Accueil de Jean-Pierre Chevènement, président de la Fondation Res Publica, au colloque du 29 septembre 2008, Paradoxes du cinéma français.
Il me semble que nous ne nous écartons pas de la voie que nous nous étions tracée. La perspective d’un monde différent, d’un monde multipolaire, dégagé des empires de toute nature, ne vaut pas seulement dans l’ordre politique, diplomatique ou économique. Elle procède même d’une certaine idée de la culture, de la culture des peuples, de leur manière propre d’appréhender le monde, de penser leur avenir, de garder le contact avec leurs racines pour se projeter dans leur avenir. Le cinéma, art populaire par excellence, y contribue de manière exceptionnelle.
L’imaginaire, mais aussi la mise en images du patrimoine littéraire, la création, la mise en scène d’une société vivante, l’usage de la langue, sont indispensables à tous les peuples. Le nivellement serait un deuil pour l’humanité. Car l’universel ne se décrète pas : on parvient aux valeurs universelles par un cheminement qui emprunte les parcours divers des cultures, des histoires, des expériences.
Le cinéma exprime cette diversité. Il produit aussi de la cohésion. Son public est le plus diversifié qui soit : ni l’âge, ni la situation sociale n’imposent leurs barrières.
Veiller à la diversité des cinémas dans le monde ressort donc de cette exigence que nous nous efforçons de porter à travers nos travaux quels qu’ils soient.
L’organisation du cinéma français, de son financement, est originale, ancienne et de bonne réputation. Elle visait au départ à soutenir la création. Mais très vite, au lendemain de la guerre, le défi des grandes productions américaines a dû être relevé. A l’époque, qui était aussi celle de la guerre froide, les enjeux politiques étaient avérés. Qu’on se souvienne des accords Blum – Byrnes, ouvrant les portes au cinéma américain. L’effet fut foudroyant : au premier trimestre de 1947, sortent sur les écrans parisiens 21 films français et 41 films américains. Louis Daquin, la Confédération générale du cinéma, la CGT se mobilisent pour « sauver le cinéma français ». Gérard Philippe, Jean Grémillon, Claude Autant-Lara animent le « Comité de défense du cinéma français ». Et, à la fin de l’année, la fréquentation en salle se rééquilibre : 45% de films français, 43% de films américains.
Indiscutablement, l’organisation du financement du cinéma français a sauvé alors la diversité, en posant des bornes à la vague du cinéma hollywoodien.
Tous les cinémas européens ont été confrontés au même défi. Ils ne l’ont pas relevé de la même manière. La France vient en tête, suivie de l’Espagne et de la Grande-Bretagne. Faute d’avoir imaginé un système comparable, l’Italie a vu son cinéma mis en danger, au moins temporairement. Il en va de même de l’Allemagne.
Notre système vieillit. Le rapport du Club des 13 (1) – dont Monsieur Auclaire disait qu’il mériterait lui-même d’être sérieusement audiencé – a tiré un signal d’alarme : entre production, distribution, exploitation, l’objectif de la diversité cinématographique est à l’épreuve.
Pascale Ferran dénonce un phénomène de « peopolisation » : D’un côté les grands films inspirés par les chaînes de télévision qui jouent un rôle de plus en plus important dans le financement et imposent sans mal un formatage puisque l’ensemble des intervenants réalisateurs, producteurs, scénaristes vont au devant du désir de ceux qui les financent. De l’autre côté, les films d’auteurs à petits budgets. Entre ces deux catégories, une faille menace les films « du milieu » (entre 3 et 8 millions de budget), de moins en moins nombreux bien qu’ils soient ceux qui s’exportent le mieux. Le Groupe des 13 voit dans cette faille qui se creuse un obstacle au rayonnement du cinéma français dans le monde. On peut nuancer ce diagnostic : les années 2007 et 2008 ont été très favorables au cinéma français qui a remporté de nombreuses récompenses (dont l’Oscar de la meilleure actrice pour Marion Cotillard pour son rôle dans La Môme (2)) et enregistré de grands succès : Bienvenue chez les Ch’tis (3) a dépassé 20 millions de spectateurs, La graine et le mulet (4) a connu un beau succès et actuellement on ne parle que du film de Laurent Cantet, Entre les murs, palme d’or du festival de Cannes.
