L’organisation intercommunale face aux défis économiques. Le cas du bassin sidérurgique nord-mosellan
Intervention de Patrick Quinqueton, Conseiller d’Etat, Elu de la communauté d’agglomération du Val de Fensch, au colloque du 26 mai 2009, Réforme territoriale et développement.
Plutôt que d’en parler de façon générale, je partirai d’un exemple concret dont vous comprendrez assez vite qu’à mes yeux il est un exemple à tous les sens du terme : largement autant ensemble d’exemples de ce qu’il ne faut pas faire, qu’ensemble d’exemples de ce qui est souhaitable.
La coopération intercommunale a pris un tour nouveau avec la loi du 12 juillet 1999 sur l’intercommunalité, qui développe les communautés de communes, crée les communautés d’agglomération et conforte les communautés urbaines. Je voudrais ici faire le point sur les apports de cette nouvelle intercommunalité.
Pour cela, après une analyse de l’évolution de l’intercommunalité depuis 10 ans, puis une étude de cas sur l’intercommunalité dans le nord de la Moselle, où je suis élu, je reprendrai avec un œil critique les propositions du comité Balladur pour identifier les conditions nécessaires de la réussite.
1 – La loi du 12 juillet 1999 et ses conséquences
En 1965 étaient créées les communautés urbaines. Mais elles n’ont eu, du fait de leur fort caractère intégrateur, qu’un succès d’estime, se limitant à une quinzaine sur le territoire, et pas nécessairement dans les plus grosses agglomérations.
C’est en 1992, avec la loi dite « ATR » sur l’administration territoriale de la République, que l’on a vu apparaître les communautés de ville (qui ont échoué à naître véritablement) et les communautés de communes (qui se sont beaucoup développées, notamment en milieu peu dense). Déjà, l’accent porté par le législateur sur les projets de développement s’inscrivant dans des périmètres de solidarité atteste de la volonté de rompre avec la seule logique gestionnaire du modèle de coopération intercommunale encore dominant, celui de syndicats de communes gérant ou concédant des services publics.
Mais c’est par un effort de dotation important que l’on a pu à partir de la loi du 12 juillet 1999 déclencher un fort mouvement d’organisation territoriale. La loi dite « Chevènement », puisque c’est encore comme cela qu’on la désigne, a fait franchir à l’intercommunalité trois étapes décisives, avec le succès de la taxe professionnelle unique (qui est une intégration fiscale partielle et progressive), la structuration des agglomérations (par une articulation subtile entre les initiatives des élus et les décisions des préfets) et un surcroît de dynamisme des territoires ruraux (où, comme il a été dit, le mouvement de l’intercommunalité de projet était déjà pris avec la loi de ATR).
Aujourd’hui, c’est près de 90 % de la population française qui réside sur le territoire d’un EPCI (établissement public de coopération intercommunale) à fiscalité propre, soit 52 millions d’habitants. Parmi ceux-ci, plus de 40 millions sont placés sous le régime de la taxe professionnelle unique (TPU). S’agissant des compétences, les EPCI répondent à des besoins émergents peu investis par d’autres collectivités. Au-delà du développement économique et de l’aménagement de l’espace, qui sont des compétences obligatoires, ce sont surtout les compétences d’habitat et de gestion des déchets qui ont été repris, les trois quarts des EPCI ayant opté pour ces compétences. Par contre, moins de la moitié ont repris l’eau et l’assainissement (laissés aux syndicats existants) ou l’action sociale (laissée aux départements et aux CCAS) ou les transports (aux modes d’exploitation variés).
Les EPCI rencontrent cependant des difficultés qu’il faut identifier. Certains périmètres ne sont pas pertinents, comme on le verra avec l’exemple de l’agglomération thionvilloise. La situation financière d’un certain nombre d’EPCI n’est pas bonne, car ils n’ont pas toujours bien géré leur montée en puissance et les différents effets d’aubaine, voulus (la DGF) ou constatés (possibilité d’échapper à l’écrètement de la taxe professionnelle). Et les projets sont de niveau très variable, ce qui va de l’absence presque totale de projet territorial à des projets très impliqués et de projets affichés qui sont à côté de la réalité du territoire ou à des projets écrans occultant l’inaction.
