Débat final

Interventions prononcées lors du colloque du 23 novembre 2009, Où va l’Iran ?

Jean-Pierre Chevènement
Avant que je ne donne la parole aux diplomates, Monsieur Aymeri de Montesquiou, sénateur du Gers et président du groupe d’amitié France-Iran, va donner son point de vue.

Aymeri de Montesquiou
Merci, monsieur le Président, d’avoir rassemblé tous ces avis sur l’Iran à l’occasion de cette réunion tout à fait instructive. Je suis président du groupe d’amitié France-Iran et n’ai pas à manifester ni antipathie, ni sympathie pour le régime mais, comme toutes les personnalités présentes à la tribune, je considère que l’Iran est un grand pays.

J’exprimerai quelques nuances sur les élections. Certes, il y a eu sans doute fraude mais quinze jours avant, le Washington Post publiait des sondages (réalisés par des organismes américains) qui pronostiquaient un rapport de un à deux entre Moussavi et Ahmadinejad. Ahmadinejad a vraisemblablement gagné ces élections.

Je voudrais signaler que le budget militaire de l’Iran est un des plus faibles de la région. Quant aux pressions, je ne sais pas dans quel sens elles font réagir l’Iran. Je crois que toutes les attaques contre Ahmadinejad l’ont plutôt renforcé. Je ne suis donc pas certain que les pressions soient le meilleur remède à la situation et pense même que la délectation avec laquelle on démontre que l’Iran a tort est une erreur diplomatique profonde.

En effet, on a besoin de l’Iran en Afghanistan où il détient de nombreuses clés : Hekmatyar n’est pas un grand ami de l’Iran, les Tadjiks perséphones représentent 35% de la population, 2 300 000 afghans se sont réfugiés en Iran pendant le gouvernement des Talibans et le dari et le farsi sont des langues très proches.

La présence chiite ne se limite pas à l’Irak : la région de Dammam, région pétrolière par excellence d’Arabie saoudite, est peuplée d’une majorité de chiites. Dernièrement, le discours d’un mufti qui traitait de sectaires les chiites de cette région a provoqué quelques convulsions. Le ministre de la défense saoudien, Khaled, a dû se rendre à la frontière du Yémen en raison de turbulences chiites inquiétantes.

Je voudrais rappeler aussi que l’embargo est beaucoup plus nuisible pour la France que pour l’Iran et que les grands bénéficiaires en sont la Russie et la Chine qui, petit à petit, rénovent ou développent les infrastructures les plus importantes du pays. Il en est de même pour les échanges. Aujourd’hui, le grand jeu évoqué tout à l’heure est en train d’être gagné par la Russie. Je devine la main russe dans les forces de répression intérieure.

J’ajouterai un point extrêmement important : Comment, et au nom de quoi, expliquer aux Iraniens qu’on accepte qu’Israël possède 200 têtes nucléaires ? Il en est de même pour le Pakistan et l’Inde. Il faut avoir à l’esprit que 1945 est extrêmement lointain. L’ordre du monde qui avait été mis en place à cette époque n’existe plus aujourd’hui et il faut trouver une autre dialectique pour convaincre les Iraniens.
Le refus iranien a peut-être une quatrième cause. On peut comprendre qu’ils soient réticents à confier la totalité de leur stock (sans être sûrs qu’on ne va pas perdre la clef du coffre !). N’importe quel négociateur hésiterait beaucoup avant de confier sa matière nucléaire en totalité. Leur proposition de scinder leur stock d’uranium en fractions se justifie tout à fait.

Veuillez excuser le désordre de ces quelques réactions spontanées.

Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur le Sénateur.
Je donne la parole à Monsieur l’ambassadeur Robin

Gabriel Robin
Monsieur le ministre, vous avez dit, je crois à très juste titre, que le point crucial actuellement était le refus supposé ou réel de l’Iran à la proposition occidentale. C’est sur ce refus que je voudrais poser un certain nombre de questions.

D’abord, en ce qui concerne la proposition occidentale, je constate qu’elle fait la démonstration que nous avons tort quand nous disons que les Iraniens produisent de l’uranium enrichi sans but civil identifiable puisque nous sommes en train précisément de donner un but civil identifiable à cet uranium.

Deuxièmement nous disons que nous ne voulons pas que l’Iran procède à l’enrichissement de l’uranium. Mais nous sommes en train de reconnaître qu’il le fait dans des conditions légales puisque nous lui proposons de lui prendre pour le traiter et le lui rendre.

Mais la question que je veux poser est celle que vient de soulever indirectement Monsieur de Montesquiou. Je crois comprendre à travers le peu qui filtre dans la presse que le « non » iranien n’est pas un « non » à la proposition occidentale, c’est un « non » au tout ou rien de la proposition occidentale. Je comprends qu’à tort ou à raison les Iraniens rechignent à confier leur uranium en une seule fois, parce qu’ils ne sont pas sûrs de le récupérer à échéance. Et en effet, c’est bien l’objectif des Occidentaux : ils veulent priver l’Iran de cet uranium pour être garantis d’avoir un an de délai. On peut comprendre mais on peut comprendre aussi les Iraniens quand ils proposent des livraisons fractionnées avec des redditions également fractionnées. Je ne vois pas pourquoi il n’y aurait pas matière à négociation. Si c’est à prendre ou à laisser, il n’y a pas de négociation. S’il y a une négociation, elle a tout l’espace pour se dérouler. J’aimerais quand même qu’on explore cette affaire avant de conclure tout de suite qu’il n’y a rien à faire.

