples en voyage de noce !). Au Nicaragua, la révolution sandiniste a aussi beaucoup attiré l’attention. La répression, les dictatures suscitent des mouvements de mobilisation et d’émotion dans la population française. Ce fut le cas dans les années 1970-1980 avec la dictature de Pinochet, ou encore avec celle des amiraux argentins. Mais c’est l’enlèvement de personnalités politiques qui déchaîne l’intérêt, voire la passion des média, par un phénomène de « peopolisation » qui a atteint des sommets avec l’épisode Ingrid Betancourt.
Mais pourquoi un sous-continent apaisé n’arrive-t-il pas à intéresser nos compatriotes ?
L’Amérique latine compte quelque 600 millions d’habitants. La démocratie et les droits de l’homme y sont respectés plutôt mieux qu’ailleurs. Les pays de cette zone ont manifesté depuis une quinzaine d’années un dynamisme économique assez remarquable et le sous-continent se sort plutôt mieux de la crise économique et financière actuelle que d’autres régions du monde. Ce manque d’intérêt est d’autant plus regrettable qu’il existe en France une expertise sur l’Amérique latine et des institutions – l’Institut des hautes études d’Amérique latine, la Maison de l’Amérique latine – qui maintiennent la flamme. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu réunir ici un certain nombre de ces experts d’excellence.
Ce colloque est structuré selon trois thèmes horizontaux :
• Le retour à la démocratie et les problèmes qui subsistent.
• La relation avec les États-Unis. Depuis la déclaration de Monroe en 1823, les États-Unis avaient tendance à considérer l’Amérique latine comme leur chasse gardée, leur arrière-cour. Cela s’est poursuivi, à vrai dire, jusqu’à la guerre des Falklands (Malouines). Il serait intéressant de voir ce qu’il en est avec la nouvelle administration Obama.
• L’économie : il s’agit d’analyser la situation du sous-continent dans son hétérogénéité. En effet, à côté de très grands pays qui accèdent au rang de puissances économiques internationales, d’autres États, peu peuplés, ont peu d’atouts dans leur jeu.
Enfin nous mettrons le projecteur sur deux pays. Je regrette qu’en cette période d’élections, nous n’ayons pu nous arrêter sur le Chili. Si nous avons choisi le Mexique, c’est parce que ce pays, limitrophe des États-Unis, s’interroge toujours pour savoir s’il appartient à l’Amérique du nord ou à l’Amérique latine. Le Brésil, d’autre part, avec l’action de ses deux derniers présidents, Cardoso et Lula, est en train de devenir une des grandes puissances mondiales, l’un des quatre BRIC (Brésil-Russie-Inde-Chine), qui fonctionne bien dans le domaine politique comme dans le domaine économique.
Pour commencer, Alain Rouquié va nous parler du retour à la démocratie. Grand universitaire, il fut aussi un excellent diplomate ambassadeur. Le Quai d’Orsay, qui fait parfois appel à des personnalités extérieures, a eu la main particulièrement heureuse en choisissant Alain Rouquié. Après avoir travaillé au Centre d’analyse et de prévision du Quai d’Orsay, il a été, à partir du milieu des années quatre-vingt, successivement ambassadeur au Salvador, au Mexique et au Brésil avec une petite incursion africaine dans l’intervalle. Il occupa enfin le poste de directeur d’Amérique.
Je lui cède la parole.
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