Sous réserve du recul encore insuffisant, il semble que les EPCI se soient davantage réfugiés dans la gestion (avec ou sans économies d’échelle) de services existants que dans la définition concertée de projets nouveaux. Mais je voudrais sur ce point, plutôt que tenir des propos généraux, vous parler d’une réalité que je connais bien qui est celle du nord de la Moselle où je suis élu, avec des interruptions depuis 27 ans, d’abord comme conseiller général de la Moselle, puis comme conseiller municipal des communes de Fameck puis de Nilvange et comme conseiller régional, et plus récemment comme membre du bureau du conseil d’agglomération du Val de Fensch.
2 – L’intercommunalité dans le nord de la Moselle
Un rapport complexe à l’industrie, de la sidérurgie à la reconversion
La sidérurgie occupait dans le nord de la Moselle quelque 100 000 salariés dans l’après-guerre, avec les usines De Wendel à Hayange, mais aussi un certain nombre de petits producteurs. Aujourd’hui, les emplois directs dans la sidérurgie ne représentent plus que quelques milliers. Cependant, même avec la fermeture progressive de l’usine de Gandrange, demeurent deux usines importantes, avec Sollac Lorraine qui fabrique des tôles pour l’industrie automobile européenne ou Corus à Hayange-Nilvange qui est le seul fabricant de rails en Europe de l’ouest. Par le hasard de l’histoire, la première fait partie du groupe Mittal et la seconde du groupe Tata, ce qui fait que ce sont aujourd’hui des industriels indiens concurrents qui contrôlent ce qui reste de la sidérurgie lorraine.
Un mot au passage sur le tourisme industriel, qui y est à la fois un élément d’identité et un élément d’ambiguïté. La possibilité de visiter une ancienne mine de fer aménagée à Hayange, puis la création par la communauté d’agglomération d’un site sur le haut fourneau d’Uckange sont significatifs d’un rapport à l’activité sidérurgique qui est de la regarder comme passée. Du coup, les acteurs locaux n’ont pas vraiment compris l’enjeu que constitue le projet d’investissement de recherche de captation du carbone sur un haut fourneau, décidé par le groupe Mittal à la veille de la crise et aujourd’hui en attente.
En effet, le syndrome de l’abandon a été ressenti socialement par la double situation des parents en préretraite et des jeunes au chômage ou partant chercher du travail ailleurs. Cet éloignement du travail a contribué à conforter la population dans l’assistanat, qui résultait déjà du paternalisme de la sidérurgie (économats, centres sociaux, clubs sportifs, maisons d’habitation, etc). C’est une des faiblesses du territoire.
Le militantisme syndical, qui est à l’origine de la constitution du nouveau personnel politique depuis un demi-siècle, a parfois une conception un peu figée de l’industrie, qui l’empêche de la voir évoluer. C’est compréhensible, car il est bien difficile au milieu des restructurations de mesurer ce qui peut être porteur d’activité dans l’avenir.
La nouvelle industrie n’est pas le prolongement de l’ancienne : entre la famille de Wendel et M. Mittal, le rapport au territoire n’est pas le même. L’implantation en Lorraine de la production d’acier est liée à l’existence de mines de fer. Mais l’avantage que voit M. Mittal à la production de tôles d’acier dans le nord de la Moselle est la proximité de la plupart des grands constructeurs automobile du nord de l’Europe. La même localisation n’est plus mesurée à la même aune.