Quand nous disons aux Iraniens : « Nous ne pouvons pas vous laisser cet uranium enrichi parce que vous allez en faire des bombes », nous estimons notre suspicion légitime. Mais quand les Iraniens disent : « Vous nous prenez notre uranium enrichi mais qu’est-ce qui nous garantit qu’on nous le rendra ? », nous considérons qu’ils font preuve de suspicion illégitime. Autrement dit, il y a inégalité, nous revenons à l’époque des traités inégaux, ce qui, dans le cas de la France, est un petit peu désagréable.

Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur l’ambassadeur. Nous avons compris votre point de vue.

Dans la salle
Je voulais intervenir au sujet de quelques informations évoquées par Monsieur Briens.
Il a oublié de mentionner que la première révélation de menace nucléaire iranienne date de 1995, quand Shimon Pérez a dit « dans cinq ans l’Iran possèdera la bombe nucléaire ». Quatorze ans après, il n’y a toujours pas de bombe nucléaire iranienne.

Il s’alarme au vu d’informations (non encore vérifiées complètement) selon lesquelles des missiles iraniens à longue portée pourront atteindre Israël mais il ne s’inquiète pas des missiles à longue portée israéliens (fournis, financés et construits par les Américains) qui existent déjà.

D’autre part, en ce qui concerne la menace dans la région ou la menace nucléaire en général, le seul pays, à ma connaissance, qui ait utilisé la bombe nucléaire, ce sont les États-Unis. D’ailleurs, le président Carter, deux ou trois ans après la prise d’otages de l’ambassade d’Iran, a révélé dans une interview qu’à un certain moment il avait envisagé d’envoyer une bombe atomique sur Téhéran. Ces menaces (qui n’ont heureusement pas été mises à exécution) ont été proférées par les Occidentaux.

Dans la salle
Je voudrais m’adresser à Monsieur Briens concernant les conditions extrêmement favorables proposées en 2002 à l’Iran. J’aimerais que vous entriez dans les détails : En quoi ces conditions étaient-elles les plus favorables ?

Par ailleurs, si le thème de ce soir est essentiellement le nucléaire iranien, en parallèle, il y a un mouvement qui se passe en Iran. Même si Monsieur de Montesquiou disait que les rapports de forces étaient favorables à Ahmadinejad, un mouvement de contestation s’est levé. Au sein de ce mouvement de contestation, personne n’ose dire quoi que ce soit à propos du nucléaire (beaucoup de gens, comme moi, sont des antinucléaires) de peur de passer pour des traîtres.

Pourrait-on essayer de diminuer un peu la pression pour que les problèmes politiques puissent passer au premier plan en Iran ? Je pense que le meilleur interlocuteur pour l’Occident serait un pays démocratique. Or des mouvements sont en train de naître. Je pense que le mieux à faire, c’est de laisser se passer des choses en Iran. Je me demande si on n’est pas en train d’utiliser ce qui se passe en Iran comme arme contre un Ahmadinejad en état de faiblesse. C’est peut-être pour ça, Monsieur Chevènement, qu’Ahmadinejad est encore plus en avant par rapport aux offres des Occidentaux que l’opposition. Ahmadinejad est dos au mur actuellement, il est peut-être en train de conclure quelque chose qui ne va pas forcément dans l’intérêt des Iraniens. Beaucoup d’Iraniens pensent que l’Occident, de nouveau, est en train d’utiliser le mouvement populaire comme une faiblesse de régime pour conclure quelque chose qui va à l’encontre des intérêts nationaux de l’Iran.

Jean-Pierre Chevènement
Merci, Madame.
Si « l’ordre nucléaire » est un terme qui peut vous paraître assez rébarbatif, Madame, je vous dirai qu’il tient compte de l’état du monde. Depuis 1945 les États-Unis ont la bombe, l’URSS les a rejoints peu après, suivie d’un certain nombre de pays. A un moment donné on a figé la situation par le traité dit de non-prolifération nucléaire qui est signé par tous les Etats de la planète à l’exception de quatre (Israël, l’Inde et le Pakistan ne l’ont jamais signé et la Corée du Nord s’en est retirée). Ce traité permet de ralentir la prolifération, il a donc un intérêt qui, je le conçois, peut vous échapper compte tenu de votre point de vue anti-nucléaire total. Malgré tout, c’est ce qui existe et si, à travers l’acquisition de l’arme nucléaire par l’Iran, nous laissons porter un nouveau coup au TNP, que s’ensuivra-t-il et quelles conclusions faudra-t-il en tirer ?

Il me paraît nécessaire de rappeler ces choses. L’intervenant précédent a évoqué les moyens dont dispose Israël : tout cela est parfaitement exact mais ça ne répond pas à la question très difficile que je viens de poser qui est celle de l’ordre nucléaire mondial.
Je me tourne vers Monsieur Briens.

Martin Briens
Ce n’était pas en 2002 mais en 2005 qu’une offre faite par les trois Européens (vingt pages consultables sur internet) définissait un certain nombre de coopérations dont l’Iran, comme tous les partenaires, bénéficierait dans les domaines économique, technique, nucléaire, politique et de sécurité. Y figurait notamment, dans le domaine nucléaire, l’offre de coopérer sur les technologies les plus avancées dans le domaine du nucléaire civil, en particulier les réacteurs nucléaires, qui correspondait au besoin énergétique de l’Iran.

Cette offre n’a pris du sens que lorsque les États-Unis l’ont soutenue en 2006. En 2008, elle fut représentée à l’Iran, avec de nouveaux éléments, telle la volonté de coopérer dans le domaine de la sécurité régionale (ce qui a d’ailleurs beaucoup inquiété les pays de la région qui n’ont aucune envie de voir naître un condominium entre l’Occident et l’Iran pour régenter les affaires du Moyen-Orient). Ce nouveau texte ouvrait la possibilité de discussions à propos de l’Afghanistan, de l’Irak, de la sécurité maritime dans le Golfe et redonnait à l’Iran des assurances de sécurité sans omettre de citer la lutte contre le terrorisme, la lutte contre le trafic des stupéfiants etc. Dans le domaine économique, il était question de faciliter l’entrée de l’Iran dans l’OMC, de conclure un accord d’association avec l’Union européenne… bref, une longue liste d’éléments qui témoignent d’une volonté de coopérer avec l’Iran. Depuis des années les Européens, convaincus que l’Iran est un partenaire potentiel majeur, pratiquent le « dialogue critique » (alors que les Américains s’interdisaient de parler avec l’Iran). Aujourd’hui, un obstacle majeur barre cette route.

