Intervention prononcée lors du colloque du 5 novembre 2007, Peut-on se rapprocher d’un régime présidentiel ?

Faut-il changer « la » Constitution ou faut-il changer « de » Constitution ? Telle est un peu la perspective dans laquelle intervient le colloque d’aujourd’hui.

Il est dans la vocation de Res Publica de s’intéresser à la nature de notre régime et à son évolution possible et le présent colloque est en ceci en harmonie avec les objectifs de la fondation. Cela dit, il est et il n’est pas en lien direct avec l’actualité. Ce sont sur ces deux points que je voudrais m’expliquer pour introduire nos débats.

1. Notre colloque est en lien avec l’actualité parce que, chacun le sait, le chef de l’Etat élu il y a peu a décidé de bouleverser certaines pratiques. Il a demandé à un comité d’experts qui vient de rendre son rapport à la fois d’entériner ces pratiques en formulant des règles nouvelles, de les envelopper en quelque sorte dans le manteau de la loi fondamentale et aussi de proposer d’autres réformes d’ampleur plus ou moins grande. Implicitement l’exercice consistait à ne pas changer « de » Constitution mais à regarder, à balayer tout ce qui pouvait être changé dans la Constitution. Cet exercice avait d’ailleurs un précédent : celui du comité Vedel chargé en 1992 par le président Mitterrand de revisiter la Constitution dans son ensemble et non pas en vue de réformes ponctuelles comme celles qui avaient jusqu’alors donné lieu à des révisions. Les différences entre le comité Vedel et le comité Balladur sont cependant notables. Dans le premier cas il s’agissait d’un comité composé d’experts à qui un président en fin de mandat demandait en quelque sorte un avis en forme de bilan sur l’efficacité de nos institutions. Avec le comité Balladur, il s’agissait plutôt de réunir des experts mêlés à des politiques pour donner à un président en début de mandat les moyens de réformer le texte fondamental dans le sens qu’il souhaitait. Naturellement cet exercice avait un cadre : revoir les rapports au sein de l’exécutif à double tête de façon à permettre au Président de la République de diriger effectivement la politique de la nation. Simultanément il était demandé au comité présidé par E. Balladur de trouver les voies et moyens permettant de renforcer le rôle du Parlement.

Il est significatif que, avant même la remise officielle du rapport, le président du comité ait jugé utile de justifier longuement le parti retenu en indiquant que, selon lui, ce n’était pas tant la nouvelle définition des pouvoirs du Président de la République qui avait de l’importance que le deuxième objectif, le renforcement des droits du Parlement.

Ce commentaire précautionneux peut sembler assez raisonnable.

Ce n’est pas en effet parce qu’on a modifié l’article relatif aux pouvoirs du chef de l’Etat en écrivant qu’il « définit la politique de la nation » tout en mettant au pluriel « les » arbitrages qu’il exerce ce qui d’ailleurs n’est pas anodin, que l’on a révolutionné le cours de choses. Notre exécutif a connu dans son attelage à deux têtes (dont l’une dépasse) tant d’aléas et d’évolutions qu’on aurait à vrai dire pu se passer de cet ajustement. On peut même penser qu’il eût été prudent de s’en passer. Tel qu’il est aujourd’hui en effet, le texte de la Constitution permet à peu près toutes les distributions de rôle entre le Président et le Premier ministre.
Avec la nouvelle rédaction proposée, deux et même trois inconvénients sautent aux yeux.Tout d’abord le gouvernement de la France risque de connaître de façon plus aigue encore les blocages inhérents à la cohabitation si c’est le Président et non le Premier ministre qui « définit » la politique de la nation; or les propositions du comité si elles peuvent aider à limiter les chances d’apparition de celle-ci ne les réduisent pas à néant. Ensuite le Président s’expose en première ligne perdant ainsi l’utile fonction de fusible du Premier ministre et réduisant encore le rôle d’arbitre « au-dessus » des partis qui était un peu le mythe fondateur du chef de l’Etat dans la conception gaullienne. Troisièmement, ce texte -mais il est déjà devancé par la pratique- entérine une forme d’agitation décisionnelle qui boursoufle la fonction présidentielle, lui fait perdre en recul et surtout sanctionne un hyper présidentialisme boulimique qui, appuyé sur des medias peu portés à la critique, laisse le sentiment d’une appropriation du pouvoir au premier degré décliné à la première personne : je fais, je vais, j’agis. La France aime et n’aime pas selon les cycles de son histoire cette sorte de prise en mains de son destin et de son quotidien. L’hyper présidentialité déjà en place peut ainsi sembler aussi dangereuse pour son bénéficiaire premier que pour les Français eux-mêmes.