Les éléments d’organisation et de désorganisation du territoire
La place des collectivités publiques dans les évolutions industrielles est centrale. Mais la conversion a été plutôt mal vécue en Lorraine, alors même qu’elle mobilisait des fonds importants. Du fait de l’ampleur des restructurations des années 70 et 80, il a été décidé de mettre le paquet sur la convention de protection sociale qui finançait surtout des préretraites (dispenses d’activité et cessations anticipées d’activité) : la direction du travail de la Moselle qui la gérait alors distribuait chaque année plusieurs milliards de francs d’aides aux sidérurgistes, qui étaient des revenus de remplacement. Mais elle contribuait peu à la conversion industrielle, qui n’est venue qu’après, au milieu des années 80, à quelques exceptions près, comme l’automobile (deux usines du groupe PSA).
La centrale nucléaire de Cattenom a cependant pu se construire il y a 30 ans sans grande opposition locale, sans doute parce que les habitants avaient vu bien pire en matière d’environnement et qu’elle paraissait propre et silencieuse en comparaison avec des hauts fourneaux et des aciéries. Du coup, les manifestants étaient surtout luxembourgeois et allemands. Mais le fait qu’elle a été construite (assez logiquement) un peu à l’écart des zones denses d’activité sidérurgique et d’habitation n’en a fait un instrument de développement local que sur le canton de Cattenom, qui s’est organisé très vite en district pour en redistribuer la taxe professionnelle. La Communauté de communes de Cattenom et environs est aujourd’hui une communauté riche, à côté de l’agglomération thionvilloise. Une partie des moyens du développement est donc hors de l’agglomération réelle.
Elle développe des moyens importants en direction des services à la personne pour des habitants qui pour l’essentiel ont un emploi au Luxembourg. Car c’est là une autre caractéristique de cette région : près de 100 000 habitants du nord de la Lorraine traversent la frontière tous les matins pour aller travailler. Notons d’ailleurs qu’il y a au Luxembourg le même nombre de travailleurs frontaliers allemands. Dans ma commune, celle de Nilvange, qui est surtout un ensemble de cités sidérurgiques, plus de la moitié de la population active travaille aujourd’hui au Luxembourg. C’est à la fois une manne économique, qui demeurera tant que les difficultés n’auront pas atteint ce « paradis fiscal », mais c’est aussi un élément de désorganisation du territoire : c’est un territoire dont l’avenir est « à côté ». L’attraction est ailleurs.
Le second élément de désorganisation a été la divergence des réactions du personnel politique local face aux restructurations de la sidérurgie, puis face à l’organisation intercommunale.
Les élus communistes sont historiquement nombreux d’abord dans le pays haut (région des mines de fer à l’ouest de l’agglomération) et dans le bassin sidérurgique en général, où ils s’opposaient classiquement aux personnels en col blanc mis en place par l’usine dans les communes du bassin.
Le Parti communiste s’est renforcé dans les années 70 dans des municipalités comme Thionville (contrôlée par le PCF de 1977 à 1995) ou comme Hayange (avec des municipalités instables et un équilibre 50/50 entre le PS et le PCF). C’étaient le plus souvent des syndicalistes CGT de l’usine, voire des syndicalistes licenciés pour leur activisme, ce qui créait un climat globalement hostile et une vision du développement en termes de revendications.
L’arrivée d’élus socialistes dans un certain nombre de communes à partir de 1977 a été à la fois un facteur de rénovation et de divergence, parce qu’il s’agissait souvent de sidérurgistes syndiqués à la CFDT et que les désaccords entre représentants du personnel dans l’entreprise se trouvaient dupliquées dans les municipalités. Mais en une quinzaine d’années, les enseignants et les fonctionnaires en général ont constitué l’essentiel du personnel politique du PS, ce qui n’a pas été de nature à forger une nouvelle culture industrielle.
