Intervention de Hind Khoury, Déléguée générale de Palestine à Paris, au colloque du 26 mai 2008, Où va la société palestinienne ?
Le contexte, très particulier, est en effet très important. La Palestine est un projet colonial où, depuis très longtemps, c’est le droit de la force qui règne et non la force du droit.
Oui, bien sûr pendant toutes ces années l’ONU nous a abandonnés. Concernant le droit international, il reste la seule référence possible pour quelque solution que ce soit. Je ne crois pas que l’OLP ait abandonné le droit international. On dit qu’on ne négocie pas le droit mais l’application de ce droit. Ce contexte est devenu plus compliqué récemment avec les divisions internes palestiniennes entre le Hamas et le Fatah.
La récente commémoration du 60ème anniversaire d’Israël et de la « Nakba » a eu le mérite de mettre en avant l’importance de la question palestinienne, autant par son aspect local que régional ou encore international. Dans ce bilan, heureux pour les uns et malheureux pour les autres, force est de constater que le destin des Palestiniens continue de leur échapper. Les Palestiniens, tout en étant victimes d’une occupation très dure, gardaient néanmoins une petite marge d’autonomie décisionnelle. Celle-ci s’est malheureusement affaiblie du fait des divisions internes mais surtout à cause d’une politique israélienne qui n’a eu de cesse de fustiger tous les efforts de l’autorité palestinienne qui oeuvrait à la création de son Etat indépendant.
Certes, pour les Palestiniens la priorité demeure bien évidemment la fin de l’occupation israélienne afin de retrouver le plus rapidement possible leur liberté, leur souveraineté ainsi que leur dignité. Bien entendu, les Palestiniens sont soucieux de ne pas compromettre leurs droits et à ce sujet le principe de l’autodétermination demeure essentiel. Aussi, à la question « où va la société palestinienne ? », les réponses et les pistes seront multiples et ne dépendent pas que d’un seul acteur !
Quelle société et quel projet ?
A ce jour, il n’y a pas « une » population palestinienne mais « des » populations palestiniennes. En 1948, plus de 800.000 Palestiniens ont été expulsés vers les pays arabes voisins. Expropriés de leurs biens par les colons israéliens puis souvent maltraités dans des camps qui existent toujours, ces réfugiés sont toujours nos compatriotes malgré l’effet du temps. A cela il faut ajouter les Palestiniens des Territoires occupés qui eux aussi sont séparés : séparés par le mur, par les barrages, séparés de leur famille, de leur travail, de leurs terres. La Bande de Gaza vit isolée de la Cisjordanie mais aussi du reste du monde.
Malheureusement, le point commun entre tous les Palestiniens, c’est souvent la réalité très dure qu’ils vivent tous les jours. A ce titre, nos dirigeants font tout pour soulager un quotidien parfois à la limite du supportable et beaucoup d’améliorations peuvent être notées sur le plan humanitaire et social. Le programme de développement et de réforme présenté à la Conférence de Paris et soutenu par la Communauté internationale, ou encore la récente Conférence de Bethléem (21 au 23 mai dernier) témoignent de la détermination du Premier Ministre Salam Fayyad qui fonde sa politique sur un véritable projet de société, mêlant économie, social et sécurité. Avec 55% de budget consacré pour la Bande de Gaza, l’unité palestinienne apparaît clairement comme la priorité de l’Autorité palestinienne.
Je crois que le temps est venu pour les Palestiniens de percevoir leur pays différemment. Ne pas croire en l’avenir de notre pays c’est aussi laisser la place à une politique israélienne de la dépossession et de la colonisation de notre terre et de nos richesses. L’échec du processus d’Oslo et les terribles années de répression qui ont suivi la rupture des discussions de Taba, ont généré un pessimisme profond dans la société palestinienne. Le temps est venu pour nous de croire en un projet cohérent et ambitieux qui nous permettra de dépasser nos divisions internes.