Pierre Conesa
Merci de cette conférence où on entend des choses qu’on entend assez peu souvent sur l’Iran.
Un point m’a paru extrêmement important : le rappel des événements qu’a vécus l’Iran depuis un siècle, en particulier les cinquante dernières années. Souvenons-nous que le programme nucléaire militaire iranien a commencé sous Rafsandjani, que nous qualifions de modéré. Il se poursuit avec celui que nous considérons comme le plus radical, Ahmadinejad. Il y a donc un consensus de la classe politique iranienne. On comprend d’ailleurs assez bien qu’après ce qu’a vécu l’Iran depuis cinquante à soixante ans, des hommes d’Etat iraniens décident de se doter du nucléaire.

Je poserai deux questions :
Le nucléaire iranien est-il un concept de sanctuarisation ou un concept d’agression ?
Si c’est un concept de sanctuarisation, je nous vois mal, nous Français, leur en faire le reproche.
Ma deuxième question concerne la posture de négociation sur le TNP. Aujourd’hui nous distinguons la catégorie des non-adhérents proliférants et nucléaires (l’Inde, Israël et le Pakistan) et la catégorie des adhérents proliférants. Si j’étais à la place des Iraniens, quand on va renégocier le TNP, je m’empresserai de me mettre dans la situation légale du non adhérent proliférant et nucléaire !

Jean-Pierre Chevènement
C’est la raison pour laquelle il est question de sanctionner le retrait.
Je donne la parole à Monsieur l’ambassadeur Dejammet.

Alain Dejammet
J’apporterai un petit complément de caractère historique qui dérive d’une observation très banale qui va paraître un peu irénique :
Il faut parfois, à mon sens, respecter le système international, le système onusien et les résolutions des Nations unies.

En 1982, ni l’Irak ni l’Iran n’avaient accepté les premières résolutions bénignes les appelant à un cessez-le-feu mais en juillet 1987 l’Irak avait accepté la résolution exigeant le cessez-le-feu. Malheureusement l’Iran a considéré qu’il pouvait ne pas répondre. Il n’a pas répondu pendant un délai d’un an (le même délai dont il est question aujourd’hui à un autre propos), ce qui lui a valu pas mal d’inconvénients et, finalement, l’obligation d’accepter le cessez-le-feu, en 1988 (un an trop tard), après pas mal de dégâts et de bombardements de Téhéran par les Irakiens.

J’ajouterai qu’il faut prendre au sérieux les rapports de l’AIEA.
On pourrait peut-être en douter en pensant à la suspicion qui a continué à peser sur la possession par l’Irak d’un armement nucléaire et qui a conduit les Américains et quelques Européens à intervenir militairement en 2003. Compte tenu de ce degré de suspicion entretenu par des pays ô combien respectables, notamment en Europe, on pourrait douter des rapports de l’AIEA.

Mais l’AIEA a fait son travail très convenablement à propos de l’Irak. On peut donc penser qu’elle le fait bien à propos de l’Iran. En juillet 1998, l’AIEA avait remis un rapport concluant que, vraisemblablement (on ne peut jamais être sûr à 100%), l’Irak n’avait pas d’armement nucléaire. Le malheur est que certains membres du Conseil de sécurité ont considéré que le problème des armes de destruction massive était un tout et qu’aussi longtemps que l’on n’avait pas de garantie quant à l’élimination des armes chimiques, bactériologiques et des missiles, il fallait continuer à appliquer les sanctions à l’Irak. Je voulais rappeler ceci pour que l’on ne mette pas en cause les rapports de l’AIEA. Il faut prendre cela au sérieux, ce sont des faits qu’il faut méditer en dehors de toute autre considération. L’AIEA a bien rempli son rôle à propos de l’Irak. Il n’y a pas de raison a priori pour penser qu’elle ne le remplit pas convenablement à propos de l’Iran.

Quant aux résolutions des Nations Unies, le fait de ne pas les respecter peut coûter cher.

Dans la salle
Je ne suis pas politicienne, je suis une scientifique franco-iranienne.
On parle toujours des Iraniens. J’aimerais tant entendre : « le gouvernement iranien » parce qu’il s’agit du gouvernement iranien. Monsieur l’ambassadeur doit savoir que le mouvement iranien était beaucoup plus profond que ne l’ont dit les média.

Monsieur Briens dit qu’il faut renforcer les sanctions. Pensez-vous un seul instant à ce peuple, otage de son gouvernement ? Les sanctions toucheront le peuple iranien et non les mollahs ni Ahmadinejad, qui a fait tirer sur le peuple. Tout ce qui les intéresse, c’est de rester au pouvoir à n’importe quel prix.
Pourquoi les Occidentaux ont-ils raté le rendez-vous que le peuple iranien a donné au peuple français et au monde entier, dans la rue, en se faisant tabasser et tuer ? Aujourd’hui encore des cadavres sortent des prisons et des parents attendent, devant les portes, les cadavres de leurs enfants qu’ils n’auront peut-être jamais.