A proximité, la petite commune d’Amnéville, sur le territoire de laquelle se trouve une partie importante de la désormais célèbre usine de Gandrange, développe depuis 30 ans une sorte de « socialisme municipal » qui ne dit pas son nom, qui est d’ailleurs plutôt un « capitalisme municipal ». Le maire, proche de la droite dure, serait d’ailleurs sans doute effrayé de l’emploi de la première expression. La ville d’Amnéville, disposant de moyens importants en taxe professionnelle du fait de l’usine, a créé de toutes pièces en 25 ans une véritable station thermale et de loisirs, mêlant des investissements publics de la commune, avec la construction de la station thermale et l’aménagement de structures d’accueil d’investissements privés (casino, hôtels et restaurants, cinémas, grande salle de spectacle, parc zoologique, terrain de golf, piste de ski artificielle et couverte, etc). Cela représente aujourd’hui plus d’un millier d’emplois, soit deux fois plus que l’usine de Gandrange en train de fermer.
Les formes de l’intercommunalité dans le bassin sidérurgique
Une intercommunalité minimale s’est constituée sur la vallée de l’Orne (ancienne vallée sidérurgique à l’ouest d’Hagondange), dont Amnéville fait partie. Une autre partie de cette vallée a constitué une autre communauté de communes, avec la rive droite de la Moselle, qui est le lieu d’implantation d’une usine PSA. Cette faible organisation intercommunale n’est pas grave pour des territoires urbanisés sans véritable centre et assez hétérogènes.
Mais c’est la structuration en deux communautés de l’agglomération de Thionville qui est l’élément le plus déstructurant du nord de la Moselle, c’est-à-dire de la zone peuplée la plus proche du Luxembourg.
L’histoire en est assez banale. Les communes de la vallée de la Fensch, vallée sidérurgique d’urbanisation autour des usines à l’ouest de Thionville, ont constitué une communauté de communes en juin 1998. La commune où je suis élu, Nilvange, défendait alors le principe d’une communauté unique englobant Thionville. C’est le refus initial du maire (RPR) de Thionville qui a conforté les maires (PS pour la plupart) des communes de la Fensch dans leur intention de se constituer en intercommunalité, sur un territoire homogène politiquement mais dont l’identité était paradoxalement liée à une industrie qui n’employait déjà plus grand monde. Puis elle s’est transformée en communauté d’agglomération en 2000. Depuis, les élus modérés de Thionville, de son agglomération et du pays haut, ont créé une nouvelle communauté d’agglomération dite « Thionville Porte de France », qui entoure en partie la précédente. Il y a désormais deux communautés d’agglomération et les fusionner est un exercice politiquement délicat, du fait des équilibres politiques.
Et quand il faut traiter de questions qui sont du niveau de l’agglomération réelle, on crée un syndicat mixte, dont les deux communautés sont membres avec d’autres petites communes des alentours : c’est par exemple le cas pour le schéma d’organisation territoriale (un syndicat mixte), pour la gestion du réseau de transport public (un autre syndicat mixte), pour la fabrication et la distribution d’eau potable (un troisième syndicat, celui-là commun avec le nord de la Meurthe-et-Moselle). Ce qui devait simplifier l’organisation intercommunale peut, si l’affaire est mal orientée, être facteur de complications supplémentaires.
Mais il faut aussi avoir un œil sur les initiatives luxembourgeoises. Le nouveau pôle d’activités d’Esch Belval, initiative de développement décidée il y a sept ans par le gouvernement du Grand duché de Luxembourg, consiste à regrouper et à créer sur une ancienne friche industrielle un pôle d’activités universitaires, de recherche, d’activité économique et de logements. C’est le nouveau pôle d’activités du Luxembourg en cours de constitution, financé par le « pôle de compétitivité financier » qui se porte encore très bien. Mais le moins que l’on puisse dire est que les agglomérations françaises proches ne suivent le projet qu’en ordre dispersé. En outre, il est probable que le caractère fortement orienté vers l’immobilier d’entreprise et la place de Dexia, dont on connaît les difficultés, dans le financement, pourraient être à l’origine de remises en cause.
Le bassin sidérurgique a longtemps fait un atout de sa main-d’œuvre formée, ce qui est davantage vrai des jeunes que des anciens, car la sidérurgie employait historiquement une main d’œuvre peu formée et se contentait en interne de l’adapter aux postes occupés. Mais aujourd’hui, la main-d’œuvre jeune et formée trouve à s’employer principalement au Luxembourg. Et comme cela permet un taux de chômage moyen faible, la région et le département ne considèrent pas le développement économique de ce territoire comme une véritable urgence.
En outre, l’agglomération de fait manque d’un pôle universitaire. Les plus proches sont soit limités à quelques spécialités (comme celui de Metz à 30 ou 35 km) soit en cours de constitution dans un petit pays voisin (comme celui en devenir d’Esch Belval, à 20 km). L’université de Nancy à 90 km et celle de Strasbourg à 170 km sont bien loin. Par ailleurs, la recherche sidérurgique (l’IRSID) peine à s’ouvrir sur d’autres activités, après avoir connu des années de déclin. Peut-être la décision du groupe Arcelor Mittal (déjà prise mais dont la réalisation peut être remise en cause par la crise) d’investir dans un des hauts fourneaux de Hayange l’expérimentation de procédés de captage de carbone, pourrait la relancer. Mais les éléments intellectuels d’un pôle de compétitivité manquent.
C’est encore l’emplacement et les voies de communication (autoroute gratuite sur 150 km, TGV jusqu’à Thionville et Luxembourg, navigation sur la Moselle, proximité de l’aéroport de Luxembourg) qui sont aujourd’hui le principal atout qui permet des activités industrielles dans le nord de la Moselle. Ce n’est généralement pas le signe d’un grand dynamisme du territoire. Et actuellement, le nord de la Lorraine fonctionne davantage comme un lieu de passage que comme un lieu où on aurait des raisons de s’arrêter.
Comme on le voit, faire de l’intercommunalité un facteur de développement suppose encore un travail qualitatif en profondeur sur l’existant.
3 – Réforme territoriale et développement
Les propositions du comité pour la réforme des collectivités locale présidé par Edouard Balladur comportent des éléments de nature à conforter et à améliorer la structuration intercommunale, mais pas toujours à en corriger les défauts. La restructuration des intercommunalités défaillantes n’est pas vraiment à l’ordre du jour. C’est d’abord dans la cohérence administrative que se situent les propositions, comme le renoncement à créer de nouveaux pays ou la recherche d’une similitude de limites entre l’intercommunalité de projet et les syndicats de communes gérant des services publics.
Le rapport du comité propose d’abord (c’est la proposition n° 4) d’achever, avant 2014, la carte des intercommunalités. Cette formulation est curieusement quantitative. Il est souhaité que les communes qui ne sont membres ni d’une communauté urbaine, ni d’une communauté d’agglomération, ni d’une communauté de communes rejoignent avant 2014 la forme de groupement correspondant à l’importance de leur population. C’est une proposition satisfaisante pour un esprit planificateur, mais cela revient à supposer d’abord que toutes les intercommunalités existantes ont un bon périmètre, un vrai projet et des marges financières pour le faire vivre. Sauf si l’exemple que j’ai développé est rarissime, il me semble qu’il y a aussi des marges de progression dans l’existant.
Plus logique est l’idée (c’est la proposition n° 5) de rationaliser avant 2014 (c’est l’échéance clé affichée par le rapport) la carte des syndicats de communes. Il est proposé que soient absorbés par les EPCI les SIVOM et les SIVU dont le périmètre correspond à celui des communautés existantes et que soient précisées les conditions d’adhésion des communes à des syndicats dont le périmètre ne recoupe que partiellement celui du groupement. Il s’agit de rendre possibles des adhésions à raison de compétences à géométrie variable, ce qui est pratique dans les compétences qui n’ont pas un caractère structurant. C’est d’ailleurs possible dans les SIVOM actuellement, pourquoi pas dans les EPCI de projet.
Il est curieusement mais assez logiquement proposé de ne plus créer de nouveaux « pays » au sens de la loi du 4 février 1995 (c’est la proposition n° 6). La plupart des pays ont en effet préfiguré les groupements de communes. Et il n’appartient pas aux institutions de se fondre dans l’informel mais de donner à celui-ci les moyens de s’appuyer sur des institutions qui assument leurs compétences comme telles.
