Comment remédier à l’abaissement du parlement ? Y a-t-il des alternatives au régime présidentiel ?

Intervention au colloque du 5 novembre 2007, Peut-on se rapprocher d’un régime présidentiel ?

Merci, Monsieur le ministre.
Vous m’avez en réalité posé deux questions. « Comment remédier à l’abaissement du Parlement ? ». J’essaierai d’abord de répondre à cette question.
« Y a-t-il des alternatives au régime présidentiel ? » La seconde question donne l’impression bizarre qu’on y répond en même temps qu’on la pose. Je pense – et j’espère – qu’il y a des alternatives au régime présidentiel.
Ces deux questions ne se recoupent pas et n’ont d’ailleurs pas forcément de rapport entre elles. L’une concerne la structure de l’exécutif, l’autre les pouvoirs du Parlement. Je les traiterai donc séparément mais je voudrais d’abord lever toute ambiguïté et tout risque de malentendu en redonnant les définitions classiques des régimes présidentiel et parlementaire pour vérifier où nous en sommes actuellement après les évolutions décrites par Christophe Boutin, dans la typologie en question.

Tout d’abord, donc, quelques rappels de définitions, pour être bien sûrs de savoir ce dont nous parlons.
Un régime présidentiel n’est pas, loin s’en faut, un régime de concentration des pouvoirs au profit d’un président et ne se définit pas non plus par l’élection de celui-ci au suffrage universel direct. Je rappelle qu’aux Etats-Unis il s’agit d’une désignation indirecte par un collège de grands électeurs. Ce ne sont donc ni le statut ni les pouvoirs du président qui caractérisent ce régime mais le caractère rigide de la séparation des pouvoirs entre le président et le congrès. Dans ce système, en effet, aucun des deux pouvoirs ne peut destituer l’autre : le président ne peut dissoudre aucune chambre du Congrès qui ne peut non plus renverser le président. Celui-ci est assisté par des ministres dénommés secrétaires qui ne constituent nullement une instance de décision collégiale et solidaire. Il n’y a pas de gouvernement mais seulement une administration au service du président, la structure exécutive n’est pas dualiste comme en régime parlementaire.

La séparation fonctionnelle est aussi plus forte qu’en régime parlementaire mais elle n’est pas totalement étanche : le président n’a pas, en droit, l’initiative des lois mais dispose cependant d’un droit de veto surmontable par le Congrès à une majorité renforcée. Il ne dispose juridiquement d’aucun moyen pour contraindre les membres du Congrès à adopter les lois qu’il souhaite et doit procéder par persuasion et négociation. En revanche le Congrès dispose de pouvoirs de contrôle importants notamment par l’intermédiaire du vote du budget, qui est tout sauf une formalité, et des puissantes commissions législatives et d’enquête.

Le régime parlementaire, au contraire, se définit par la souplesse de la séparation des pouvoirs et notamment l’interdépendance des organes. Le gouvernement est politiquement responsable devant le parlement dont au moins une chambre peut le renverser, tandis que ce parlement ou cette chambre peut aussi être dissout(e) par l’exécutif. La collaboration fonctionnelle y est aussi plus forte que dans le régime précédent en ce sens que le gouvernement partage l’initiative des lois avec les parlementaires et dispose de moyens juridiques, parfois très importants, pour intervenir dans la procédure législative. L’efficacité de ces moyens est évidemment redoublée lorsque le mode de scrutin majoritaire (à un ou deux tours) assure une majorité parlementaire stable et confortable au gouvernement. En outre, des raisons historiques liées à l’origine monarchique des régimes politiques européens expliquent qu’ici, la structure de l’exécutif soit duale et comporte un chef de l’Etat (monarque ou président de la République) et un chef de gouvernement (premier ministre, chancelier, président du conseil ou du gouvernement). La plupart des régimes parlementaires sont dits « monistes » c’est-à-dire que le chef de l’Etat, politiquement irresponsable, y « règne mais ne gouverne pas », y compris dans les républiques dont le président est élu au suffrage direct. Il incarne l’unité et la continuité de l’Etat mais n’exerce pas le pouvoir exécutif, essentiellement concentré entre les mains du gouvernement et de son chef qui contresignent les actes du chef de l’Etat.

Où le régime politique français actuel se situe t-il dans cette typologie ?

En droit strict, c’est à dire selon la lettre de la Constitution, nous sommes dans un régime parlementaire moniste dans lequel le président, arbitre et garant, se trouve au dessus des partis et des contingences politiques (voir le Discours de Bayeux) tandis que c’est le gouvernement, responsable devant la chambre basse qui détermine et conduit la politique de la nation (article 20) y compris la défense nationale dont le premier ministre est responsable (article 21).