Ce qui me fait plaisir, c’est que Monsieur Hourcade, Monsieur François Nicoullaud et Monsieur Hennekinne qui ont été en contact avec ce peuple, parlent un peu aussi du peuple. Il ne faut pas confondre le peuple avec le gouvernement. Si Ahmadinejad tient aujourd’hui ce discours, c’est parce qu’il n’a plus de soutien populaire, il est prêt à tout signer parce qu’il sait qu’il n’est soutenu que par les milices payées par lui.

Les Occidentaux pourraient faire d’une pierre deux coups : aider l’opposition à libérer le peuple iranien et, en même temps, se débarrasser d’une dictature religieuse, fanatique qui fait peur à son peuple et au monde entier.

De toute façon, vous ne pouvez pas faire confiance à Ahmadinejad, vous le savez très bien.

Jean-Pierre Chevènement
Merci, Madame.
C’est une facilité de langage qui consiste à assimiler un peuple et son gouvernement. Quand on dit « les Français », on parle en fait du gouvernement français, et « les Iraniens » désigne le gouvernement iranien. La différence, c’est que le résultat des élections françaises n’a pas été contesté, mais il pourrait l’être à l’occasion d’autres échéances, c’est le jeu normal de la démocratie.

Vous avez raison mais on ne peut quand même pas choisir la bombe sous prétexte que ce serait l’intérêt du peuple iranien !

Selon moi, une normalisation avec l’Iran entraînera inévitablement un déblocage de la société, une normalisation des rapports entre l’Iran et l’environnement international et la fin de l’isolement de l’Iran. Je pense qu’il faut faire ce pari que la normalisation, l’ouverture, entraîneront ce déblocage qu’on ne peut que souhaiter.

Cela dit, nous nous devons de respecter, jusqu’à un certain point, le principe de non-ingérence. Le président Obama « parle avec respect », dit-il, « à Monsieur Ahmadinejad ». On est bien obligés de traiter avec les gouvernements ! Sinon, avec qui parler ?

Je donne la parole à Monsieur Briens.

Martin Briens
Je répondrai d’abord aux commentaires sur la fameuse proposition de l’AIEA portée par Monsieur El Baradei.
« Sans but civil identifiable… » : Je maintiens ! L’Iran n’a pas la capacité de fabriquer le combustible. Nous avons opportunément trouvé une fin civile identifiable en proposant – comme mesure de confiance – d’enrichir et de fabriquer nous-mêmes le combustible (ce que l’Iran n’aurait pas pu faire lui-même). Quand il construit une usine d’enrichissement en ne sachant pas fabriquer le combustible… il manque une étape dans le processus !
2° Non ! On ne revient pas sur la suspension ! C’est une demande du Conseil de sécurité qui demeure pleinement en vigueur et on a toujours dit que cet accord, cette mesure de confiance, ne changeait en rien les demandes de la communauté internationale.
Le tout ou rien est-il pertinent ? Un accord suppose un intérêt mutuel.

L’intérêt de l’Iran est de disposer de combustible pour produire des radio-isotopes à des fins médicales.

L’intérêt des partenaires (qui prennent un risque politique), est de sortir le plus possible de matière qui, si elle restait en Iran, n’aurait pas d’usage civil identifiable. Si on découpe l’opération en petites tranches, on ne répond pas à cette préoccupation de rétablissement de la confiance parce qu’en parallèle l’Iran continue à produire de la matière.

Visiblement, l’Iran n’est pas vraiment intéressé par le combustible destiné à produire des radio-isotopes à des fins médicales…

Ne sommes-nous pas encore dans le « double-standard » sur le TNP ?
Il ne faut pas perdre de vue que le TNP est avant tout un instrument de sécurité collective. Il est discriminatoire : cinq Etats sont dotés, les autres ne le sont pas. Mais il reste un des traités les plus universels. En effet, l’Egypte, par exemple, n’a aucune envie que l’Arabie saoudite, l’Algérie, la Libye aient l’arme nucléaire. Certes, il y a le voisin israélien mais il faut éviter que tout le monde ait l’arme nucléaire. C’est pourquoi, malgré les pronostics alarmistes du début des années 60, le régime de non-prolifération nucléaire a, grosso modo, tenu, parce que personne n’a intérêt à ce que ce soit l’anarchie nucléaire (le contraire de l’ordre nucléaire).

Si l’Iran va de l’avant, si nous renonçons à l’arrêter, quelles garanties de sécurité donnerons-nous aux pays de la région ? Ils estimeront être mieux servis par eux-mêmes.

Il y a le cas des pays hors TNP. Il serait souhaitable qu’ils intègrent le TNP et qu’ils désarment. Mais ils ne vont pas le faire demain. Tout ce qu’on peut faire, c’est tenter de les rapprocher du régime de non-prolifération, leur faire signer d’autres conventions : le traité d’interdiction des essais nucléaires, le protocole additionnel que j’ai mentionné, le futur traité d’interdiction de production pour les matières qui soumettront tous ces pays : l’Inde, le Pakistan, Israël, à un ensemble de contraintes, de règles. C’est ainsi qu’on les ancrera dans la non-prolifération. Dans un monde idéal on aimerait qu’ils déposent leurs armes sur la table mais ça n’arrivera pas. Après les essais nucléaires de 1998, des sanctions ont été décidées contre l’Inde et le Pakistan dont il reste des traces. Mais il y a une différence entre un Etat qui fait partie d’une norme et qui en viole le contenu (l’intégrité-même de la norme est en cause) et un Etat qui, par des circonstances historiques qu’on peut regretter, est en dehors et qu’on essaye de rapprocher. On ne va pas rapprocher l’Inde du régime de non-prolifération en la sanctionnant. En revanche on peut essayer de l’attirer dans le régime de non-prolifération et tout le monde en sera bénéficiaire.