En contrepartie, il est vrai, le comité Balladur a fait des propositions pour renforcer le rôle et la place du Parlement. Je n’ai pas le temps de les décliner ici mais l’on peut dire cependant que certaines de ces propositions sont bienvenues, même si chacun ne choisira peut-être pas les mêmes dans le catalogue. Une meilleure maîtrise de l’ordre du jour, une place plus grande laissée à l’opposition et un contrôle accru sur certaines prérogatives de l’exécutif sont certainement des propositions dont on ne peut négliger l’intérêt.

Je ne dis rien car je n’en ai pas le temps des nouveaux droits des citoyens si ce n’est qu’on peut penser qu’ils auront bien du mal à s’exercer utilement à l’heure où la souveraineté populaire a perdu beaucoup de sa substance. On relèvera à ce sujet qu’il ne sert pas à grand chose d’instituer un « contrôleur » de nos droits fondamentaux si par ailleurs le peuple et ses représentants sont dépourvus de tout contrôle sur les normes européennes qui régissent des pans de plus en plus larges de notre vie. Sur cette question qui est fondamentale lorsqu’on s’interroge sur l’avenir de nos institutions, le professeur Troper saura sans nul doute nous éclairer.

2. Mais le présent colloque eût pu aussi bien se tenir sans cette actualité.

S’interroger sur la nature de notre régime, sur ses évolutions souhaitables, 50 ans bientôt après l’adoption de la Constitution la plus stable que nous ayons connue n’est sans doute pas une tâche inutile.

Les évolutions considérables qu’elle a eues à affronter rendent cette interrogation légitime, qu’il s’agisse du fait majoritaire dont Michel Debré a dit, longtemps après 1958, qu’il ne s’attendait pas à ce qu’il joue un tel rôle, des cohabitations que l’on croyait encore en 1970 impossibles ou, mais j’ai déjà souligné ce point, de l’intégration de la France dans un ordre juridique international se présentant comme souverain. Tout cela rend légitime une interrogation plus radicale sur un changement de régime : faut-il changer « de » Constitution ?

Ainsi après avoir passé en revue le bilan de nos institutions – ce sera l’objet de la première intervention, celle de Christophe Boutin-, il sera bon de se demander ce qui sépare les deux grands types de régime démocratique, le parlementaire et le présidentiel : ce sera l’objet de l’intervention d’Anne-Marie Le Pourhiet. Le professeur Troper exposera quant à lui comment les transferts de souveraineté affectent les principes mêmes sur lesquels est fondée une Constitution démocratique et s’attachera à montrer comment on devrait agir en la matière pour revenir à des bases plus saines. Auparavant, Jean-Pierre Chevènement aura exposé ses idées sur la possibilité et les moyens de se rapprocher dans notre pays d’un régime présidentiel. Jean-Pierre Chevènement n’a d’ailleurs pas forgé ces idées pour les besoins de son audition devant le comité Balladur : je puis témoigner que dès 1984 au moins, il s’interrogeait déjà sur l’intérêt d’un régime présidentiel ou à tendance présidentielle accrue en France.

Je laisse maintenant la parole aux quatre orateurs dont les interventions seront suivies d’un débat avec nos auditeurs qu’il faut remercier d’être venus nombreux.

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