Le Lobbying européen ou le clair obscur du dessein communautaire

Intervention de Marie-Laure Basilien, maître de conférences en droit public à l’Université de Paris III Sorbonne nouvelle, lors de la première partie du colloque du 14 février 2009, L’Europe au défi de la crise : « Le fonctionnement de l’Union ».

Monsieur le président, Madame la présidente, pour commencer cette communication sur le lobbying européen, chose obscure s’il en est, je recourrai à un film qui participe d’une culture partagée : Les temps modernes de Charlie Chaplin. Vous vous rappelez sans doute les rouages gigantesques qui transforment un Charlot minuscule en saboteur désopilant. Je vous propose de regarder un autre film : Les temps européens. Les rouages – dont le gigantisme n’est pas imputable à la machine mais à son concepteur – sont les institutions de l’Union européenne, le saboteur comique est, selon les uns, le citoyen européen, selon les autres, les Etats nationaux. Dans le film, la verve comique de l’auteur, la grâce cinématographique de Charlot permettent à celui-ci de ressortir indemne de son périple mécanique. Cet individu, avec ses intérêts particuliers, les Etats, avec leurs intérêts nationaux, sont-ils le grain de sable qui vient enrayer l’ingénierie communautaire ou l’huile qui garantit le fonctionnement institutionnel de cette Union ? Evidemment les deux. Ce sable, cette huile, vont contrarier, vont lubrifier les rouages de l’Union. C’est, grosso modo, ce que je vais essayer de vous présenter dans cette communication.

Jamais il n’aura été autant question du lobbying européen que depuis le lancement de l’Initiative européenne en matière de transparence ETI (1). Conduite par la Commission Barroso en général, et par Siim Kallas, vice-président de la Commission et commissaire en charge des affaires administratives et de la lutte anti-fraude en particulier, cette initiative s’inscrit dans la lignée du livre blanc sur la gouvernance européenne de juillet 2001 (2) et du plan D (Démocratie Dialogue Débat) d’octobre 2005 (3). Le livre vert sur l’initiative européenne en matière de transparence (4) présenté le 3 mai 2006 se développe autour de quatre axes : augmentation et amélioration des informations sur l’octroi, la gestion, et l’emploi des fonds européens (5) ; affirmation de la lutte contre la fraude ; définition de l’éthique et consolidation de la responsabilité des législateurs européens ; clarification des activités des organisations de la société civile. Ce dernier axe renvoie en fait à la régulation du lobbying. La Commission tâche ainsi de répondre aux interpellations qui lui ont été adressées par le Corporate Europe Observatory CEO (6) en octobre 2004, et par l’Alliance for Lobbying Transparency and Ethics Regulation ALTER EU (7) à partir de juillet 2005. Ces groupes d’intérêt civiques, ces « lobbies anti-lobbies », regardent le lobbying comme un facteur d’aggravation du déficit démocratique dont on accuse bien souvent l’UE. A vrai dire, le sujet est d’importance. Car les lobbies se révèlent indispensables pour élaborer les régulations des secteurs qui relèvent de la compétence de l’UE, en ce qu’ils fournissent, à des institutions communautaires sous dotées en termes humains et financiers, les informations nécessaires à leurs travaux. Car les lobbies s’avèrent inquiétants eu égard aux dérives qu’ils peuvent générer, aux effets délétères qu’ils peuvent provoquer, comme le scandale Abramoff l’a mis en évidence aux Etats-Unis (8).

Ce sont environ 3 000 groupes de pression qui disposent aujourd’hui d’une représentation permanente à Bruxelles, afin d’influencer au niveau de l’Union européenne l’adoption des décisions politiques, l’application des normes juridiques, ou encore l’attribution des fonds communautaires (9). On dénombre ainsi quelque 800 fédérations commerciales, 500 cabinets de conseils, 300 compagnies internationales, 300 organisations non gouvernementales, 300 entreprises nationales, 300 fédérations syndicales, 100 collectivités locales, 100 organisations internationales (10). Les fédérations commerciales européennes représenteraient un tiers de ces groupes ; les bureaux de consultants, un cinquième ; les entreprises individuellement, les ONG et les syndicats (d’employeurs ou de salariés), chacun environ 10% ; les représentations régionales et les organisations internationales, 5% chacune ; et les think tanks, 1%. Cette variété d’acteurs du lobbying peut être grossièrement scindée en deux catégories en fonction des intérêts défendus : d’une part, des intérêts qualifiés le plus souvent de civiques (causes environnementales, régionales, sociales et communautaires, intérêts des consommateurs) ; d’autre part, des intérêts liés aux producteurs (qu’il s’agisse du secteur marchand en général, d’une profession en particulier ou des intérêts des travailleurs).

Or, les lobbies emploient entre 15 000 et 30 000 lobbyistes, et drainent un budget annuel qui oscille entre 90 et 900 millions d’euros selon les estimations (celles de la Commission et du CEO respectivement). A eux seuls, ces chiffres attestent de l’importance prise par le lobbying, qui constitue désormais dans l’UE un véritable secteur économique, celui de l’influence. Quand bien même toute estimation s’avère délicate à réaliser et à exploiter du fait de l’absence pour l’heure de tout registre obligatoire, Bruxelles semble désormais disputer à Washington la place de première espace mondial du lobbying en termes non pas absolus mais relatifs (11). En effet, l’extension des domaines d’intervention des institutions européennes et l’augmentation des sujets tranchés à la majorité qualifiée au Conseil ont fait prendre conscience aux opérateurs économiques que des actions d’influence et de pressions exercées sur les seules autorités nationales étaient désormais impuissantes à défendre leurs intérêts. Avec la préparation de l’Acte unique européen et celle du traité de Maastricht, on a vu de grands groupes britanniques et allemands (Shell, BP, ICI, Philips) suivre l’exemple de leurs concurrents américains, qui disposaient de représentations permanentes auprès des institutions communautaires depuis les années 1970.

Quant à l’expansion des matières relevant de la procédure de codécision et l’amplification afférente des compétences du Parlement européen, elles ont amené les acteurs à comprendre qu’une action focalisée sur la Commission était désormais insuffisante. Avec l’entrée en vigueur des traités de Maastricht, Amsterdam, et Nice, le lobbying s’est amplifié, augmentant même de 100% entre 1994 et 2005 sur les eurodéputés et leurs assistants (12). Toutefois, cela n’a guère été le fait des groupes d’intérêt traditionnels, autrement dit économiques. Accoutumés à exercer sur la Commission une influence appuyée sur des expertises, ceux-ci ont hésité à s’investir dans des actions auprès du Parlement européen. En effet, cette institution leur semblait politique, donc peu réceptive aux arguments techniques ; et marginale, donc peu influente sur la définition de l’agenda normatif (13). Les groupes d’intérêt civique n’ont pas manqué d’en profiter. Alors qu’ils bénéficiaient d’un accès limité à la Commission peu encline à prêter attention à leurs demandes à raison de ces compétences essentiellement économiques, ils ont découvert dans le Parlement une instance ouverte à leurs préoccupations, une instance consciente de pouvoir incarner encore plus ainsi la légitimité démocratique de l’UE. Cependant, face aux succès remportés par les groupes d’intérêt civique grâce à leurs actions sur le Parlement, les groupes d’intérêt économique ont saisi l’enjeu d’une présence auprès des eurodéputés et de leurs assistants (14).

Par conséquent, l’affirmation du Parlement européen face à la Commission et au Conseil, si elle a offert une dimension représentative à l’UE, n’a pas repoussé la logique participative. Les mécanismes fonctionnels du lobbying n’ont pas vu leur emploi se réduire. Bien au contraire, du fait du renforcement de l’autorité du Parlement dans le triangle institutionnel et dans le trilogue informel, les procédures de prise de décision se sont complexifiées et sont alourdies : se sont multipliées les autorités qui sont susceptibles d’être influencées, les moments qu’il est possible de saisir pour intervenir, les incertitudes qu’il convient d’envisager pour les maîtriser. Florence Autret le résume clairement ainsi : « le lobbying européen croît et embellit à mesure que les institutions européennes consolident leurs compétences et étoffent leur agenda » (15). Car le lobbying (l’influence des intérêts particuliers) n’est pas à appréhender comme un concurrent ou un suppléant de la représentation (la projection de l’intérêt général) : le lobbying est le complément nécessaire, le supplément fonctionnel. En effet, la médiation des gouvernements nationaux d’une part, et l’expression du Parlement européen d’autre part, ne parviennent pas à garantir à eux seuls la canalisation des demandes et la construction des attentes des sujets du droit communautaire : n’oublions pas que ce sont presque un demi-milliard de personnes qui ressortissent de 27 Etats. L’utilité se fait ainsi jour d’une présence à Bruxelles de fédérations professionnelles et syndicales, européennes et nationales, de bureaux de représentations d’entreprises, de coalitions sectorielles de groupes internationaux, d’ONG environnementales ou sociales, de cabinets de conseil en lobbying, de représentations de collectivités locales, de think tanks.

Toutefois, les actions de ces groupes d’intérêt, si elles présentent l’avantage de contribuer à l’approfondissement et à l’élargissement de l’Europe, ne sont pas sans comporter quelques inconvénients. En effet, elles tendent à fragiliser la légitimité déjà ténue d’institutions qui se voient constamment reprocher leur déficit démocratique. Par les inégalités qu’ils engendrent et par la discrétion qu’ils encouragent, les lobbies pourraient bien affecter la construction d’une Europe des citoyens, à moins qu’une régulation ne vienne encadrer leurs activités pour les rendre contraintes et transparentes. Et l’on peut comprendre aisément dans un tel contexte que le lobbying suscite des réactions fortes et éveille des positions dures. Soit il est célébré de manière exagérée : le lobbying est regardé comme le mode moderne de pratique de la démocratie directe. Soit il est dénigré de façon outrancière : le lobbying est appréhendé comme la manifestation de la soumission du politique à l’économique, voire l’invasion de la corruption dans la sphère publique. Bien évidemment, la position ici défendue sera celle de la nuance, de la balance entre les avantages et les inconvénients induits par ce mécanisme fonctionnel. En effet, pour l’UE, le lobbying n’est pas seulement une nécessité (I) ; il est aussi une gageure (II).

I – le lobbying européen, une nécessité pour l’UE

Pour certains, telle Florence Autret, le lobbying ne saurait être regardé comme la manière contestable de bâtir des politiques et de construire des normes que promeut Bruxelles : parce qu’il répond à la fois à une demande sociale de participation et à un besoin institutionnel de légitimation, le lobbying serait même « le quatrième pied sur lequel repose l’édifice politique européen » (16), les trois autres pieds étant le monopole d’initiative de la Commission (quoique souvent artificiel), le vote à la majorité qualifiée au Conseil, le principe de primauté du droit communautaire. Pourtant, rien là d’étonnant, puisque les pères fondateurs de la construction communautaire ont développé une vision pragmatique du politique inspirée de la théorie fonctionnaliste anglo-saxonne (17). Aux U.S.A. comme dans l’UE, la norme juridique est comprise comme un texte concret et imparfait, parce qu’elle est le fruit d’un compromis obtenu de façon réaliste entre des intérêts qui sont divergents quand ils ne sont pas opposés ; l’intérêt général est appréhendé de manière nominaliste, parce qu’il n’est guère distinct de la somme des intérêts individuels qui sont relayés par les groupes d’intérêts particuliers.

Inutile d’insister davantage sur ce que cela peut avoir de déroutant pour une pensée continentale qui voit dans la loi l’expression d’une volonté générale tout à la fois abstraite et parfaite, qui voit dans l’intérêt général la manifestation d’une transcendance collective (18). Néanmoins, l’implication des acteurs privés dans l’élaboration et l’application des décisions des autorités publiques est bel et bien un réel auquel il convient de s’accoutumer : le terme de lobbies ne désigne plus seulement les couloirs et les salons de la résidence du général Grant envahis par des solliciteurs, alors que la Maison Blanche venait en 1814 d’être ravagée par un incendie ; il concerne également les couloirs des immeubles de la Commission et de ses directions générales, ainsi que les corridors des bâtiments du Parlement européen. Car les activités de lobbying, définies par la Commission comme ces « activités qui visent à influer sur l’élaboration des politiques et les processus décisionnels des institutions européennes » (19), se révèlent être non seulement des instruments d’aide à la prise de décision (A), mais encore des outils de légitimation des institutions et de leurs décisions (B).

A – le lobbying, instrument de décision

A raison de l’existence d’un agenda politique européen de plus en plus fourni, les conditions et les termes de l’intervention publique sont de moins en moins définis au niveau national, sans que les Etats membres puissent pour autant se départir de leur responsabilité (ce qu’ils ne manquent pas de faire). Des subventions sont attribuées, dont dépendent la survie de certaines organisations et la réalisation de leurs projets (programmes Leader+, Equal, Urban, Interreg, Daphné, etc.) ; des politiques sont menées, qui déterminent l’avenir économique d’un secteur ou d’une région (libéralisation du secteur de l’électricité et du gaz) ; des harmonisations sont réalisées, qui portent sur la normalisation et la labellisation de certains produits (directive chocolat (20)) ; des normes sont adoptées, dont l’autorité juridique est affirmée comme supérieure à celle des règles nationales (règlement REACH (21)). Et l’on comprend bien pourquoi les groupes d’intérêts cherchent à influencer la définition des critères de sélection des projets éligibles aux fonds structurels, la ventilation des financements entre les programmes, la rédaction des normes communautaires (directives, règlements, décisions), la mise en application de ces dispositions communautaires.