Il en est de même pour Israël, nous souhaitons tous une zone exempte d’armes de destruction massive au Moyen-Orient… Cet objectif-là ne sera rempli que lorsque les conditions de sécurité s’amélioreront et quand tous les pays de la région souscriront à ces normes, nucléaires et autres.
Ce n’est pas en le décrétant qu’on y arrivera.

Loïc Hennekine
Je suis d’accord avec Alain Dejammet sur le rôle que l’AIEA a joué. Mais je veux rappeler que dans la période qu’il a signalée (1998, 1999, 2000), d’aucuns travestissaient complètement les rapports de l’AIEA dans les bureaux de la délégation américaine à New-York : je parle de l’Australien, Richard Butler (1). La situation n’était donc pas simple. Je pense qu’il faut faire en effet confiance à l’AIEA et à ses rapports.

Alain Dejammet
Il est vrai que Butler a travesti des rapports. Plus exactement, il a accentué, déformé la lecture des rapports de la commission sur les armes de destruction massive mais en ce qui concerne l’AIEA, il ne pouvait pas contester que l’AIEA, en juillet1998, donnait quitus à l’Irak…

Loïc Hennekine
Ce n’est pas le discours qu’il tenait au secrétaire général du Quai d’Orsay, à Paris, à cette époque.
J’ai deux questions à poser à Martin Briens qui a fait un exposé très complet :
La première revient sur la question évoquée tout à l’heure par Pierre Conesa concernant les risques sur le régime de non-prolifération.

J’ai tendance à penser que le Pakistanais A. Q. Khan a eu un rôle plus néfaste pour le régime de non-prolifération qu’un pays qui a accepté dans un passé pas si lointain, les garanties du protocole additionnel 93+2 (2).

Dire que les pays qui sont à l’intérieur du traité de non-prolifération, parce qu’ils ne respectent pas telle ou telle disposition, sont un péril plus grand que ceux qui n’ont jamais voulu y adhérer, m’a toujours paru un sophisme complet ! Imaginons deux chauffards qui roulent à 200 km/h sur une autoroute. On en arrête un qui a un permis de conduire, on le sanctionne. L’autre n’a pas de permis, prétend ne pas connaître le code de la route, on le laisse filer… Ce n’est tout simplement pas sérieux !

Les pays possessionnés qui, depuis la signature du traité, ont peu respecté l’article 6 du TNP (3) ne sont-ils pas également une menace pour ce régime de non-prolifération ?

Ma deuxième question porte sur le contexte régional.

On semble découvrir, à cause de ce problème iranien, un contexte régional potentiellement difficile et dangereux. Mais ce contexte régional existe depuis qu’un certain nombre de pays, probablement sans beaucoup réfléchir, ont permis à Israël de se doter de la bombe. A une époque, la mode était aux « zones dénucléarisées ». On en a fait dans le Pacifique, en Amérique latine. Chaque tentative d’en créer une au Proche-Orient s’est heurtée à deux votes négatifs, deux vetos aux Nations unies : les États-Unis et Israël. C’est pourquoi j’évoque la discussion qui a eu lieu à l’AIEA en septembre 2007, où on a retrouvé les deux mêmes oppositions à une résolution concernant le désarmement nucléaire dans cette région.

J’attends qu’on traite le contexte régional de façon globale, tant pour l’Iran que pour Israël.

Jean-Pierre Chevènement
Avant de donner la parole à Monsieur Hourcade, je voudrais rappeler que derrière les problèmes nucléaires il y a toujours des problèmes politiques. Le contexte régional est déterminant : Inde et Pakistan, l’affaire du Cachemire, le problème du Proche-Orient, Israël/Palestine, plus généralement, le Golfe, l’Iran, l’Irak, l’avenir du régime de la Corée du Nord…

Tant qu’on n’aura pas résolu ces problèmes politiques il sera difficile d’aller vers les perspectives enchanteresses que vous avez évoquées, Madame, après le Président Obama. Il a fort à faire ! D’abord, il doit faire ratifier par son Sénat le traité d’interdiction des essais nucléaires que la France a ratifié depuis 1992.

Deux perspectives se dessinent : le traité d’interdiction des essais, qui limite qualitativement le développement des arsenaux et le traité dit cut off d’interdiction de fabrication de matières fissiles à usage militaire, qui interdit le développement quantitatif des arsenaux. Le jour où ces deux traités s’ajouteront au TNP, seront créées les conditions d’une zone de basse pression nucléaire.

Gardons à l’esprit que derrière les problèmes nucléaires, il y a toujours des problèmes politiques. Tant qu’on n’aura pas résolu ces problèmes politiques, notamment le problème d’un Etat palestinien, l’idée d’un Moyen-Orient dénucléarisé sera du domaine des chimères.
On peut y arriver, il faudra bien qu’on y arrive.

Bernard Hourcade
Il est certain que la possession par l’Iran d’une arme atomique déstabiliserait beaucoup de situations. Mais, pour parler comme les militaires, il faut voir quel est « l’effet final recherché ».

L’objectif est que, de façon vérifiable et durable, l’Iran n’ait pas d’arme nucléaire. Rayer le nucléaire iranien de la carte est assez facile à faire, détruire des installations est une question militaire. Mais comment obtenir un résultat durable ?

Récemment, dans une réunion, j’ai entendu un représentant de National Defense University à Washington, un ancien ambassadeur, dire que de son point de vue, l’Iran a aujourd’hui la capacité nucléaire et qu’il a la volonté d’avoir une arme.

Partons de ces deux hypothèses :
1° L’Iran a la capacité et la volonté de faire une arme. On ne fait rien : L’Iran aura une arme atomique dans x ans, x étant à définir.
2° L’Iran a la capacité et la volonté de faire une arme atomique. On l’en empêche, on sanctionne, on prend des mesures. Dans ce cas l’Iran, parce qu’il est soumis à des contraintes, aura une arme atomique dans x ans ÷ 2.
3° L’Iran a la capacité nucléaire, veut faire une arme nucléaire mais on l’accompagne, on rentre dans le jeu, on l’amène à appliquer le protocole additionnel, on le prend au mot. Dans cette hypothèse, il y a 80% de chances pour que l’Iran ait une bombe, mais cela prendra du temps parce qu’il y aura un contrôle qui ralentira le processus et on peut espérer que la société imposera alors sa volonté et imposera de ne pas franchir le seuil du nucléaire militaire. C’est le modèle du Japon actuel. Une compétition entre la démocratie et la bombe. La bombe, c’est le lièvre, il court très vite mais c’est souvent la tortue qui gagne. La tortue, c’est la démocratie, elle prend du temps. C’est la seule hypothèse dans laquelle il pourrait ne pas y avoir une bombe, à la fin du jeu.

Il faut savoir jouer aux échecs et les Iraniens sont de très mauvais joueurs d’échecs. Ils ont inventé le jeu mais ont oublié comment on y joue parce qu’ils veulent des résultats immédiats, ils veulent le beurre et l’argent du beurre !

Ce pays, on l’a expliqué, est encerclé, humilié. La méthode de la carotte et du bâton ne marche pas. L’Iran dit : « Je ne suis pas un âne pour manger des carottes, ni un âne pour recevoir des coups de bâton ». Ce n’est pas la bonne méthode pour avancer. Il s’agit de prendre l’Iran à son propre jeu.
Soyons efficaces.

Constatons aujourd’hui que les sanctions ont abouti à ce que la dictature iranienne soit la pire qu’on ait jamais connue et que la bombe atomique n’ait jamais été aussi proche qu’aujourd’hui. Autrement dit il y a échec. D’où la réaction américaine : « On a échoué, essayons autre chose, nous ne sommes pas sûrs de réussir mais dans l’autre hypothèse l’échec est assuré ».

Mais ne soyons pas non plus dupes : ne confondons pas la porte et la clef. Le nucléaire, c’est la clef pour ouvrir la porte. Mais avons-nous bien regardé si la porte était fermée ? Non, elle est ouverte !
On peut discuter des années de tous les détails techniques, des moyens d’arrêter le nucléaire, ce n’est pas l’enjeu. L’enjeu c’est l’ouverture de la porte. Est-ce qu’on l’ouvre un peu ? Beaucoup ? Qui va l’ouvrir ? L’enjeu n’est pas le nucléaire mais la réintégration de l’Iran dans le processus international. L’Iran, comme on l’a dit, a une population « normale », des gens qui ont envie de vivre. Tant qu’on maintiendra le gouvernement en surpression, il verrouillera le régime très durement ; si au contraire on ouvre la porte, si on met le pied dans la porte, les choses changeront.

S’il y a blocage aujourd’hui de la part de certains Iraniens, c’est parce qu’ils savent que si Obama met un pied dans la porte, s’il est présent, si un jour il y a un consulat à Téhéran, si les entreprises américaines sont là (il n’y a pas un Américain en Iran aujourd’hui), si un jour il y a des Yankees dans les rues de Téhéran, les Iraniens n’auront plus besoin de passer par Twitter ou par internet pour communiquer avec Los Angeles ; ils parleront normalement des Américains et cela changera fondamentalement les rapports de force.

Il faut mettre un pied dans la porte, c’est là l’élément essentiel. Le nucléaire est un chiffon rouge. Le taureau qui suit le chiffon rouge, s’aveugle et à la fin il meurt parce qu’il court après un leurre. La dramatique affaire Rushdie (écrivain interdit et « condamné » à mort par Khomeyni) fut également un leurre, qui a empêché les Européens et les Iraniens de travailler pendant huit ans. Le nucléaire est un leurre.

Si on veut sortir de cette impasse, il faut effectivement changer les choses. Je citerai un détail (on sait que c’est dans les détails que se trouve l’essentiel) : Quand Monsieur William Burns est allé négocier à Genève le 1er octobre dernier, il était accompagné par un conseiller technique. Ce n’était pas Monsieur Rexon Riyu le responsable de la prolifération au National Security Council, mais Punet Talwar, responsable du Moyen-Orient. L’enjeu n’était pas le nucléaire, qui devait être résolu et discuté techniquement quinze jours plus tard à Vienne, c’était l’ouverture de l’Iran parce que le problème est global, le nucléaire n’est qu’un outil, un outil important, essentiel mais ne nous laissons pas aveugler par le chiffon rouge du toréador.

François Nicoullaud
Si j’approuve le dessin général de l’exposé de Bernard Hourcade (je quitte maintenant mon rôle d’avocat pour livrer ma conviction intime), je reste persuadé que l’Iran ne souhaite pas posséder matériellement la bombe, non par vertu intrinsèque mais parce que le régime iranien a parcouru le même cycle de raisonnement que le Shah qui, lui aussi, avait un moment envisagé d’avoir la bombe avant d’arriver à la conclusion que cela lui créerait plus de problèmes que cela n’en résoudrait. C’était une évidence à l’époque, cela reste une évidence aujourd’hui : en se dotant de la bombe, l’Iran lancerait une course aux armements dans la région et son avantage comparatif disparaîtrait assez vite. Il perdrait de l’influence qu’il essaye d’obtenir, notamment dans la région du Golfe, il deviendrait une sorte de paria, au moins pour une longue période, sans compter évidemment le fait que plus il s’approcherait de la construction réelle d’une bombe, plus il prendrait le risque de se voir effectivement attaqué pour détruire, cette fois avec une certaine légitimité, ses installations nucléaires.

Je ne dis pas qu’il n’y ait pas ici ou là quelques Pasdaran qui rêvent d’avoir la bombe, qu’il n’y ait pas au fond de quelques bureaux des gens qui font des croquis que les inspecteurs de l’AIEA ramassent de temps en temps, mais l’important n’est pas là. Tout le monde a des croquis : même les Suisses, les Suédois en ont certainement dans quelque tiroir. Il y en a eu en Égypte, il y en a dans les encyclopédies. Cela traduit peut-être des intentions mais ça ne touche pas au cœur du problème qui est la capacité de fabriquer un engin nucléaire.

Je reste persuadé, en revanche, que l’Iran souhaite être un pays « du seuil », ce qui lui procurerait tous les avantages d’une puissance nucléaire sans les inconvénients. Il aurait le prestige d’un pays capable de fabriquer la bombe et pourrait ainsi intimider son environnement. Il appartiendrait au club assez étroit des pays qui ont été capables de fabriquer une bombe, ce qui est quand même assez tentant.
Que signifie le « seuil » ?

Non pas six mois, comme le disait Martin Briens, mais, selon le raisonnement que font un certain nombre de pays, deux ou trois ans. C’est le temps qu’il faudrait à l’Iran, qui s’est engagé spontanément (personne ne l’y obligeait) à ne pas dépasser le taux de 5% dans sa filière d’enrichissement (c’est là d’où pourrait sortir la bombe). Il lui faudrait alors à peu près une année avant de produire l’uranium hautement enrichi nécessaire à la bombe, puis un ou deux ans pour la fabriquer et la tester.
La communauté internationale, et plus précisément l’Occident, accepteront-ils que l’Iran soit un pays « du seuil » ?

Pour le moment, en lui interdisant de développer la technologie de l’enrichissement, en lui demandant d’y renoncer, on lui refuse d’être un pays du seuil. On ne l’a pas refusé au Japon, on ne le refuse pas au Brésil qui a une usine d’enrichissement objectivement bien plus inquiétante que celle de l’Iran : les inspecteurs n’y pénètrent pas. Certes les Brésiliens acceptent des garanties mais les gens peuvent voir ce qui rentre dans l’usine, ils peuvent voir ce qui en sort, ils ne peuvent pas voit ce qu’il y a au milieu, ce qui n’est pas le cas de l’Iran.

Au nom de quoi interdit-on à l’Iran ce qu’on accepte avec plus ou moins de bonne volonté d’un certain nombre d’autres pays ?

C’est parce que l’on considère que c’est un régime qui n’est pas fréquentable. Si on ne s’inquiète pas trop du Brésil ni du Japon, c’est qu’ils apparaissent comme des pays respectables.

Or, ce que l’Iran souhaite avant tout, c’est la respectabilité (même les plus grands malfrats ont soif de respectabilité). L’Iran veut apparaître comme un grand pays, comme un pays respectable. C’est un levier qu’on n’utilise pas assez. Plus que des carottes, plus que des avions ou des usines, on devrait lui offrir de la respectabilité associée à son retour au sein de la communauté internationale.

C’est plus facile à dire qu’à faire, c’est pourquoi je m’arrête là, laissant le travail à de brillants diplomates comme Monsieur Briens.

Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur l’ambassadeur. Saddam Hussein, lui aussi, voulait être respecté, il avait le sentiment qu’on ne le respectait pas. Ca s’est mal terminé…

Je ne partage pas tout à fait votre optimisme. Le nucléaire est un sujet compliqué et les cercles du pouvoir dans le domaine nucléaire sont multiples en Iran. Je ne suis pas sûr que le président Ahmadinejad comprenne absolument tout. Il y a plusieurs niveaux, peu nombreux sont ceux qui comprennent. Je ne pense pas que les Iraniens fassent le raisonnement intelligent que vous leur prêtez, ambitionnant d’être seulement un pays « du seuil ». Certains, au sein du régime, veulent avoir la bombe. Je me trompe peut-être, je souhaiterais que vous ayez raison. Ce serait la preuve que les Iraniens sont vraiment très intelligents, comme ils ont d’ailleurs la réputation de l’être, car ce serait ça leur intérêt bien compris.

Je pense, comme Monsieur Hourcade, que la normalisation avec l’Iran produira à terme la démocratie. Le problème est de savoir si la tortue court aussi vite que le lièvre parce que vous ne répondez pas à la question de l’ordre nucléaire qui est quand même fondamentale.

François Colcombet
Ce qui me frappe dans tout ce qui a été dit, c’est la répétition de l’histoire. Sans aller très loin, on se souvient que Khomeyni s’est maintenu au pouvoir en prolongeant la guerre contre l’Irak, contre vents et marées malgré les sanctions très fortes de l’Occident. La guerre est finie et très peu de temps après on relance autre chose. Khomeyni était contre la bombe atomique, ses successeurs décident de relancer le programme du Shah, l’agitant, vis-à-vis du reste du monde, comme un chiffon rouge. Il faut quand même voir que ce pays chiite (les chiites sont minoritaires dans toute la région), perse (il ne parle pas l’arabe), réussit à être le leader de la rue sunnite et arabe du monde entier. A quel prix ? En provoquant l’Occident, en prédisant une attaque d’Israël et en se présentant comme l’objet de la haine des Américains.

Je pense, comme je l’ai entendu dans la salle, qu’on devrait davantage entendre le peuple iranien. On a dit que le peuple iranien était déjà composé de gens évolués du temps du Shah. Après la révolution, Khomeyni a immédiatement imposé le voile, la charia. C’est le pays où on exécute le plus de personnes, on viole les jeunes vierges avant de les tuer parce que la charia dit qu’on ne peut tuer des vierges… et on ne réagit pas. L’Occident devrait davantage écouter le peuple, les opposants, les aider, être un relais à ce qu’ils disent car c’est probablement là qu’est l’évolution. Ce peuple est évidemment digne, admirable. C’est un peuple avec lequel il faut traiter mais le gouvernement tel qu’il est depuis la révolution n’est pas fréquentable. Je soutiens les moudjahiddines du peuple qui se battent depuis des années. Ce sont d’ailleurs eux qui ont indiqué où étaient les sites à plusieurs reprises (tel Qom).

