Interventions prononcées lors du colloque Où va l’Afrique ? du 30 octobre 2006.
J’ai été séduit par la variété des intervenants, surtout dans la mesure où ils ont abordé des questions différentes. C’est un panorama très intéressant.
Je voudrais simplement exprimer une perplexité :
Je me demande si l’objectif de ce colloque – parler de l’Afrique comme un tout – n’est pas très ambitieux. Il y a une identité africaine comme il y a une identité européenne très antérieure à la construction de la communauté européenne : un ensemble culturel de gens qui se reconnaissent comme faisant partie du même continent et ayant un certain nombre de choses en commun. Mais je suis très surpris de la tendance tant africaine qu’européenne à considérer l’Afrique a priori comme un tout.
Je me demande, par exemple, si on peut parler de l’émigration africaine comme d’un tout. Le Mali et le Burkina Faso sont deux pays d’égal niveau de développement – si on se réfère aux critères habituellement employés – et d’égale population. Or l’émigration vers l’Europe est trois fois plus importante au Mali qu’au Burkina Faso. Il doit y avoir des explications, forcément complexes. Elles tiennent d’abord à la taille du pays. Un pays très étendu et en partie désertique comme le Mali présente sans doute moins de facteurs attractifs, au sens géographique du terme, qu’un pays plus resserré où les gens se connaissent davantage et sont plus solidaires. Il est possible aussi qu’il y ait des traditions différentes. On se souvient qu’au Mali par exemple, l’émigration part plutôt de la région de Kayes qui a une ancienne tradition d’émigration.
Je donne l’exemple de l’émigration mais je pourrais donner d’autres exemples dans d’autres domaines. Il me semble qu’on gagnerait, pour la compréhension des problèmes africains, tant par les Africains que par les Européens, à avoir une vision un peu moins globale et à considérer qu’il y a « des Afriques », qui partagent certes la volonté de faire quelque chose en commun, mais qui ne sont pas définitivement homogènes.
La deuxième chose que je voudrais évoquer, précisément à propos de ces différences, c’est que, parlant de l’Afrique comme d’un tout, on évite de rentrer dans le détail de ce qui se passe dans les Etats africains. Or, je pense que les Etats-nations font partie des réalités sur lesquelles se fonde le monde tel qu’il est. On fait comme si tous les Etats africains étaient gouvernés de la même façon. Or, il y a des pays où c’est un peu plus difficile que dans d’autres. Tout le monde n’est pas dans la situation du Mali, relativement stabilisé du point de vue politique, avec un système électoral qui fonctionne, un système politique qui a produit dans la quinzaine d’années qui viennent de s’écouler une certaine progression. Il y a des pays pour lesquels c’est beaucoup plus difficile. Pour prendre un pays très voisin comme la Guinée, on voit bien que la situation politique y est extrêmement compliquée et bloque l’évolution. Là aussi, je crois qu’avoir le souci – par ailleurs très louable – de parler de « l’Afrique » empêche de voir ces contradictions et ces réalités qui, bien entendu, ne se résument pas à ce que je viens de dire.
Je pense que si on se plaçait sur le terrain économique, on trouverait également des réalités différentes qu’on gagnerait à apprécier avec plus de détail et de finesse.
Ceci n’est évidemment pas en contradiction avec ce qu’ont dit les différents intervenants mais vient en complément pour essayer d’expliquer certaines réalités que, sinon, on ne comprend pas bien.
Yvonne Bollmann
(S’adressant à Madame Beyala 🙂
Dans un journal du Cameroun, vous avez déclaré en janvier 2004 :
« J’ai la chance de ne plus appartenir à une ethnie. Je crois que je suis l’une des rares personnes au Cameroun à échapper à tout ça. Je ne ressens jamais, en ce qui me concerne, ces divisions qui séparent les Camerounais entre eux quelquefois. Je n’ai pas de sentiment d’appartenance ethnique ou clanique et les Camerounais ne me le font pas ressentir, c’est extraordinaire. »
Vous avez l’air heureuse de pouvoir donner cette définition non ethnique de l’identité, une définition assez proche, me semble-t-il, de la conception française de l’identité nationale qui ne reconnaît ni ethnies, ni minorités, ni autres Volksgroupen à l’allemande.
Alors, pourquoi, en France, (parce que je me demande : Où va la France ?) militez-vous dans le Comité Egalité qui, je cite le Monde : « combat notamment l’insuffisante représentation à la télévision de la diversité ethnique de la population française » ?
Pourquoi dire une chose au Cameroun et faire son contraire en France, même si c’est au nom de l’égalité ?
Jacques Simon
Monsieur Jacquet a assimilé les aides à des catalyseurs. C’est effectivement une bonne image : quand A se transforme en B et que B se transforme en A, on a un équilibre. Le catalyseur accélère la transformation de A en B et de B en A, ce qui fait que le rapport A/B reste constant.
Un intervenant dans la salle
Monsieur le président, vous avez cité au début de votre intervention le cinéma africain. Les amis de l’Afrique que nous sommes dans cette salle auront à cœur d’aller voir « Bamako », film d’un réalisateur malien qui traite dans une cour de justice du remboursement de la dette. Or vous n’avez pas parlé de la dette. Qu’en pensez-vous ?
Jean-Pierre Chevènement
Je n’en ai pas parlé parce que je la comprenais sous l’acronyme APD. L’aide publique au développement se fait d’ailleurs beaucoup trop par annulation de la dette plutôt que par injection de capitaux. On peut même dire que l’évolution récente a été d’accorder l’aide publique essentiellement sous la forme d’annulation de dette. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose. