Les outils dont dispose l’Etat

Intervention de Marie-Françoise Bechtel, Conseiller d’Etat, au colloque du 9 décembre 2008, L’Etat face à la crise.

Comme vient de le dire Jean-Pierre Chevènement vous n’êtes pas surpris de voir la Fondation Res Publica s’intéresser à la crise et traiter de l’Etat. Elle le fait à un moment particulièrement significatif dans le désordre mondial où nous plonge le naufrage du capitalisme financier qui a rendu patents les dégâts d’une crise qui couvait depuis fort longtemps. Nous l’avions analysée ici même – Jean-Pierre Chevènement vient de le rappeler – dans un colloque sur « Les crises financières à répétition ».

Sur ce sujet « L’Etat face à la crise », je me livrerai simplement aujourd’hui à une sorte de cadrage du point de vue de quelqu’un qui n’est aucunement un expert mais qui a regardé fonctionner et, à certains égards, se dégrader largement les outils dont dispose notre Etat, dont il disposait traditionnellement, et qui s’est parfois demandé si ces outils n’auraient pas pu être utilement rénovés plutôt que d’être abandonnés aux oubliettes. Je pense en particulier à deux outils dont je dirai quelques mots : le Plan et la Délégation à l’aménagement du territoire.

Aujourd’hui, le Président de la République française – mais il n’est pas le seul – tient un discours volontariste, parfois salué dans la presse comme un retour de l’Etat. Il ne m’appartient pas ici d’apprécier si ce retour est largement symbolique dans ses moyens mais ses fins sont manifestes : lorsqu’on recapitalise les banques, c’est, ou ce devrait être une finalité. En tire-t-on les conséquences ? Je laisserai d’autres intervenants, mieux fondés que moi à le faire, traiter des moyens d’exercer une tutelle efficace.

Je me contenterai d’une observation liminaire :

Les outils dont devrait disposer un Etat moderne, anticipateur, stratège, confronté à une crise considérable, ne se limitent pas à un certain nombre d’organismes dépendants ou indépendants : l’Etat exerce des tutelles lorsqu’il représente ce propriétaire public d’un certain nombre d’entreprises que peut être la nation. Je ne sais pas si le sujet sera analysé, c’est pourquoi je me borne à le pointer ici.

La marge d’action qui appartient à chaque Etat national, seul et ultime responsable face à la crise qui frappe son pays, conduit à s’interroger, au-delà du besoin de renégocier les règles européennes (donc de définir les sujets de négociation européenne), sur sa capacité de mener des actions volontaires inspirées par une vision de moyen et long termes et non par le seul mécanicisme du jour le jour.

C’est en effet sur la base des besoins d’action qu’il lui appartient de définir que l’Etat doit agir pour se doter d’instruments propres à permettre ces actions. Pour agir, pour définir des priorités, pour définir des politiques publiques dignes de ce nom (celles que les intervenants déclineront par la suite), il faut des tableaux de bord, des outils performants, il faut disposer d’un certain nombre d’organes ou d’organismes.

J’attire votre attention sur ce qui pourrait apparaître comme un paradoxe : il est nécessaire de disposer à la fois d’organismes indépendants et d’organismes dépendants. Parmi les organismes les plus dépendants, on parlera de ceux qui sont le bras armé de l’Etat : le Plan, la DATAR (dont je dirai un mot tout à l’heure) sont peut-être les plus remarquables. Mais il fut un temps où l’Etat n’hésitait pas à se doter d’organismes indépendants. Je pense au Céreq. Le changement de statut de cet organisme, dont la mission est pourtant d’informer de manière aussi indépendante que possible, le rend aujourd’hui inaudible, à supposer qu’il dise quelque chose. On peut penser aussi au statut de l’Insee. On pourrait évoquer la Direction de la prévision, évidemment dépendante puisque c’est une direction d’un ministère, mais qui avait une certaine indépendance dans la réflexion.

Pour essayer de mesurer avec vous à quel point se sont dégradés ces instruments, tableaux de bord et bras armés dont dispose l’Etat, je voudrais mettre particulièrement l’accent sur ces deux organismes essentiels que sont le Plan et la Délégation à l’aménagement du territoire. Au demeurant, si les circonstances leur donnent une importance particulière, au moment où la crise impose de définir et de rénover les politiques publiques, de réfléchir à leurs conditions de faisabilité, de prospecter à moyen terme, ils seraient tout aussi indispensables en phase de routine ou du moins dans une situation qui ne serait pas celle de la crise. Pensez par exemple au mot d’ordre de l’actuel gouvernement : la Révision générale des politiques publiques. C’est un des fers de lance de la réforme de l’Etat. La Fondation Res Publica est favorable à la réforme de l’Etat, Jean-Pierre Chevènement lui-même s’est souvent exprimé sur ce sujet. Si nous pensons que l’Etat doit être résolument modernisateur, cette modernisation doit avoir une finalité. J’observe assez attentivement la RGPP, l’instrument même de la réforme de l’Etat, et je n’en discerne pas les visées, en dehors de l’outil clignotant qu’est la restriction de la dépense publique, notamment de l’emploi public, et de quelques idées sur la concentration des moyens. Ce n’est pas beaucoup.