Jean-Pierre Chevènement
Ce que vient de dire Monsieur Colcombet à propos des Moudjahiddines du peuple n’engage que lui-même.

Dans la salle
Je souhaite revenir sur les sanctions. Ca me fait mal au cœur de voir un homme jeune comme Monsieur Briens préconiser les sanctions sans tirer les enseignements de l’application des sanctions dans d’autres pays. Veut-on reproduire le cas de l’Irak ? Si on veut casser l’Iran, sa population, allons vers les sanctions ! Lorsqu’on parle des sanctions, il faut parler des conséquences sur la population.

Qui paye le prix des sanctions ?

A-t-on vu un régime renversé par la population suite à des sanctions ?

Jean-Pierre Chevènement
Cette question s’adresse à Monsieur Briens. Je lui donne la possibilité de répondre.
Finalement les choses se sont retournées : Monsieur Nicoullaud prétendait être l’avocat de la défense et craignait d’être pendu à la fin de la réunion. Je pense que tout danger est écarté le concernant.
Mais Monsieur Briens a le droit de se défendre. Je lui donne la parole.

Martin Briens
Les sanctions ne sont pas une fin en soi. D’autre part, on peut s’interroger à l’infini sur l’efficacité des sanctions, et pas seulement à propos de l’Iran. On peut dire que les sanctions faibles produisent peu ou pas d’effets.

Evidemment, il faut être prudents et ne pas renouveler les erreurs commises en Irak. On n’a pas l’intention de faire totalement n’importe quoi mais l’objectif demeure.

Il faut bien voir ce qui est. S’il n’y a pas de solution négociée, il y aura une autre solution qu’on ne veut pas voir. Donc les sanctions ne sont certainement pas un idéal mais il faut bien mesurer les conséquences d’une absence de négociation : soit un Iran avec la bombe – ou un Iran « au seuil », ce qui, à mon avis, est exactement pareil du point de vue régional – soit une intervention militaire dont chacun connaît les conséquences. On ne fait pas des sanctions pour le plaisir de faire des sanctions, je le répète, mais parce que c’est, dans une gamme d’instruments, un moyen diplomatique pour essayer de convaincre le régime. On peut essayer de cibler les sanctions pour qu’elles aient de l’influence sur le régime.

Il y a l’effet sur le régime, il y a aussi l’effet sur les autres pays de la région. Le sujet de ce débat est « Où va l’Iran ? » L’Iran est très important mais ma préoccupation pourrait s’exprimer par la question « Où va la région ? »

Tout à l’heure Monsieur Hennekinne utilisait l’image des voitures lancées sur l’autoroute. L’Iran s’engage sur la bretelle d’autoroute et d’autres pays qui regardent avidement pour savoir ce qui va se passer. A la clef, se pose la question d’une éventuelle anarchie nucléaire dans la région. C’est ce qui nous inquiète, c’est ce qui fait que le temps presse. Nous nous préoccupons des conséquences pour nos objectifs plus généraux dans le domaine nucléaire.

Ce n’est pas un monde que nous voulons voir, c’est pourquoi nous avons cette position, qui n’est pas idéologique, sur les sanctions. Les sanctions ont un coût pour tout le monde y compris pour la France.

Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur Briens.
Je ne voudrais pas faire rebondir le débat mais je pense qu’être un pays « du seuil » n’est pas la même chose qu’être un pays doté. Si un pays « du seuil » a la volonté de devenir un pays doté, il le peut en trois ans. Mais trois ans, ce n’est pas un délai nul.

Des pays comme le Japon, l’Allemagne, le Brésil, l’Afrique du sud sont des pays « du seuil », simplement on ne se méfie pas de leurs intentions.

Martin Briens
S’ils sont restés des pays « du seuil » c’est qu’ils bénéficient du parapluie nucléaire américain.
Mais la question, pour la région, est de savoir si les autres pays se sentiront suffisamment en sécurité ou s’ils souhaiteront développer eux-mêmes leurs propres options.

Jean-Pierre Chevènement
Il n’y a pas que les pays arabes du Golfe, il y a Israël et il y a le problème de la solution du conflit israélo-palestinien et il y a naturellement à l’horizon, pourquoi pas, la création d’un Moyen-Orient dénucléarisé qui serait quand même une perspective, sinon réaliste aujourd’hui, au moins très souhaitable quand un État palestinien viable aura été créé et quand Israël en retour aura vu son existence reconnue et sa sécurité garantie par tous les États du Moyen-Orient.
Merci à tous d’avoir apporté des éclairages divers sur cette question.

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1) De juillet 1997 à juin 1999, Richard Butler a supervisé la Commission spéciale des Nations unies (Unscom), créée le 3 avril 1991 par la résolution 687 du Conseil de sécurité de l’ONU et chargée de contrôler, conjointement avec l’Agence internationale à l’énergie atomique (AIEA), le démantèlement des armes de destruction massive irakiennes.
Par la résolution 715 du 11 octobre 1991, le contrôle du désarmement de l’Irak par l’Unscom devient continu. Pour l’Unscom, il ne s’agit plus d’assurer le démantèlement de l’arsenal des armes de destruction massive mais de prévenir une reconstruction éventuelle.
2) Programme de renforcement du régime des garanties dont les objectifs fondamentaux étaient, d’une part d’améliorer les capacités de l’AIEA à détecter des activités clandestines, d’autre part, d’augmenter le rendement et l’efficacité des garanties.
3) Article VI Chacune des Parties au Traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace.

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