En fait cependant, le président de la République se comporte en capitaine d’une équipe gagnante et se fait élire depuis 1962 au suffrage universel direct, non pas sur ses qualités arbitrales mais sur un programme de gouvernement. C’est donc toujours un régime parlementaire moniste mais dans lequel c’est bizarrement le chef de l’Etat qui gouverne au lieu et place du chef du gouvernement devenu son subordonné sauf, lorsque refusant de démissionner après une sanction électorale de « sa » politique, le président accepte de cohabiter avec une majorité parlementaire et donc un premier ministre qui n’est dès lors plus son subordonné mais son rival.

Au plan parlementaire, on sait que l’arsenal du parlementarisme rationalisé mis en place en 1958 pour permettre au gouvernement de discipliner les assemblées intervenait dans un contexte partisan forgé par douze années de représentation proportionnelle et donc par l’absence de majorité stable. L’encadrement du règlement des assemblées, la délimitation du domaine de la loi, la maîtrise de l’ordre du jour par l’exécutif, la sélection des amendements, l’interruption de la navette, le 49§ 3, se sont ajoutés, à partir de 1962, à l’apparition d’une majorité docile et soumise de « godillots » pour aboutir à un abaissement sans précédent du parlement. Seuls le Sénat, dans les périodes, où il est dans l’opposition, et le Conseil constitutionnel, lorsqu’il est saisi, constituent de faibles contrepouvoirs dans un système monolithique.

En résumé, nous nous trouvons donc dans un régime parlementaire où un chef de l’Etat gouverne au lieu et place du chef du gouvernement sans autre responsabilité politique que celle des urnes tous les cinq ans et sans autre contre-pouvoirs (sauf cohabitation désormais hypothétique) que celui du Conseil constitutionnel et, conjoncturellement, du Sénat qui ne peut s’opposer véritablement qu’aux révisions constitutionnelles.

Avant d’examiner les remèdes possibles à ces « problèmes », un rapide coup d’œil comparé nous permet cependant de constater que nous ne sommes pas forcément les plus mal lotis. Le premier ministre anglais, en réalité aussi élu par le peuple lors des législatives, gouverne pratiquement seul avec une majorité aux Communes plus forte que la nôtre grâce au scrutin majoritaire à un tour, et une absence totale de contre-pouvoirs institutionnels (monarque effacé, seconde chambre fantôme et absence de contrôle de constitutionnalité). C’est à l’intérieur de son parti que se joue son destin mais pas dans les institutions. Le chancelier allemand doit sans doute composer avec un tiers parti au sein du Bundestag mais aussi avec un Bundesrat parfois dans l’opposition dont on vient cependant de limiter le droit de veto législatif. On constate néanmoins que, même avec une moitié de ministres SPD au gouvernement fédéral Angela Merkel ne contredit pas l’expression consacrée de Kanzlerdemokratie. Le président américain est certainement (président du Conseil italien mis à part) celui qui doit le plus composer et négocier et sa responsabilité démocratique ne joue aussi que tous les quatre ans, la limitation de ses mandats à deux permettant cependant de forcer le renouvellement.

En comparaison avec la Grande-Bretagne nos institutions ne sont donc pas dans un état si inquiétant. La « singularité française » dénoncée dans le rapport Balladur, qui confond trop facilement démocratie et séparation des pouvoirs, n’est pas convaincante A titre de provocation j’ajouterai même que la Grande-Bretagne ayant abandonné moins de souveraineté à l’Europe que la France, conserve entre les mains de son premier ministre plus de pouvoirs qu’il n’en reste au président français.

Voyons maintenant quels seraient les remèdes si on veut bien admettre qu’il y a une insuffisante responsabilité du président de la République en France et une trop grande faiblesse de l’institution parlementaire.

D’abord, que peut-on faire pour renforcer la responsabilité présidentielle ?
Y a-t-il des alternatives au régime présidentiel, m’a-t-on demandé ? Oui, évidemment et heureusement. Le pouvoir constituant est libre, il n’existe aucun déterminisme constitutionnel qui devrait inexorablement nous conduire vers un régime présidentiel. Nous ne sommes condamnés à rien. Eliminer en France le gouvernement et son chef et donc leur responsabilité devant la chambre, supprimer le droit de dissolution et condamner le président à gouverner avec un parlement indépendant sans mode de résolution institutionnelle des crises paraît totalement disproportionné et inapproprié au mal diagnostiqué. La séparation rigide à l’américaine est inadaptée à la structure partisane et à la tradition politique françaises, on sait d’ailleurs qu’elle ne s’est jamais soldée chez nous que par des coups d’Etat (Constitutions de 1791, an III et 1848).