Je dirai donc pour finir quelques mots rapides de ces deux instruments privilégiés qu’étaient le Plan et la DATAR, pour mesurer la dégradation de ces deux instruments et constater qu’on ne les a pas remplacés par des instruments véritablement performants.

Le Plan a été remplacé par un organisme appelé le Centre d’analyse stratégique (CAS). Celui-ci édite chaque mois des notes de veille dont beaucoup d’entre vous sont probablement destinataires. La lecture de ces notes révèle que le Centre d’analyse stratégique a surtout pour fin de faire un certain nombre d’analyses de société, quelquefois d’analyses économiques, mais celles-ci, sans finalité, sans pilotage, ne débouchent sur rien. Au mois d’octobre, au moment où la crise était avérée, la note de veille titrait, sous la rubrique Analyse : « Quel impact de la crise sur la croissance à moyen terme ? » Voilà ce qu’écrit, en pleine crise, le Centre d’analyse « stratégique » : « La crise financière devrait ralentir durablement le potentiel de croissance des États-Unis… » quelques mots pour laisser entendre que cela risque de nous arriver aussi… « En revanche, à plus long terme, le rééquilibrage de la balance courante américaine est de nature à favoriser une appréciation du dollar vis-à-vis de l’euro et une relance de la demande intérieure des pays émergents, couplée à une hausse de leur taux de change réel. » … On croit rêver… Et d’affirmer que si l’Europe doit mettre en place un certain nombre d’instruments d’intervention, il ne faudrait pas que les équilibres budgétaires en souffrent trop avant de conclure avec beaucoup d’optimisme qu’en 2009 tous les indicateurs budgétaires seront certainement rétablis en Europe. Je dois dire que lire cela sous la plume d’un Centre d’analyse se disant « stratégique » a quand même quelque chose d’extraordinaire.

J’évoquerai ensuite l’organisme qui a remplacé la DATAR (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale) : la DIACT (Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires). Ce seul sigle donne la mesure de ce que j’ai appelé la dégradation. Il ne s’agit plus d’aménager le territoire national dans une vision cohérente, intégrée s’il le faut aux impératifs européens, avec une idée de manœuvre, mais d’acter le dualisme des territoires, faisant en sorte que les territoires attractifs (l’Ile-de-France, Rhône-Alpes et une partie de la Région PACA) continuent à attirer les investissements tandis que l’ensemble des autres territoires seraient accompagnés – par des politiques aussi mystérieuses qu’indéfinies – dans la dégradation, leur destin programmé, à coups de délocalisations. La notion de délocalisation était explicitement pointée dans l’exposé des motifs du décret qui a créé cette Délégation à l’aménagement et à la compétitivité des territoires.

Dans le contexte d’une volonté de réforme profonde (Révision générale des politiques publiques), face à une crise majeure, au moment où le Président de la République scande : « Il faut que l’Etat agisse, si possible de façon coordonnée avec d’autres Etats », on peut légitimement s’inquiéter devant cette absence de volontarisme dans les outils de l’Etat – ces instruments de soi-disant pilotage – qu’on prétend pourtant créer, rénover, réformer.

Pour ma part et pour finir, je forme le vœu que nous puissions avancer un peu ce soir dans la voie des questions qui se posent aujourd’hui à un Etat digne de ce nom.

Que faire ? Quelles politiques faut-il mener aujourd’hui ? Dans cet objectif, nos intervenants traiteront de la liberté des échanges, des investissements, de la conduite du secteur bancaire et de la politique industrielle à l’échelon national ou européen.

Quels instruments ces politiques nécessitent-elles ? C’est sur ce point – dont Jacques Fournier traitera sans doute davantage – que j’ai voulu pour commencer attirer votre attention.

Quelles sont les finalités de ces actions de l’Etat ? C’est vers Jean-Pierre Chevènement, qui nous parlera de l’Etat « stratège », au vrai sens de ce mot cette fois, que nous allons nous tourner pour en terminer – ou en commencer – avec ces interrogations.

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