Les lobbies travaillent donc à se faire entendre et comprendre de chacune des instances de l’UE (Commission, Parlement, Conseil, Agences, etc.). Ils tâchent donc d’intervenir à tous les stades du processus politique, de l’identification des problèmes jusqu’à la mise en place des mesures adoptées. Leur objectif ne consiste pas tant à optimiser les avantages qu’ils espèrent retirer d’une norme européenne, qu’à en minimiser les inconvénients. Car telle est leur crainte : que les décisions soient prises sur la base d’une connaissance insuffisante, d’une compréhension erronée, ou d’une analyse incorrecte, des problèmes et des enjeux d’une entreprise, d’une branche, d’un secteur. C’est pourquoi ils se présentent comme des pourvoyeurs d’informations et d’expertises, susceptibles de permettre aux institutions de prendre des décisions adaptées donc efficaces. Le Parlement européen le résume clairement : les lobbyistes sont des « personnes qui souhaitent accéder fréquemment aux locaux du Parlement en vue de fournir des informations aux députés dans le cadre de leur mandat parlementaire, et ce pour leur propre compte ou celui de tiers » (22). Informer certes ; mais pour influencer. Car il incombe aux lobbies de combattre les préjugés dont les intérêts qu’ils défendent peuvent être l’objet, de déjouer l’effet de discipline au sein des partis, de contrecarrer l’influence de leurs rivaux et concurrents.

Quant aux institutions communautaires, elles accueillent favorablement les informations que leur fournissent les groupes d’intérêts (23). Pourquoi ? Simplement parce qu’elles manquent cruellement de moyens propres (en particulier humains) pour accomplir leur mission. Les normes et les pratiques en vigueur dans les vingt-sept Etats membres de l’UE doivent toutes être connues et comprises, avant que de pouvoir être harmonisées voire transformées : à n’en pas douter, la tâche est lourde et complexe. Or, la Commission par exemple ne dispose pour ce faire que de 25000 fonctionnaires, pas plus que la ville de Rotterdam, deux fois moins que la ville de Paris, dont les compétences tant territoriales que matérielles sont autrement moins larges. Quant au Parlement européen, il s’appuie sur une administration de moins de 5000 fonctionnaires qui sont pour l’essentiel des traducteurs et interprètes. Dans un tel contexte, nul besoin de s’éterniser sur l’utilité que représentent les expertises techniques et les analyses comparatives élaborées par des groupes d’intérêts pour des institutions communautaires qui veulent éviter de produire des normes en décalage avec les réalités.

Les autorités européennes s’appuient ainsi sur le lobbying afin de détenir les informations qu’elles pensent indispensables à une prise de décision appropriée. Toutefois, une précision doit immédiatement être apportée. L’accès que les acteurs privés se voient ainsi offrir par les autorités publiques, l’influence qu’ils se voient autorisés à exercer sur les décisions européennes, dépendent évidemment de la nature des renseignements qu’ils fournissent. Les groupes d’intérêt doivent prouver leur crédibilité. Voilà le maître mot du lobbying européen, comme se plaît à le souligner le très autorisé Daniel Guéguen (24). Les informations qu’ils apportent doivent être de qualité pour ne pas être contestées pour leur manque de solidité et d’objectivité ; elles doivent être dispensées avec suffisamment de rapidité pour pouvoir être pleinement utiles aux institutions. Si les expertises techniques et les analyses comparatives ainsi fournies par les stakeholders aux autorités communautaires participent d’une meilleure qualité de la législation européenne, elles contribuent également à consolider la légitimité de ces autorités. Le lobbying est un instrument de décision. Certes. Mais c’est également un outil de légitimation.

B – le lobbying, outil de légitimation

Les instances européennes n’aspirent pas seulement à être informées ; elles acceptent aussi d’être influencées. Parce que subir des pressions de tous revient à ne subir des pressions de personne. Dès lors qu’il leur faut travailler à une nouvelle réglementation, les autorités communautaires (la Commission et le Parlement) entrent volontiers en relation avec les acteurs privés du secteur, qui leur fourniront rapidement les renseignements fiables dont elles ont besoin. Ce sont de multiples sources d’information qui se trouvent dans un tel contexte mises en compétition : si chacune d’entre elles peut être à juste titre regardée comme partielle voire partiale, l’ensemble qu’elles composent offre un panorama, si ce n’est parfaitement objectif, à tout le moins relativement complet de la question considérée. Les institutions de l’UE peuvent alors prendre en connaissance de cause leurs décisions, qu’elles orienteront vers plus de rationalité ou plus de consensualisme. L’élaboration du règlement REACH est une illustration exemplaire de ce fonctionnalisme, qui a suscité la mobilisation de lobbies la plus importante de l’histoire de l’UE : la Commission a en effet dû organiser un fastidieux travail de synthèse et de critique pour disposer du recul nécessaire par rapport à la trentaine d’études d’impact que lui avaient remises les lobbies concernés (25).

Le lobbying favoriserait ainsi une certaine hauteur de vue ; il permettrait aussi une profondeur d’action assurée. En effet, pour pouvoir accéder aux instances communautaires et pour les influencer, les groupes d’intérêt ont à prouver leur représentativité dans le domaine concerné. Car les autorités européennes attendent encore des lobbies qu’ils aient la capacité de contrôler leurs membres et par là même de leur faire accepter les décisions adoptées in fine. Bien plus, en bénéficiant ainsi du soutien de plusieurs groupes d’intérêts, elles ont les moyens de maintenir leurs positions face à d’éventuels contradicteurs. Le lobbying, loin d’être une activité unidirectionnelle des acteurs privés sur les autorités publiques, est à regarder comme une relation d’échange entre deux types d’organes interdépendants : l’acteur privé apporte aux autorités publiques des informations et des soutiens en échange d’une décision favorable aux intérêts qu’il défend ; de manière symétrique, les autorités publiques assurent aux acteurs privés l’obtention d’un compromis lors de l’adoption d’une décision qui tient compte de leurs préoccupations, et ce en échange d’informations et de soutiens.

Cependant, tous les lobbies ne peuvent prétendre détenir un même statut de représentativité. Les grandes entreprises ont certes l’avantage de disposer de services dédiés à la collecte et à l’analyse de renseignements qui leur permettent d’élaborer de solides expertises. Mais elles peuvent difficilement affirmer avoir une position communautaire, surtout lorsqu’elles ont la position de champions nationaux toujours suspectés par la DG concurrence de réveiller un protectionnisme économique. Pour elles, acquérir cette représentativité attendue des instances de l’UE suppose d’appartenir à des fédérations sectorielles (Eurelectric, CEFIC) ou de s’allier avec des partenaires voire des concurrents. Les groupes d’intérêt civique peuvent avec plus d’aisance se présenter comme des interlocuteurs sensibles à l’intérêt communautaire, en ce qu’ils agrègent des acteurs multiples venant de divers Etats membres autour de positions communes sur des questions globales (environnement, humanitaire, consommation, etc.) (26). Souvent ils ne peuvent produire des expertises faute de moyens ; mais les exceptions se font de plus en plus nombreuses (Greenpeace, Oxfam, Migreurop, etc.) (27).

La communication d’expertises et d’analyses, alors qu’elle tend à défendre une logique privée, doit adopter le langage des autorités publiques visées : l’exposé des informations nourrit des propositions normatives ; l’exposé des intérêts particuliers est couvert par la promotion d’un intérêt commun ; le souci d’efficacité s’inscrit dans un respect de la formalité ; l’argumentation technique se met au service d’un affichage politique ; etc. Partant, les institutions communautaires espèrent conforter leur légitimité et celle de leurs décisions. La consultation des stakeholders assure une représentation de type socioprofessionnel aux citoyens, qui alimente la légitimité par les inputs, les principes. Et la distance prise à l’égard de chacun des stakeholders consultés permet l’adoption d’une norme adaptée aux enjeux et adaptable aux terrains, qui promeut la légitimité par les outputs, les résultats. Cependant, le lobbying profite et participe d’un défaut de transparence du processus décisionnel de l’UE : il se complaît dans les discussions officieuses et dans les compromis consensuels. Dès lors, il est source de danger : danger de dérives et de malversations, danger de méconnaissance et de marginalisation. Le lobbying est bien une gageure.

II – le lobbying européen, une gageure pour l’UE

Si le lobbying a de quoi inquiéter, c’est globalement pour deux raisons. Premièrement parce qu’il est important, et qu’il peut susciter la crainte que les influences exercées par les groupes d’intérêt sur les autorités européennes ne soient excessives. Deuxièmement parce qu’il est important, et qu’il peut éveiller la peur que les méthodes à employer pour mener des actions de lobbying et défendre ses intérêts ne soient pas suffisamment maîtrisées. Pour faire contrepoids aux pressions des acteurs privés, une solution s’impose : renforcer les autorités publiques en leur donnant les moyens de ne plus rester aussi dépendantes des expertises et des analyses des stakeholders, et en leur permettant d’instaurer une régulation du lobbying assorti d’un contrôle de son respect (28). Certes, les institutions et les politiques de l’UE ont pu un certain temps fonctionner correctement, en évoluant dans la discrétion et en reposant sur la confiance ; il suffisait alors de nommer et de blâmer ceux qui avaient abusé de leur accès et de leur influence, pour que la sanction soit suffisante et la prévention efficace. Mais tel ne peut plus être aujourd’hui le cas : un tel système informel est désormais insuffisant, car impuissant à réguler le secteur florissant de l’influence (29).

Et justement parce qu’il se développe dans des espaces obscurs et mouvants, le lobbying européen effraie : les lieux de décision formels sont multiples et des lieux de discussions informels sont fluctuants ; les procédures de prise de décision sont complexes et les rapports de force sont variables. Multiplicité des comités, prolifération des réseaux, fluidité des coalitions, offrent en effet une multiplicité des points d’ancrage pour des actions de lobbying, à condition de maîtriser les cadres et les processus des prises de décision dans l’UE, qui bien souvent découlent d’ordres du jour masqués traités par des arrangements et des négociations. Cependant, il y a fort à perdre à ne pas s’investir dans le lobbying européen. C’est pourquoi la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris CCIP encourageait dans un rapport de 2002 les entreprises françaises à « se positionner sur des postes clefs dans les fédérations européennes » (30). Ernest-Antoine Seillière est désormais à la tête de Business Europe, Pierre Simon à celle d’Eurochambres (fédération des Chambres de commerce européennes à Bruxelles) (31). Bien plus, la CCIP estime que des efforts doivent être menés pour influencer nos autorités nationales, pour les impliquer davantage dans les questions européennes. Car, si le lobbying doit à n’en pas douter être mieux encadré dans l’UE (A), il doit également être mieux exploité par les acteurs privés que nous sommes (B).

A – le lobbying, un moyen à encadrer

Deux méthodes existent pour encadrer le lobbying : la première, l’enregistrement des lobbyistes, satisfait au besoin d’identification des acteurs qui ont pour projet d’influencer les instances de l’UE ; la seconde, la déontologie des lobbyistes, répond à la nécessité d’une régulation des techniques qui ont pour objet d’influer sur les décisions de l’UE. Cependant, les ambitions initialement fortes de la Commission ont été revues à la baisse. En effet, s’est imposée l’option timide d’un registre facultatif aux effets évidemment limités. Certes, pour la Commission et le Parlement, doivent être invités à s’inscrire toutes les personnes ou instances souhaitant se faire entendre des autorités de l’UE : peu importe qu’il s’agisse de délégués d’entreprises, de bureaux de consultants, d’ONG, ou de think tanks (32). Une telle recherche d’égalité, louable sur le principe, est difficilement réalisable dans les faits : les consultants consacrent une part mineure de leur activité au lobbying, à côté des tâches d’avocats, auditeurs, experts ; les ONG ont pour objectif de représenter des intérêts non pas économiques mais civiques (33) ; les think tanks tendent moins à défendre des intérêts privés qu’à promouvoir une conception du bien public (34).

Le champ d’application du registre pose problème quant aux acteurs concernés, et quant aux institutions considérées. Car l’idée d’un registre commun, si elle se concrétise, se réalisera au mieux en 2010. En effet, les trois institutions travaillent de façon isolée : le Parlement dispose d’un registre depuis 1996, la Commission en publie un depuis le 23 juin 2008, et le Conseil entame tout juste sa réflexion. Certes, un accord se dessine sur les informations à fournir par les lobbyistes pour leur enregistrement, en particulier sur les données financières à publier (35) : il serait demandé aux cabinets de consultants et d’avocats le chiffre d’affaires réalisé grâce à leurs activités de lobbying auprès des institutions de l’UE ; aux représentants internes des entreprises et aux groupements professionnels, une estimation des coûts liés aux activités directes de lobbying auprès des institutions de l’UE ; aux ONG et think tanks, leur budget global et la ventilation de leurs sources de financement. Toutefois, les lobbyistes qui préfèrent ne pas dévoiler l’identité de leurs clients et/ou leurs données financières pourront ne pas s’inscrire. Effet pervers de l’absence d’obligation d’enregistrement, qui s’accompagne encore de l’impossibilité d’instaurer un système de sanction (36).

Le dispositif d’enregistrement révèle des faiblesses ; le code de déontologie aussi. Des chartes existent qui énoncent les principes du métier de lobbyiste : celle de la Society of European Affairs Professionals SEAP, celle de la European Public Affairs Consultancies’ Association EPACA. Elaborés par et pour les professionnels des relations publiques, ils visent les seuls membres de ces associations. A l’exception des avocats et experts comptables qui relèvent de professions réglementées, les autres lobbyistes ne sont soumis à aucune règle déontologique. D’où l’idée de la Commission : que les lobbyistes élaborent un code commun à tous. Mais le risque est de voir émerger un texte rappelant les règles les plus élémentaires de la correction. Pour l’heure, les chartes des associations évoquent les valeurs d’honnêteté, intégrité, politesse, honneur, probité (37) ; le Parlement dans son règlement intérieur (38) et la Commission dans sa communication du 27 mai 2008 (39) s’en tiennent à des « critères minimaux » (40). Or, ces règles légères sont peu contraignantes . Ainsi, la Commission envisage de contrôler le respect du code commun annoncé par l’ETI, et de prononcer des sanctions allant de la suspension à l’exclusion de l’inscription au registre (42). Pour mémoire, l’enregistrement est facultatif. Rien ici de très dissuasif.

Mais la déontologie des lobbyistes n’est pas suffisante : celle de leurs cibles est encore nécessaire, qu’il s’agisse des personnels administratifs ou politiques de l’UE ou de ses Etats membres. Pourtant, la Commission estime que cette question ne rentre pas dans le champ de l’ETI. Car des règles existent qui offrent des garanties jugées suffisantes : traités, code de conduite des commissaires (43), règlement intérieur du Parlement européen, statut de la fonction publique de l’UE (titre II portant droits et obligations des fonctionnaires), code de bonne conduite administrative du personnel. Certaines règles sont en effet imposées pour prévenir les comportements inconvenants : discrétion dans la divulgation des informations (44) ; prévention des conflits d’intérêts ; limitation des revolving doors (45). Ces normes, bien molles en comparaison des législations en vigueur outre-Atlantique, révèlent deux différentiels troublants (47) : les personnels administratifs sont plus contraints que les personnels politiques ; la régulation éthique est plus dense pour les organes de l’exécution (Commission) que pour les organes de la législation (Parlement, Conseil) (48). Mais telle est bien la tradition commune aux Etats membres de l’Union, qui rechignent à soumettre les représentants à l’examen et qui renâclent à pratiquer le lobbying. Or, il s’agit là d’un mécanisme qu’il convient de maîtriser pour l’exploiter au mieux.

B – le lobbying, un mécanisme à exploiter

La prolifération des niveaux de gouvernance, la multiplicité des circuits de décision, le foisonnement des textes à l’étude, la technicité des mesures à appliquer contraignent les acteurs privés et publics à réfléchir aux méthodes de défense et de promotion des intérêts qu’ils soient particuliers ou nationaux, général ou communautaire. Pour résumer, la stratégie des « 4P » doit être développée. Cette formule, calquée sur celle du mix marketing, renvoie aux quatre éléments clefs de toute action de lobbying : procédures, problèmes, personnes, positions. Les procédures, car il convient d’organiser le travail de veille et de vigilance, et de prévoir l’intervention la plus en amont possible ; les problèmes, car il faut être conscient des risques à éviter et des intérêts à sauvegarder ; les personnes, car, il est nécessaire de connaître les cibles à toucher à tous les niveaux de prise de décision ; les positions, car il convient d’apprécier les possibilités d’alliance et les capacités de négociations de chacun des interlocuteurs, qu’ils soient des alliés, des rivaux, ou des cibles.

Cette stratégie des « 4P » implique elle-même une démarche qui se décline en quatre temps. Le premier, celui du mapping, suppose d’entrer en relation avec les personnes impliquées dans le dossier considéré : les hommes politiques qui s’intéressent à la question, les hauts fonctionnaires qui instruisent le dossier, les représentants qui participent à la préparation des textes, les experts qui donnent une aura technique aux discours politiques, les organisations professionnelles qui canalisent les demandes, les journalistes qui construisent le discours ambiant. Le deuxième temps est celui de la veille : le lobbyiste se doit d’établir et de maintenir les contacts, de recueillir et d’analyser les informations, d’identifier et d’évaluer les conséquences en termes de menaces ou d’opportunités. Troisième temps, celui de l’influence : c’est la nature de l’action qu’il convient de définir en étudiant les forces en présence et en concluant des alliances, en définissant des objectifs à atteindre et en mesurant les moyens à employer, en construisant des argumentaires et en médiatisant les positions. Dans un quatrième temps, vient le suivi où le lobbyiste a à considérer les impacts de son action, en vue de modeler ses interventions à venir.

Or, comme le souligne Sonia Mazey et Jeremy Richardson, « le déplacement des centres de pouvoir au niveau européen dans de nombreux secteurs a produit une prolifération du lobbying au niveau supranational, tout en intensifiant également le lobbying au niveau national » (49). Car il convient d’influencer non seulement les organes intégratifs (Commission, Parlement européen), mais encore les organes intergouvernementaux tels le Conseil et les comités qui en résultent, dont les pouvoirs demeurent prégnants en dépit de l’extension du domaine de la codécision. D’ailleurs, les gouvernements nationaux contribuent eux-mêmes au développement du lobbying au niveau national, comme l’ont remarqué ces deux auteurs : ils sont en effet de plus en plus conscients de la nécessité de renforcer leurs liens avec les groupes de pression nationaux, afin de coordonner le lobbying national auprès des instances européennes. Et le gouvernement britannique recourt aux services de cabinets de lobbying pour défendre ses intérêts nationaux à Bruxelles, comme il emploie des cabinets d’avocats pour plaider sa cause devant la CJCE, ce que l’Etat français ne fait hélas pas.

Partant c’est un lobbying auprès des instances nationales qu’il faut mener. Et l’on se plaît alors à rêver du système en vigueur dans les Etats du Nord de l’Europe. Le Folketing danois, le Riksdag suédois, l’Eduskunta finlandaise, le Riigikogu estonien, exercent en amont et a priori un contrôle très poussé des actions de leur gouvernement national en matière d’affaires européennes. La commission en charge des affaires européennes pour ce qui concerne le premier (CE) et le troisième (JAI) piliers, la commission en charge des affaires étrangères pour ce qui concerne le deuxième pilier (PESC) examinent les textes de l’UE au stade le plus précoce du processus décisionnel (quand ils ne sont encore qu’à l’état de projet voire d’idée), et elles formulent des résolutions au nom et pour le compte du parlement dans son entier qui définissent la position de négociation de leur gouvernement national auprès des instances européennes. Certes, ce modèle, qui suppose à tout le moins le devoir si ce n’est l’envie des représentants de s’investir dans les questions européennes, n’est pas le nôtre. Cependant, c’est un même degré d’implication dans les affaires européennes que demande un lobbying auprès de l’UE et l’Etat.

Conclusion

Si le lobbying se révèle être à la fois une nécessité et une gageure pour l’Europe, c’est que les Etats qui ont construit cette Europe en ont voulu ainsi. En effet, pour préserver l’empire des logiques nationales, ils ont instauré des institutions dépendantes, afin de maintenir leur autonomie, quand bien même cela donnerait aux acteurs privés une prise sur le système de l’UE. Pour réserver l’espace des interventions nationales, ils ont choisi des procédures complexes, afin de laisser certains circuits dans l’obscurité, quand bien même cela pouvait alimenter un procès d’opacité à l’encontre de l’UE. D’ailleurs, les Etats ont bien su en profiter : ils ne se privent pas de s’accorder les mérites de mesures européennes dès lors qu’elles sont populaires, d’accuser Bruxelles pour des mesures nationales dès lors qu’elles sont impopulaires

Toutefois, certains de nos Etats en se comportant de la sorte n’ont pas respecté la fameuse devise du Cardinal de Retz selon laquelle « l’honnêteté est l’habileté suprême ». D’ailleurs, on pourrait, avec un soupçon de malice, se demander si ces Etats ont bien les neuf qualités que l’on attend du parfait lobbyiste : averti parce qu’il connaît le rôle de chaque intervenant dans chaque processus décisionnel ; réaliste parce qu’il définit des objectifs réalisables par des procédés proportionnés ; vigilant parce qu’il analyse de manière constante l’information grise disponible ; prévoyant parce qu’il intervient aussitôt que possible en étant à l’origine des initiatives ; stratège parce qu’il conduit des actions communes au-delà des querelles traditionnelles ; multiple parce qu’il contacte tous les décideurs à tous les niveaux ; déterminé parce qu’il pose des objectifs clairs en acceptant d’investir à long terme ; communicateur parce qu’il adapte ses messages dans leur forme et leur contenu ; attentif parce qu’il sait non seulement parler, mais aussi se taire…

En espérant avoir jeté quelques « lumières de la ville » sur le lobbying et sur l’Europe, je vous remercie.

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1) Les textes communautaires emploient cet acronyme de l’anglais European Transparency Initiative.
2) Commission, Livre blanc sur la gouvernance européenne, 25/07/2001, COM (2001) 428.
3) Contribution de la Commission à la période de réflexion et au-delà: le Plan D comme Démocratie, Dialogue et Débat, 13/10/2005, COM (2005) 494.
4) COM (2006) 194 final.
5) Lors de l’adoption du règlement financier révisé, la Commission s’est engagée à publier annuellement les bénéficiaires des fonds structurels à compter de 2008, et les bénéficiaires de la PAC à compter de 2009. – IP/06/1855, 20/12/2006.
6) Le CEO est un groupe certes indépendant mais politiquement engagé, qui s’est fixé pour objet de contrôler le lobbying européen. Il est basé à Amsterdam, et actuellement présidé par Erik Wesselius.
7) Née le 19 juillet 2005, ALTER EU est une coalition qui affirme regrouper plus de 140 organisations représentant la société civile, ONG (Greenpeace, ATTAC, Friends of the Earth – Europe), syndicats professionnels (Fédération européenne des journalistes), ou corps universitaires (CEO, Lobby control, Strathclyde University). Elle milite pour un renouveau de la citoyenneté dans l’UE : elle demande pour ce faire une réglementation des acteurs privés qui font du lobbying et une déontologie des autorités publiques qui sont visées par ce lobbying.
8) Sans atteindre l’ampleur du scandale Abramoff, quelques affaires ont défrayé la chronique à commencer par la démission la Commission Santer. Par exemple, les cigarettiers ont pris appui sur la Fédération internationale automobile pour s’opposer à l’interdiction qui leur est faite de parrainer les prix de Formule 1, et ont embauché pour ce faire un ancien membre du service juridique de la Commission ; le Conseil européen de l’industrie chimique (CEFIC), mené par l’allemand BASF, a travaillé à affaiblir le projet de règlement REACH, en conduisant une campagne de communication qui insistait sur les coûts de cette norme en termes de pertes d’emplois et de baisses de compétitivité, coûts que certains ont regardés comme délibérément exagérés.
9) Rapport sur le développement du cadre régissant les activités des représentants d’intérêts (lobbyistes) auprès des institutions de l’Union européenne (2007/2115 (INI)) du 2 avril 2008, rapporteur Alexander Stubb, p. 3.
10) Parmi les fédérations commerciales, sont à citer la US Chamber of Commerce AmCham, BusinessEurope (anciennement UNICE), le Bromine Science and Environment Forum, la European Seed Association, le European Chemical Industry Council CEFIC, la European Roundtable of Industrialists ERT. Les cabinets de conseils les plus importants à Bruxelles sont APCO, Hill & Knowlton, Fleishman-Hillard, Weber Shandwick et Burston-Marsteller. Au nombre des compagnies qui disposent d’une représentation permanente auprès des institutions européennes, il y a Boeing, Airbus, DuPont, Dow Chemicals, British Petroleum, Philip Morris, BASF, Unilever. Pour ce qui est des organisations non gouvernementales, Greenpeace, Amnesty International, Friends of Earth, Oxfam, font figure de leaders. Les représentations de collectivités locales sont surtout celles des Länder allemands et des communautés autonomes espagnoles, dont les bureaux imposants comptent quelque 40 personnes (à titre de comparaison, la représentation de la région Ile-de-France à Bruxelles comprend cinq personnes). Les organisations internationales, comme l’OMC et l’ONU, disposent elles-aussi de bureaux auprès de l’UE. Quant aux think tanks, les plus connus sont Friends of Europe, Forum Europe, New Defense Agenda, International Council for Capital Formation, Centre for the New Europe. Pour avoir une bonne vision des lobbies présents à Bruxelles, on peut utilement se rendre sur le site du Corporate Europe Observatory CEO qui propose une visite virtuelle et un plan interactif du Bruxelles des lobbies, ainsi qu’un guide complet sur les lobbies.
11) Nous renvoyons au calcul du ratio lobbyistes / fonctionnaires-élus proposé par Florence Autret, dans Bruxelles-Washington, La République des idées, mai 2005, 48p. Par comparaison, il convient de rappeler que dans la capitale fédérale des USA, environ 20 000 lobbyistes sont dénombrés qui cherchent à influencer 535 parlementaires, et qui génèrent des résultats annuels évalués à 2 milliards de dollars.
12) European Parliament, Lobbying in the EU 2007, European Parliament, directorate general internal policies of the Union, policy department C – citizen’s rights and constitutional affairs, November 2007, p. 10.
13) European Parliament, Lobbying in the EU 2007, opus cit., p. 7
14) Les groupes d’intérêt économique ont pris conscience du coût induit par un défaut de lobbying sur le Parlement européen en particulier lors de l’adoption en codécision de deux textes : la directive 98/44/CE du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques ; la directive 2001/37/CE du 5 juin 200, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac. – Earnshaw D. & Judge D., “No simple dichotomies : lobbyists and the European Parliament”, The journal of legislative studies, 2006, Vol. 8, No. 4, pp. 61-79.
15) Autret, F., « L’affaire Kallas: peut-on réguler le lobbying ? », La vie des idées, 4/07/2008.
16) Ibidem.
17) Aux Etats-Unis, le lobbying est appréhendé comme la manifestation du dynamisme d’une société civile qui est capable de contribuer à l’action des autorités publiques, notamment par le biais des Political action committees encouragés par une loi de 1974. Les actions de lobbying s’exercent auprès de chacune des trois branches du pouvoir, tant à l’échelle locale qu’à l’échelle fédérale. La tactique adoptée pour exercer une influence sur les instances judiciaires est celle des class action suits : il s’agit d’actions introduites en justice en vue de faire jurisprudence, qui s’appuient sur des articles parus dans de prestigieuses revues juridiques et sur des citations à comparaître de groupes au titre d’amicus curiae ; elles sont bien souvent menées par des associations telles que la National association for the advancement of colored people, l’American civil liberties union, l’American bar association, ou la National lawyers guild. Pour influencer les enceintes législatives, il convient de nouer des relations privilégiées avec les membres du Sénat ou de la Chambre des représentants ainsi qu’avec les membres de leurs commissions respectives ; les actions de relations publiques qui sont conduites vont alors de la politique du wining and dining jusqu’à la contribution au financement des campagnes électorales, en passant par l’utilisation des procédures d’initiative populaire et de referendum existant dans nombre d’Etats. Quant au lobbying afin d’influencer les organes exécutifs, il est exercé par de multiples acteurs qui contribuent aux campagnes électorales des hauts fonctionnaires, ou qui mettent à disposition des données en vue de la préparation de l’action administrative voire de la préparation par l’exécutif des textes législatifs, sachant que l’Administrative Procedure Act fait obligation aux agences administratives de soumettre leurs projets de réglementation aux commentaires du public. Un bon relationnel, une capacité technique à fournir de l’information et de l’expertise, une maîtrise juridique des rouages institutionnels considérés, sont donc indispensables à un lobbying efficace.
18) Cependant, on oublie bien souvent que l’abbé Sieyès, notre théoricien du mandat représentatif, a reconnu l’importance du jeu des intérêts et de la représentation des corps, parce que l’on peut plus parler de corporations (loi Le Chapelier du 17 juin 1791) et pas encore de classes. Léon Duguit nous rappelle en effet que, dans son discours prononcé à la Convention au moment du vote de la constitution de l’an III, Sieyès a soutenu que « Si l’on voulait instituer le mieux en ce genre, dans mon opinion, on adopterait une combinaison propre à donner à la législature un nombre à peu près égal d’hommes voués aux trois grands travaux, aux trois grandes industries qui composent le mouvement et la vie d’une société qui prospère, je parle de l’industrie rurale, de l’industrie citadine et de celle dont le lieu est partout et qui a pour objet la culture de l’homme, et le jour viendra où l’on s’apercevra que ce sont là des questions importantes ». – Le Moniteur, Réimpression, XXV, p. 294, cité par Duguit, L., Traité de Droit Constitutionnel, Paris, Fontemoing & Cie, 3e éd., tome II, 1927, p. 760.
19) Commission, Livre vert sur l’initiative européenne en matière de transparence, COM (2006) 194 final.
20) Directive 2000/36/CE du 23 juin 2000 relative aux produits de cacao et de chocolat destinés à l’alimentation humaine.
21) Règlement 1907/2006/CE du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances.
22) Article 9 § 4 du règlement intérieur.
23) Commission, Livre blanc sur la gouvernance européenne, 25/07/2001, COM (2001) 428 & Un dialogue ouvert et structuré entre les groupes d’intérêt, 2/12/2002, COM 93/C 63/02 ; Parlement européen, Rapport sur le développement du cadre régissant les activités des représentants d’intérêts (lobbyistes) auprès des institutions de l’Union européenne, 2/04/2008, 2007/2115 (INI), rapporteur : Alexander Stubb. Quant au Conseil, il persiste à affirmer ne pas être concerné par les actions des groupes d’intérêt, alors que les membres qui le composent sont tout à la fois les acteurs et les cibles d’un lobbying farouche
24) L’auteur confie son expérience de 30 ans de lobbying à Bruxelles dans son ouvrage Guéguen, D., Lobbying européen, L.G.D.J., 2007, 144p.
25) Autret, F., opus cit.
26) On peut remarquer que même les sans abris sont parvenus à disposer d’une représentation active à Bruxelles au sein de la Fédération européenne des sans abris.
27) Les ONG sont souvent de bons lobbyistes : elles arrivent à bien se faire entendre des institutions communautaires, alors même que le budget général alloué au lobbying est relativement modeste voire modique. C’est qu’elles savent obtenir le soutien des médias et de l’opinion publique. Par exemple, les manifestations comme celle qui a été organisée par WWF devant le Conseil au moment de sa prise de position sur le règlement REACH, sont des outils efficaces, que les ONG ne se privent pas d’employer.
28) Autret, F., opus cit.
29) European Parliament, Lobbying in the EU 2007, opus cit., p. 13.
30) CCIP, Renforcer le lobbying des entreprises françaises à Bruxelles, 5/09/2002, rapporteur : Jacques Derieux.
31) CCIP, Le lobbying des entreprises françaises à Bruxelles: quels progrès depuis 2002?, 5/11/2005, rapporteur : Jean-Claude Karpélès.
32) Rapport Stubb, pp. 5 & 10. Il est à noter que les normes américaine et canadienne prévoient l’enregistrement des seuls lobbyistes exerçant à titre lucratif : elles excluent ONG et think tanks de leur champ d’application.
33) Michalowitz, I., « The Transparency Initiative – Barking Up the Wrong Tree ». L’auteur note néanmoins que le besoin de transparence est compréhensible, car les ONG sont nombreuses qui ont été créées par la Commission pour réduire les déséquilibres dans la représentation des intérêts et qui dépendent financièrement du budget communautaire.
34) Stephen Boucher, co-secrétaire général de l’association Notre Europe, affirme qu’une distinction doit être faite entre lobbies et think tanks, dans une lettre adressée au Commissaire Kallas. Car « le think tank se spécialise dans la production de solutions de politique publique grâce à un personnel propre dédié à la recherche ».
35) Au Canada, les lobbyistes assujettis à la loi C-2 sont tenus de s’enregistrer avec une mise à jour tous les six mois. Certains renseignements doivent être communiqués qui sont mis à la disposition du public : nom du client ou de l’employeur, description de l’entreprise ou de l’association, subventions obtenues avec le détail de leur provenance, honoraires perçus, identité du titulaire de la charge publique de haut rang rencontré, objet du lobbying, technique de communication utilisée, charges publiques occupées par le lobbyiste auparavant. Aux Etats-Unis, le Lobbying Disclosure Act du 19 décembre 1995, tel que amendé par le Lobbying Disclosure Technical Amendments Act du 6 avril 1998 et par le Honest Leadership and Open Government Act du 14 septembre 2007, impose aux lobbyistes de s’enregistrer auprès du bureau de la Chambre des représentants et du secrétariat du Sénat, et rendre des rapports tous les trimestres sur leurs activités même s’ils n’ont pas mené d’actions de lobbying durant la période considérée. Ces rapports ont à indiquer les noms des lobbyistes et de leur firme, les identités de leurs clients, les domaines concernés par leurs actions de lobbying, les sommes allouées ainsi à leurs activités (ce qui induit la publication des salaires et honoraires versés aux lobbyistes).
36) Le Canada et les Etats-Unis d’Amérique affirment une telle obligation d’enregistrement. En vertu de l’article 14 de la loi canadienne C-2 telle que modifiée par la loi sur l’imputabilité du 12 décembre 2006, le défaut d’enregistrement est passible d’une amende de 50 000 $ ; quant à la transmission de renseignements erronés ou trompeurs, elle est assortie par voie sommaire d’une amende maximale de 50 000 $ et/ou d’une peine de prison de 6 mois, et par voie d’accusation d’une amende maximale de 200 000 $ et/ou d’une peine de prison de 2 ans. Aux Etats-Unis, en application de l’Honest Leadership and Open Government Act du 14 septembre 2007, c’est à une peine allant de 200 000 $ d’amende à cinq ans d’emprisonnement que peuvent être condamnés les lobbyistes ayant failli à leurs obligations en vertu du Lobbying Disclosure Act, qu’il s’agisse d’un défaut d’enregistrement ou d’une erreur dans le rapport rendu.
37) L’article 1 du code de la SEAP est ainsi rédigé : « Les professionnels des affaires européennes agiront selon les règles de l’honnêteté et de l’intégrité en toute circonstance, menant leurs affaires de façon loyale et rigoureuse. Ils agiront vis-à-vis de tous – collègues et concurrents, employés, cadres et officiels des institutions de l’Union – avec respect et politesse en toute circonstance ».
38) Article 3 de l’annexe IX du règlement intérieur adoptée en 1996.
39) COM (2008) 323 final, 7/05/2008, p.8.
40) Nous nous référerons ainsi aux « critères minimaux pour un code de conduite dans les relations entre la Commission et les groupes d’intérêt », énumérés à l’annexe II de la communication de la Commission : Pour un dialogue ouvert et structuré entre la Commission et les groupes d’intérêt, SEC (92) 93/C 63/02, 2/12/1992.
41) Les enceintes parlementaires aux USA et les organes exécutifs au Canada ont rédigé eux-mêmes les codes de conduite s’imposant aux lobbyistes. Ces textes se distinguent donc des chartes de déontologie, dans la mesure où leurs auteurs ne sont pas les praticiens de l’activité professionnelle visée, mais certaines des cibles de ceux-ci. Le Parlement européen a fait de même à l’annexe IX de son règlement intérieur, dont l’article 3 constitue un code de conduite rédigé par les parlementaires à l’intention des lobbyistes enregistrés.
42) COM (2008) 323 final, p. 5 & 8.
43) SEC (2004) 1487/2.
44) Article 287 TCE repris à l’article 339 TFUE suite au traité de Lisbonne, article 17 du statut de la FPUE.
45) Les fonctionnaires sont soumis à une obligation d’indépendance et d’impartialité (article 8 du code de bonne conduite, articles 11, 11 bis, 13 du statut). Quant aux commissaires, ils se voient interdire l’acceptation de cadeaux d’une valeur supérieure à 150 euros. Et les députés sont appelés à la transparence quant à leurs intérêts financiers (article 9 et annexe I du règlement intérieur du Parlement). Ces normes ont le mérite d’exister, mais elles ne sont pas aussi contraignantes que celles en vigueur outre-Atlantique. En vertu de la règle XXV de la Chambre des représentants et de la règle XXXV du Sénat, les élus peuvent recevoir des cadeaux dont la valeur est inférieure à 50 $ et dont le montant total annuel provenant d’une même source n’excède pas 100 $, et ne peuvent recevoir ni présent ni voyage dès lors que leur coût est pris en charge par un lobbyiste.
46) Après avoir cessé ses fonctions, le personnel administratif et politique ne peut exercer une activité professionnelle auprès d’une entité avec laquelle il a été en relation dans le cadre de ses fonctions, durant un certain laps de temps : deux ans pour les fonctionnaires selon l’article 16 du statut, un an pour les commissaires selon le point 1.1 du code de conduite qui veille au respect de l’article 213 TCE, modifié par l’article 198 du traité de Lisbonne pour devenir l’article 245 TFUE. A titre de comparaison, le Lobbying Disclosure Act, tel que modifié par le Honest Leadership and Open Government Act, interdit aux Représentants et aux Sénateurs (ainsi qu’aux hauts fonctionnaires du Congrès) d’exercer des fonctions de lobbyistes pendant un an après la fin de leur mandat pour les premiers, et pendant deux ans après la fin de leur mandat pour les seconds, sous peine de perdre leur droit à pension. Quant à la loi canadienne du 12 décembre 2006, elle interdit aux ministres, membres des cabinets de ministre, hauts fonctionnaires d’agir comme lobbyistes auprès du gouvernement canadien pendant cinq ans après avoir quitté leur poste.
47) Regulating Conflicts of Interest for Holders of Public Office in the EU – A Comparative Study of the Rules and Standards of Professional Ethics for the Holders of Public Office in the EU-27 and EU Institutions. 50-51.
48) Cela n’a pas empêché Jim Currie, en charge du dossier de l’énergie nucléaire à la DG énergie et transport puis à la DG environnement, de devenir directeur chez British Nuclear Fuels. Ni l’ancien commissaire au commerce extérieur, Sir Leon Brittan, de devenir conseiller aux affaires relatives à l’Organisation mondiale du Commerce OMC au sein de la firme Herbert Smith, vice-président de la banque d’affaires UBS Warburg, membre du conseil d’administration d’Unilever, et président du comité LOTIS de l’International Financial Services London.
49) Mazey, S. & Richardson, J., « Faire face à l’incertitude : stratégies des groupes de pression dans l’Union européenne », Pouvoirs, n°79, 1996, p. 55.

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