Intervention prononcée lors du colloque du 17 octobre 2007, Crises financières à répétition : quelles explications ? quelles réponses ?

Merci.
Depuis vingt ans, on est passé d’un système de banques à un système de marchés financiers. Au cœur d’un nouveau capitalisme, ce système en constitue un élément qui s’articule avec l’ensemble.

Ce système de marchés financiers est-il fondamentalement mauvais, comme on a pu l’entendre ici ou là?
Ou bien est-il, comme le disent les acteurs, réparable au fur et à mesure (comme le chariot des pionniers qui finissait par les emmener en Californie) ?
Les deux thèses sont fortes et argumentées. Comme le capitalisme en général, ce système a des avantages et des inconvénients importants, d’où une certaine difficulté de jugement et d’analyse.
Les avantages sont évidents : la croissance mondiale est très forte depuis dix ans et elle permet d’intégrer des géants démographiques du sud, Chine, Inde, etc, autrefois exclus. Des milliards d’êtres humains sont sortis de la pauvreté. Les mouvements libérés de capitaux sont une des clés de cette nouvelle économie mondialisée.
Les désavantages de ce système sont aussi évidents : On est passé de bulle en bulle, de crise en crise : crise des monnaies asiatiques, crise de l’immobilier au Japon, crise des high tech américaines et, aujourd’hui, des subprimes. L’explication a été donnée : il s’agit d’un mécanisme explosif.
Les fonds sont abondants, à cause de la politique des banques centrales. On l’a dit tout à l’heure – il est assez amusant de le noter dans cette assemblée, devant vous, Monsieur le ministre – les taux de la FED ont été négatifs pendant au moins deux ans, les taux européens ont été nuls, les taux japonais négatifs. Tout cela a créé des liquidités extrêmement abondantes. Quand les taux sont négatifs, on a intérêt à prêter infiniment. Le deuxième élément est l’explosion du crédit par des innovations qui permettent des effets de levier considérables.
Le deuxième aspect, très bien raconté par Claude Bébéar, est le caractère moutonnier des marchés qui a toujours existé et, pis encore, l’effet auto-réalisateur des marchés : Si tout le monde achète du mouton néo-zélandais, le prix du mouton néo-zélandais va évidemment monter, cet effet auto-réalisateur marche à tous les coups jusqu’à ce que ça s’écroule et personne ne peut aller contre le marché.
Le troisième élément, très bien décrit aussi par Claude Bébéar, ce sont les gestionnaires à courte vue, avec des appétits pour des rendements élevés, c’est-à-dire pour des risques élevés. C’est donc la porte ouverte aux fraudeurs et aux voleurs. A propos des subprimes , la presse américaine a raconté que grâce à ces prêts, une femme qui n’avait ni revenus, ni travail avait pu acheter quinze maisons !
Enfin, la titrisation permet de diluer les risques par les mécanismes qui ont été décrits.
Donc, le système manque de mécanismes stabilisateurs, comme le dit Michel Aglietta, il s’emballe donc naturellement, par construction.

Qui sont les coupables ?
L’innovation trop compliquée ? La complexité des produits structurés dont le risque est très difficile à calculer ? Ils sont dits « structurés » parce qu’on superpose les couches : la subprime en bas et, par-dessus, on rajoute des produits qui présentent bien. Souvent d’ailleurs, les banques qui les accompagnent en rajoutent une couche, une belle obligation par exemple. Et les agences de notation notent sur le haut et non sur le fond. Les banques, souvent, ont sorti ces produits de leurs livres, on est donc hors bilan, hors ratio Bâle. Ces systèmes sont moins bien contrôlés et moins bien connus (par les jeunes gens dont on ne surveille pas le travail tous les matins) et ils n’ont pas d’obligation d’information puisqu’ils échappent au ratio.
Autres coupables : les agences de notation, souvent payées pour attribuer de bonnes notes, les banques qui, dans ce système, devraient être les chiens de garde, n’ont pas fait leur travail, transformées elles-mêmes en moutons. Elles ont acheté des produits qu’elles ne connaissaient pas ; alors que c’est à elles que le système, dont elles constituent le pilier, fait confiance, on s’aperçoit qu’elles ont dérogé au devoir de prudence le plus élémentaire. Enfin, les banques centrales, trop laxistes, coupables de ne pas prendre en compte le prix des actifs (seule la Banque suédoise a entrepris d’essayer de prendre partiellement les actifs en compte) sous prétexte que seul le marché sait. J’avoue que c’est un argument très fort sur lequel je n’ai pas de conviction assurée.

Que faire ?
Contrôler les nouveaux acteurs du système (on ne contrôle que les banques), mieux contrôler les nouveaux produits, les produits structurés, imposer de la transparence : il faudrait que les banques soient plus vigilantes lorsqu’elles titrisent, contrôler les agences de notation, enfin rendre les autorités de contrôle et les banques centrales plus sévères.
L’autre système (je cite à nouveau M. Aglietta), supposerait des investisseurs de long terme qui tenteraient de stabiliser les marchés, des fonds de retraite en particulier qui, au lieu de viser à trois mois, viseraient à cinq ans ou dix ans. Cela constituerait un fonds structuré de plus long terme. Mais je ne sais si le volume serait suffisant pour atteindre l’ampleur nécessaire.
Je disais tout à l’heure que le système financier est un élément constitutif du capitalisme moderne, c’est le système qui permet la primauté de l’actionnaire. C’est grâce à la flexibilité du système financier que l’actionnaire peut être exigeant et réclamer partout un retour sur investissement très élevé.

Pour revenir à l’image du départ : Est-ce que le chariot se répare ? Avance-t-on vers la Californie ? Je le crois.
Aujourd’hui la crise semble plutôt stabilisée. Depuis cinq ans, les Cassandre nous promettent un effondrement de l’économie américaine, ce sera peut-être le cas demain matin mais ce n’est pas le cas ce soir.
Le grand déséquilibre financier Chine/Etats-Unis se résorbe lui aussi doucement par la baisse du dollar. Ce n’est pas sans douleur pour l’Europe, d’ailleurs. Mais le système a donc son atelier de réparation interne : le chariot capitaliste s’amende, il avance et l’allure reste bonne.

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