Cherchons donc des alternatives, il y en a au moins trois :

Nous pouvons d’abord opter pour le statu quo, fût-il juridiquement bâtard et en trompe l’oeil. Les risques de cohabitation sont limités par le quinquennat et le nouveau calendrier, le président est responsable devant le peuple tous les cinq ans et non plus sept. Accessoirement, si les députés veulent, en cours de mandat, manifester leur désapprobation au président ils peuvent toujours renverser son gouvernement comme ils l’avaient fait en 1962. On pourrait donc se borner à prévoir simplement un mandat de cinq ans non renouvelable, mais on peut aussi observer qu’en Grande-Bretagne, c’est le parti qui sait faire comprendre à Margaret Thatcher ou à Tony Blair qu’il est temps de s’en aller. Je constate que le comité Balladur n’a pas cru nécessaire de prévoir cette limite raisonnable au nombre de mandats présidentiels ni même de justifier cette absence : dix ans est évidemment un maximum et ce qui va sans dire va mieux en le disant.

Le comité Balladur propose, en revanche, d’entériner la situation de fait en ajoutant dans les articles 5 et 20 que le président « définit la politique de la Nation » tandis que le gouvernement ne fait plus que la « conduire ». On propose ainsi d’écrire dans le même article que le président est simultanément arbitre et capitaine ! Il vaudrait mieux, à mon avis, s’abstenir d’écrire ce genre de contradiction flagrante d’autant que si d’aventure une cohabitation survenait de nouveau cette nouvelle disposition serait aussitôt démentie. Il y a, en outre, une très grave incohérence dans ces propositions : le gouvernement demeure politiquement responsable devant les députés d’une politique dont il est désormais écrit qu’il ne la définit plus, c’est absurde. Il vaut mieux avoir un régime politique qui fonctionne en marge du texte constitutionnel, ce qui existe dans d’autres pays, que d’avoir un texte ouvertement contradictoire et illogique.
C’est donc la première solution : un statu quo en limitant éventuellement le nombre de mandats.

Nous pouvons aussi juger que la responsabilité politique tous les cinq ans est insuffisante et qu’il faut la développer mais il faut cependant être logique, là encore. La pratique gaullienne du régime a consacré l’existence de deux couples cohérents : l’un de droit, c’est le couple gouvernement-parlement, l’autre de fait, c’est le couple président-peuple. Le gouvernement issu des élections législatives est responsable devant l’Assemblée nationale, le président élu au suffrage populaire direct est responsable devant le peuple. Ce n’est donc pas à l’Assemblée que le président a des comptes à rendre mais au peuple. De ce point de vue l’idée imposée par Nicolas Sarkozy au comité Balladur et tendant à permettre au président « de venir exposer sa politique directement devant le parlement » est aberrante. C’est le premier ministre qui expose cette politique dans son discours de politique générale ou la présentation de son programme, c’est à lui que les députés expriment ou non leur confiance puisque c’est lui qui est responsable devant eux. On ne peut pas mélanger les genres et croiser le quadrille : un chef d’Etat parlementaire n’a rien à faire devant les députés et n’a pas à se soumettre à une commission d’enquête parlementaire, cela n’a pas de sens. Le contreseing (article 19) des actes du chef de l’Etat par les membres du gouvernement indique qu’ils en endossent la responsabilité devant l’Assemblée nationale. Le rapport Balladur semble curieusement ignorer cette règle capitale. C’est le gouvernement et lui seul qui doit rendre compte au parlement, le président n’est responsable, en fait, que devant le peuple. Mais, si le président ne démissionne pas après une sanction populaire de sa politique c’est à dire en cas de victoire de l’opposition après une dissolution ou après l’échec d’un référendum, peut-on l’y contraindre par une disposition constitutionnelle ?

Pour le référendum certainement pas. On ne peut pas obliger un président à engager sa responsabilité sur un texte, ce ne peut être qu’une faculté comme pour le gouvernement dans l’article 49§3.
Peut-on alors l’obliger à revenir devant les électeurs en cours de mandat ? Oui, ce serait possible de deux façons.

Premièrement en introduisant dans notre Constitution une procédure de révocation populaire du président comme cela existe, notamment pour le gouverneur, dans certains Etats américains dont la Californie (recall vote). Si un certain pourcentage d’électeurs inscrits (12% en Californie) le demande, un référendum et organisé pour décider du maintien ou non du président sortant et, le cas échéant, de l’élection de son successeur (1) . Je serais personnellement assez favorable à un tel système complété, d’ailleurs, par un vrai référendum d’initiative populaire et non pas d’initiative parlementaire comme le propose en réalité le comité Balladur.
La deuxième solution, préconisée par Jean-Pierre Chevènement devant ce comité, consiste à introduire une disposition prévoyant le retour simultané du président de la République et des députés devant le peuple en cas de censure ou de dissolution. Cela revient donc à admettre qu’en cas de censure du gouvernement par les députés, le président de la République et ces mêmes députés reviendraient devant les électeurs. Sans doute une telle hypothèse n’est-elle pas prête de se produire en pratique et relève davantage de la dissuasion nucléaire que de l’exercice d’infanterie mais il n’en demeure pas moins que l’idée que les députés puissent renvoyer à la fois le gouvernement et le chef de l’Etat heurte totalement la logique parlementaire et … la continuité de l’Etat puisque, dans une telle hypothèse, tout le monde est par terre … sauf le Sénat et les juges ! Ce suicide collectif paraît quand même difficile à faire inscrire dans une constitution, et je comprends que les membres du Comité Balladur aient été un peu perplexes, je le suis aussi, mais Jean-Pierre Chevènement défend son projet mieux que moi.

En tout état de cause, il n’y avait aucune chance pour que l’une ou l’autre de ces solutions soit proposée par le comité Balladur puisque l’ordre de mission de Nicolas Sarkozy était formel sur ce point : l’articulation proposée ne devait pas être « dissociable du régime de responsabilité actuellement en vigueur », c’est-à-dire en réalité d’un régime d’irresponsabilité politique du président.

On peut aussi résoudre le plus logiquement qui soit tous les problèmes, c’est la troisième solution, en revenant tout simplement à la lettre de la Constitution avec un président qui arbitre et un premier ministre qui gouverne, quitte, s’il le faut, à supprimer l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Je ne suis pas certaine que les Français ne puissent pas comprendre que les Anglais choisissent aussi directement qu’eux leur chef de l’exécutif et que les prochaines élections législatives britanniques opposeront Gordon Brown et David Cameron exactement comme nos présidentielles ont opposé Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. A moins d’estimer que les Français sont plus imbéciles que la moyenne européenne, je trouve la façon dont on les présente, arc-boutés sur un système bâtard, assez condescendante et méprisante.

Ce ne sont donc pas les alternatives au régime présidentiel qui manquent, le tout est de rester cohérent et de ne pas ignorer la logique profonde qui préside aux systèmes politiques. On ne peut pas écrire n’importe quoi en matière constitutionnelle mais c’est malheureusement ce que fait un peu le comité Balladur en ce qui concerne le couple exécutif.

Reste la question du renforcement du parlement.
Ici le panel des solutions envisageables est infini, tant l’arsenal des mesures qui encadrent le pouvoir législatif est riche. Mais il convient cependant de prendre conscience d’une chose : c’est le cumul du parlementarisme rationalisé d’une part et du fait majoritaire d’autre part qui a conduit à la situation actuelle. Il convient donc de supprimer ce cumul en atténuant ou supprimant l’une des deux composantes mais pas les deux à la fois car on risque alors de replonger là d’où l’on est venu c’est à dire dans l’instabilité de la IVe République dont on sait qu’on la trouve encore dans le régime italien que le rétablissement de la proportionnelle a replongé dans l’ingouvernabilité.

On peut donc envisager d’introduire un système proportionnel comme celui de 1985, appliqué aux élections de mars 1986, qui conduirait, à terme, à la disparition du fait majoritaire et donc à l’obligation de constituer des gouvernements de coalition sur lesquels le président de la République n’aura pas la main mise aussi facile qu’aujourd’hui. Comme aux Etats-Unis, il devra donc négocier et composer. Il importe dès lors de conserver les procédés de rationalisation parlementaire et notamment l’article 49§3 qui peut se révéler utile pour domestiquer une assemblée trop anarchique. Nous avons perdu l’habitude de ce type de fonctionnement qui n’a existé que dans les quatre premières années de la Ve dans un contexte très particulier de mise en place du nouveau régime et de guerre d’Algérie. Il y a toujours un gros pari à faire sur ce mode de scrutin, surtout dans les pays latins, et les critiques de René Capitant sur son caractère finalement peu démocratique restent valables, même s’il existe des correctifs rassurants comme en Allemagne. L’introduction, en revanche, d’une petite dose de proportionnelle seulement, comme le propose le comité Balladur, semble plus symbolique et hypocrite qu’efficace et ne paraît pas devoir changer vraiment les choses. Quant à l’interdiction pure et simple et non pas seulement la limitation du cumul des mandats, je suis absolument convaincue qu’il faut la consacrer pour les parlementaires comme pour les ministres.

La seconde solution consiste à conserver le mode de scrutin actuel mais à supprimer les éléments trop brutaux du parlementarisme rationalisé. L’ordre du jour des assemblées pourrait être laissé à leur discrétion comme aux Etats-Unis ou en Italie. Le nombre de commissions législatives permanentes pourrait facilement être doublé (six aujourd’hui dans chaque assemblée, le comité Balladur propose de le porter à dix mais on pourrait monter à vingt). L’idée du comité Balladur d’ouvrir le débat en séance publique sur le texte amendé par la commission et non sur le projet initial du gouvernement (système britannique) est judicieuse. Le vote bloqué obligeant à tout moment l’assemblée considérée à se prononcer par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion (dénommé « guillotine » en Angleterre) pourrait aussi être supprimé (le comité Balladur ne prévoit pas cette suppression) de même que la « grosse Bertha » de l’artillerie gouvernementale que constitue l’article 49§3.

L’adoption d’un « statut » de l’opposition n’a de sens qu’en système majoritaire mais c’est davantage affaire de bonnes pratiques ou de dispositions de règlements des assemblées que de révisions constitutionnelles. Permettre à l’opposition de créer une commission d’enquête ou de présider une commission législative ne devrait pas nécessiter une inscription dans la Constitution. Je note d’ailleurs une certaine contradiction dans les propositions de président de la République et de son comité sur ce point : introduire une part de proportionnelle et pratiquer l’ouverture dans le gouvernement n’est pas tout à fait compatible avec l’idée d’opposition. Si l’opposition est dans le gouvernement ce n’est plus l’opposition ! Comme le disait Gérard Lenormand dans l’une de ses chansons : « Opposition néant si j’étais président ». L’idée d’un véritable statut de l’opposition ne se conçoit, à mon sens, que dans le two party system britannique.
Pour éviter la tentation d’inscrire trop souvent dans des lois des dispositions déclaratives, recognitives ou de simples vœux, peut-être pourrait-on songer effectivement à permettre aux assemblées de voter des résolutions mais en faisant attention cependant à l’usage médiatique et démagogique de ces procédés. Enfin et surtout, il conviendrait assurément de renforcer les pouvoirs de contrôle parlementaire en amont des projets d’actes européens, mais j’ai le sentiment qu’il s’agit là d’une affaire de volonté, de moyens matériels et de moeurs politiques plutôt que de moyens juridiques. Il faudrait aussi que le parlement français cesse de se débarrasser systématiquement sur le gouvernement de la transposition des directives européennes et de l’adoption du droit d’outre-mer par le recours aux ordonnances. Le recours à l’article 38 mériterait d’être limité à moins d’en revenir au sénatus-consulte du 3 mai 1854 qui affirmait brutalement : « Les colonies sont régies par décret ».

On le voit donc, l’élaboration de remèdes destinés à revigorer notre démocratie n’est pas chose compliquée dès lors que l’on sait éviter les deux écueils que sont l’incohérence et l’accumulation de réformes compulsives. Il y a assurément un tri à faire dans les propositions trop nombreuses et inégales du comité Balladur.

Un point désespérant doit cependant être souligné pour conclure : à quoi bon se soucier de notre démocratie interne si 70% de nos lois ne sont plus que la transposition servile de directives communautaires et si le nombre de domaines qui échappent définitivement à notre décision s’agrandit chaque jour sous l’effet de nouveaux traités et de la jurisprudence de Luxembourg ? Dans l’Union telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, il ne peut pas y avoir d’hyper-président français, la seule vraie dictature qui nous menace est celle de la technocratie bruxelloise et des juges luxembourgeois. On ne saurait trop dénoncer la provocation que constitue le titre du rapport Balladur (« Une Ve République plus démocratique ») au moment même où le président Sarkozy s’apprête à s’asseoir sur la volonté populaire en faisant ratifier par voie parlementaire un traité qui transfère encore des pans entiers de souveraineté à des institutions dont le déficit démocratique n’est plus à démontrer.
Sur ces aspects européens, je sais que c’est maintenant Michel Troper qui va nous trouver des remèdes.

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