Sur le plan de l’organisation démocratique, il est suggéré d’instaurer l’élection des organes délibérants des EPCI à fiscalité propre (c’est la proposition n° 7). Ils seraient élus au suffrage universel direct, en même temps et sur la même liste que les conseillers municipaux. La raison en est énoncée simplement : la plupart des groupements de communes exercent de fait des compétences très larges en lieu et place des communes qui les constituent, sans que les organes délibérants ne procèdent du suffrage universel direct. Mais cette idée qui semble s’appuyer sur le bon sens revient à faire des EPCI des collectivités territoriales à part entière, en affaiblissant la légitimité de conseils municipaux. J’approuve personnellement ce choix pour les communautés urbaines et les communautés d’agglomération, mais sans doute pas pour les communautés de communes. Il s’agirait d’un système de fléchage des conseillers communautaires dans le cadre de l’élection des conseillers municipaux. Mais il faut conserver la possibilité de listes municipales qui ne s’inscrivent pas dans les deux grands partis existants (qui se partagent la quasi-totalité des EPCI, hors zones rurales profondes), sauf à figer le système démocratique. Il faut avancer pas à pas en la matière.
Le cadre d’une élection doit être parlant pour l’électeur. Il ne faut pas recommencer le découpage des « grandes circonscriptions » pour l’élection au Parlement européen : quand la circonscription ne représente rien pour le citoyen, l’électeur ne peut rien dire et il se tait ! Dans le prolongement de cette question, se pose celle de l’élection des « conseillers territoriaux » qui est controversée (c’est la proposition n° 3). Je suis, pour ma part, assez favorable à une élection de conseillers qui soit commune aux départements et aux régions (ou à un système de fléchage), car il faut bien dire qu’actuellement, la population n’a pas vraiment l’impression que les conseillers régionaux soient élus. Cela permettrait le maintien d’une territorialisation des conseils généraux et l’ancrage territorial des conseils régionaux, facteurs de dynamisme démocratique.
Enfin, le regroupement de régions et de départements est un exercice délicat (voir les propositions n° 1 et n° 2). Par exemple, la Lorraine a des relations économiques, sociales et commerciales avec le Luxembourg, mais très peu avec l’Alsace. Ni Metz, ni Thionville ne sont tournées vers Strasbourg. La Meuse en est très loin, et les Vosges sont tiraillées entre plusieurs pôles d’attraction. Cela a des raisons anciennes de nature géographique : le massif des Vosges sépare l’Alsace et la Lorraine. Cela a aussi des raisons économiques, car l’Alsace est une des régions les plus riches de France, dont l’identité est forte et le chômage faible, alors que la Lorraine est une région autrefois riche (le « Texas lorrain »), mais qui accumule les difficultés économiques et se dépeuple depuis 25 ans. Mais le choix d’un volontariat, et donc d’une maturation suffisante des projets de regroupements, est sans doute le bon.
En conclusion, je voudrais formuler deux observations.
Il est vain d’attendre de la seule structuration des collectivités territoriales les conditions du développement économique. Il peut être facilité ou empêché, mais l’essentiel est ailleurs, dans la collaboration entre les lieux de compétence et les lieux de production, que les collectivités publiques peuvent organiser, faciliter ou encourager, mais non décréter. Et les collectivités locales ou l’Union européenne ont à cet égard les mêmes défauts que l’Etat et moins de légitimité. Je ne reviens pas sur la réalisation d’équipements structurants et sur la maturation de pôles de compétitivité, qui ont été largement développées.
Mon autre conclusion est qu’il faut se méfier des schémas dans l’organisation des collectivités territoriales et toujours regarder la réalité avec un œil critique. Nous sommes passés en 25 ans d’une suspicion à l’égard des élus à une attitude systématiquement laudatrice qui n’est pas de mise. Les politiques et les organisations locales doivent être interrogées sur leurs objectifs, résultats et sur leur pertinence.
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