Je remercie les experts très qualifiés qui nous font l’honneur et le plaisir d’être parmi nous :
Monsieur Jacques Toubon, ancien ministre de la Culture, président d’Eurimage.
Monsieur Alain Auclaire, ancien président de la Femis.
Monsieur Olivier Wotling, directeur du cinéma au Centre national du cinéma.
Monsieur Faruk Gunaltay, professeur de Lettres et directeur d’une salle d’art et d’essai à Strasbourg.
Enfin, Monsieur Olivier Amiel, chargé d’enseignement à l’université de Perpignan, qui a produit un livre impressionnant sur le financement public du cinéma européen (5).
Monsieur Warin – qui est à l’initiative de ce colloque – et Monsieur Auclaire avaient pensé inviter un réalisateur. J’ai écrit à Monsieur Olivier Assayas qui, partant aujourd’hui pour les Etats-Unis, nous a néanmoins adressé un message (voir annexe, à la fin du document), ce dont nous le remercions.
Le cinéma français ne se porte pas si mal : 228 films réalisés l’année dernière, une assez bonne visibilité internationale (je l’évoquais tout à l’heure), des capitaux disponibles abondants. Il n’en reste pas moins qu’on peut se poser la question de savoir combien de ces 228 films sont réellement rentables. Combien sont primés dans les festivals internationaux ? De quelle réalité sociale ces films rendent-ils compte ? Cette réalité sociale est souvent réduite à la banlieue ; or il n’y a pas que les banlieues en France, la réalité sociale est beaucoup plus vaste.
On pourrait traiter cette problématique sous plusieurs angles :
Sous l’angle de la production : le financement par les chaînes de télévision, les subventions, notamment celles du CNC.
Sous l’angle de la réalisation : le clivage est-il aussi net entre les films grand public et les films classés Art et essai ?
Sous l’angle de la critique : jusqu’à quel point est-elle instrumentée par le marché ou par des coteries ?
Sous l’angle du marché : Quelle est la part du cinéma français à l’international ?
Deux mots pour conclure sur l’avenir du cinéma français :
Parviendrons-nous à défendre l’exception culturelle ? Elle est quelquefois appelée « diversité culturelle » ; pour moi ce n’est pas tout à fait la même chose. En 2005 l’assemblée générale de l’UNESCO a adopté la convention sur la diversité culturelle, aujourd’hui la Commission de Bruxelles entend réduire la durée du système (qui prévaudra encore l’an prochain) pour examiner si celui-ci n’oppose pas d’ « obstacles anormaux à la libre circulation » et s’il n’y aurait pas lieu de mutualiser les divers systèmes au niveau européen : de belles controverses en perspective !
Enfin il y a les questions posées par les nouvelles formes de diffusion et le numérique. Au-delà des problèmes techniques, ces nouveaux modes de distributions ne soulèvent-ils pas d’autres problèmes économiques, juridiques, culturels ?
Je donne la parole à Monsieur Auclaire qui va ouvrir ce colloque.
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1) Ce groupe de réflexion interprofessionnel né sous l’impulsion de la cinéaste Pascale Ferran, s’est réuni de mars à décembre 2007 et a publié un rapport intitulé Le milieu n’est plus un pont mais une faille (15 avril 2008, éditions Stock, accessible également en ligne
2) La Môme, film biographique français d’Olivier Dahan, retraçant la vie d’Édith Piaf, sorti en France le 14 février 2007, a remporté deux Oscars, quatre BAFTA, cinq Césars, trois Lions tchèques et Golden Globes.
3) Bienvenue chez les Ch’tis, film de Danny Boon, février 2008
4) La graine et le mulet, film de Abdellatif Kechiche, 2007
5) Le financement public du cinéma dans l’Union européenne, Olivier Amiel éd. Lgdj, juillet 2007
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