Nous ne pouvons le nier, la corruption a été une réalité même si ce fléau touche tous les pays de la région, y compris Israël. Dans le contexte palestinien, les rivalités politiques ont souvent été plus fortes que nos idéaux démocratiques. Tout a changé et notre désir de gérer nos Territoires et nos institutions publiques est désormais une réalité. Ces travers passés ne sont pas une fatalité et le programme de réformes commencé en 2003 et très récemment la Conférence de Bethléem ont bien montré que les Palestiniens avaient dépassé ce stade pour envisager un autre avenir.
Je le répète, c’est en étant portés par un projet commun, accompagnés par une diplomatie dynamique avec le monde arabe et tous les pays désireux d’aboutir à un Moyen-Orient stable et pacifique, que les Palestiniens pourront dépasser tous les obstacles qui freinent encore aujourd’hui la création de leur Etat.
Les défis et la manière de les gérer
La « Nakba » a commencé il y a 60 ans et se poursuit depuis sans relâche car Israël n’a cessé depuis tout ce temps de radicaliser sa politique contre les Palestiniens. Cela s’est fait sans qu’Israël ait jamais été inquiétée ni par l’Europe, qui lui accorde un statut particulier, ni par la Communauté internationale, dont elle ignore impunément toutes les Résolutions qui la condamnent.
Peut-être que le temps est venu pour les Palestiniens de se trouver de nouveaux alliés diplomatiques en faisant le constat que les anciens ne lui ont pas été d’un grand secours jusqu’à présent ! A l’inverse, peut-être que l’Europe et la Communauté internationale seraient bien inspirées de prendre enfin leurs responsabilités dans ce conflit, avant qu’il ne soit trop tard. Alors que la surface des Territoire est passée de 22% lors du compromis d’Oslo signé par Yasser Arafat, à 13% maintenant, nous pouvons nous demander ce qu’il restera dans quelques années pour bâtir un Etat palestinien ? Il faut rappeler que la colonisation israélienne se poursuit ! Ce qui est certain, c’est qu’il n’est plus possible de rester indifférents.
Pendant que les terres palestiniennes continuent d’être spoliées, la misère s’enracine dans les Territoires et cela malgré tous les efforts qui sont faits pour les en sortir. Cette misère est politique car elle se nourrit d’un tissu économique ruiné par la colonisation et l’occupation israéliennes : les rapports internationaux sont unanimes à ce sujet. Pendant ce temps également la misère est devenue le lit de mouvements radicaux dont le projet n’a d’autre dessein que de transformer un conflit nationaliste en conflit religieux.
Le siège israélien qui étrangle Gaza est symptomatique et n’a eu pour seule conséquence que de renforcer les éléments les plus radicaux du Hamas et d’affaiblir les chances de paix dans cette région. Il faut absolument libérer Gaza qui sans cela s’enfoncera de plus en plus dans une misère peu propice à l’espoir d’un avenir meilleur.
Dans un tel cas de figure, comment s’étonner que les Palestiniens résistent aux mesures d’occupation en se défendant comme ils le peuvent ? Notre pire ennemi reste la politique israélienne qui paralyse notre économie et la fondation de notre futur Etat. Peut-on demander à un peuple qui a faim et qui n’est pas libre de ne pas se révolter contre son oppresseur ? Cependant nous ne devons pas oublier que durant la Seconde Intifada 6000 Palestiniens ont été assassinés, dont une grande partie de femmes et d’enfants. La résistance ne doit pas cesser mais elle doit prendre des formes différentes où la population sera moins exposée. Elle reste selon moi un devoir de survie pour tous les Palestiniens.
Deux scénarios sont possibles
Malgré les difficultés, le programme de gouvernement de Salam Fayyad tente de rebâtir une nouvelle économie et d’imposer une stabilité et une sécurité internes. Salam Fayyad est conscient de la nécessité de faire appel à l’investissement du secteur privé pour soutenir un développement durable. Nous pensons également qu’il nous faudra progressivement réduire les financements externes à mesure du renforcement de notre pouvoir interne. Les Palestiniens ont souvent apporté la preuve de leur sagesse et de leur capacité à renouer avec une bonne gestion publique et la démocratie : ils en sont toujours capables. Evidemment, tout cela ne pourra aboutir si Israël s’enfonce dans une politique de la terre brûlée et de la colonisation. Une économie palestinienne saine n’est possible que si la liberté de circulation des personnes et des biens est garantie : à ce jour, l’occupation israélienne ne le permet pas.
Dans ces conditions, tout le monde peut aussi comprendre que beaucoup de Palestiniens et investisseurs étrangers demeurent fébriles : le traumatisme de l’après-Oslo et des destructions massives et gratuites par Israël de nos infrastructures découragent les investisseurs. Nous devons trouver des solutions car notre but est de créer chaque année 40.000 emplois et de résorber le chômage d’un actif sur deux dans les Territoires occupés. Autant dire que les défis à relever ne manqueront pas dans ce domaine mais, selon nous, tout reste possible si la situation politique s’améliore.
Enfin, je voudrais rajouter que l’unité palestinienne est essentielle pour surmonter l’occupation et pouvoir créer un Etat indépendant commun. Nous devons discuter avec le Hamas qui peut devenir un partenaire de paix, alors qu’en l’ignorant on ne fait que légitimer certains de ses éléments les plus radicaux. L’unité politique palestinienne demeure une affaire interne qui sera réglée par les Palestiniens au moment opportun. La rencontre du Yémen a donné des signes très encourageants qui ouvrent la voie à une future union nationale. Il ne faut pas se leurrer, le terreau de cette scission n’est autre que le contexte d’occupation et de colonisation généré par la politique israélienne.
Il faut sortir du schéma de la « Nakba » et proposer aux Palestiniens un autre avenir que celui de la terre brûlée, de la politique d’expulsion et d’injustices qu’ils ont subie depuis 60 ans. Israël doit comprendre que son avenir dans la région ne se fera pas en attisant les divisions internes entre le Fatah et le Hamas. Il est temps de bâtir un avenir commun, fondé sur le principe de deux Etats souverains vivant côte à côte, en toute sécurité.
Pour finir, j’aimerais vous dire combien je suis convaincue qu’une solution est possible dans cette région du monde. La grande majorité des pays arabes est prête à reconnaître Israël et à l’intégrer totalement dans la région, lui garantissant la paix et la sécurité. En échange, les pays arabes demandent la création d’un Etat palestinien dans les frontières de 67, avec pour capitale Jérusalem-Est et une solution juste pour les réfugiés. Ce plan de paix est connu de tous : il a été proposé en 2002, puis rappelé en 2007 lors du Sommet de Riyad.
Cette politique arabe n’est pas incompatible avec les efforts des Américains et des Européens qui eux aussi ont intérêt à voir éclore un Moyen-Orient prospère et stable. Les Palestiniens ne sont pas maîtres de leur destin et restent tributaires des grandes puissances qui seules sont capables de peser de tout leur poids pour garantir une paix durable dans la région. Depuis quelques temps, des intérêts semblent converger qui pourraient nous amener vers un accord de paix mais cela devra s’accompagner d’une amélioration du quotidien palestinien.
Nous vivons dans un monde où personne ne doit être au-dessus des lois : il en va de notre avenir commun de travailler tous ensemble à plus d’équilibre et à moins d’injustices pour le futur. Maintenant, je crois que la balle est dans le camp d’Israël qui en tant que puissance occupante, a le pouvoir d’agir concrètement pour la paix.
Comme l’a dit Khaled Hroub, si ce projet de paix n’aboutit pas, le risque est grand de se retrouver devant un scénario où ce seront les extrémistes – et je ne parle pas ici de Hamas – qui définiront l’agenda, non seulement en Palestine mais dans toute la région.
Tout dépendra des réponses données à quelques questions, qui mettent en évidence les responsabilités :
Quel rôle jouera l’Europe ? On attend d’elle, au-delà des déclarations, un rôle plus concret.
La politique américaine va-t-elle changer ?
Quels seront les choix stratégiques d’Israël ? Deux Etats ? L’apartheid actuel ? Un seul Etat ? Cette question est la plus importante.
Les conflits dans la région connaîtront-ils un apaisement ? La Syrie et Israël donnent des signes positifs au Liban.
Mais sans doute allez-vous poser ces questions aux intervenants.
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