Interventions prononcées lors du colloque La sécurité du Moyen Orient et le jeu des puissances du 20 novembre 2006.
On a beaucoup parlé du jeu des puissances et des Etats-Unis. Pour le Liban, la France a joué un rôle. Elle a joué un rôle en 1978, déjà, pour calmer les choses ; elle a joué un rôle en 2004, et là on peut discuter de la pertinence de son alliance avec les Etats-Unis, pour la résolution 1559 qui laisse des traces. Mais, c’est incontestablement la France, en tant que puissance, qui a emporté le dernier cessez-le-feu. Cela n’a pas été simple parce que les premières tentatives s’étaient heurtées à des veto. Il y a eu un travail obstiné des Américains analogue à celui mené par Kissinger en octobre 1973 pour retarder le moment du cessez le feu mais finalement la France a joué un rôle. Il y a donc un jeu possible pour plusieurs puissances, et non pas uniquement pour les Etats-Unis.
Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur l’ambassadeur.
Certains intervenants souhaitent-ils ajouter quelque chose à ce qui a été dit ?
Je me tourne vers la salle.
Un intervenant dans la salle
Je voudrais d’abord commenter une réflexion de Sami Naïr concernant l’Irak. On a parlé de Sistani en Irak mais il ne représente pas tous les Irakiens. L’Irak est un pays arabe. Jusqu’à maintenant, on ne dit pas « le Golfe persique », dans les pays arabes mais « le Golfe arabo-persique ».
Concernant les Américains et leur intervention en Irak, je pense que les Américains ont un vrai handicap au Moyen-Orient : après leur aventure en Irak, on ne leur fait plus confiance et discuter avec les seuls Américains au Moyen-Orient n’aboutira à rien. Le monde arabo-musulman a besoin d’une autre puissance qui peut être intermédiaire pour ramener les Américains à leur place. Nous ne somme pas contre les Américains dans un monde multipolaire mais, après tout ce qui s’est passé au Moyen-Orient, la suite sera en contradiction avec les souhaits américains, il faut maintenant discuter avec l’Europe. Une Europe européenne, chère au général De Gaulle, aura un rôle très important pour trouver un chemin pour la paix, pur les Palestiniens, pour les Israéliens et, pourquoi pas, pour les Irakiens.
Jean-Pierre Chevènement
Merci.
L’Europe européenne est chère à beaucoup, pas seulement au général De Gaulle.
Monsieur Roubinski m’a demandé la parole.
Youri Roubinski
Messieurs les ministres, Messieurs les ambassadeurs, je voudrais simplement attirer votre attention sur le titre du dernier numéro du Courrier international : « La défaite électorale de Bush change-t-elle la donne au Moyen-Orient ? ».
Je crois que c’est l’inverse. C’est le changement de la donne au Moyen-Orient qui a eu comme résultat la défaite des Républicains américains.
Où précisément ?
L’enlisement en Irak, le nouveau rôle de l’Iran « devenu puissance méditerranéenne », comme l’a dit mon collègue l’ambassadeur russe, tout cela est évident et bien connu mais le plus important dans ce changement de donne est sans doute la tragédie libanaise. On pourrait dire, en un propos amer : « A quelque chose malheur est bon » dans ce sens qu’en Israël, après la disparition de l’ancien Premier ministre (une personnalité de très grande envergure), le gouvernement actuel s’est enlisé sur deux fronts : le front contre le Hamas, côté Gaza, où ils sont revenus à leur point de départ et le front libanais où ils sont intervenus alors qu’ils avaient déjà obtenu, avec l’appui des Américains et des Français, le départ des troupes syriennes, un succès incontestable salué par Israël mais totalement gaspillé. La leçon de la guerre au Liban, pour la société israélienne, est très dure et très importante, au niveau militaire, certes, mais aussi au niveau politique. Les Arabes peuvent perdre des dizaines de guerres, Israël ne peut pas en perdre une seule. S’étant engagés dans une guerre d’un autre caractère, les Israéliens ont compris la nécessité d’un examen de conscience. Je crois que ce que vient de dire Monsieur le ministre Védrine est profondément vrai : Dans la société israélienne émerge une prise de conscience suscitée par le changement d’approche et, sur ce chemin, il y a le changement aux Etats-Unis qui se produit lentement.
Mais les positions de l’Iran sont en train d’entraver le mûrissement des conditions pour la reprise du dialogue. Pourquoi ? Parce que l’Iran joue sur deux tableaux : sur le dossier nucléaire d’une part et sur le dossier syrien, libanais, palestinien etc. d’autre part. Tant qu’il n’y aura pas de progrès sur l’un des dossiers, il n’y en aura pas sur l’autre. C’est un jeu à deux dimensions, deux tables différentes. En même temps les deux dossiers sont intrinsèquement liés ; Sami Naïr a eu parfaitement raison : ils sont interconnectés. Tant que ce qu’on appelle la « communauté internationale » n’arrive pas à reprendre langue directement avec les Iraniens sur les deux sujets qui intéressent le monde entier, jouant tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre, on ne peut pas débloquer la situation, notamment profiter de la nouvelle donne après la guerre du Liban.
N’ayant plus de fonction officielle, je ne suis plus lié par l’obligation de réserve mais c’est en plein accord avec la position officielle de mon pays que je dirai qu’une conférence internationale large est aujourd’hui prématurée. Les Israéliens n’accepteront jamais une conférence où ils seraient sur la sellette, une telle approche serait pour eux inacceptable et aurait pour effet de freiner la prise de conscience des réalités par la société israélienne. Mais si des contacts directs reprennent entre Washington et Téhéran sur deux sujets capitaux : l’Irak et les problèmes syrien et palestinien d’une part et le dossier iranien d’autre part, on trouvera cette marge de manœuvre tellement recherchée et, peut-être, un jour, ce que disent déjà James Baker et Tony Blair – qui vont dans le même sens – pourrait se réaliser.
Merci.
Sami Naïr
Je souhaite dire à notre ami irakien que je suis d’accord avec lui : l’Irak est une grande nation arabe. Quand je parle de Sistani, c’est uniquement pour dire qu’il est aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, le représentant de la plus grande communauté chiite en Irak et qu’il peut, s’il sort de la logique de compromis qui est actuellement la sienne, créer une situation extrêmement difficile à l’occupant américain et à ses alliés, c’est tout ce que je voulais dire.
Jean-Pierre Chevènement
Merci à toutes et à tous. Merci particulièrement aux intervenants. Bonsoir.
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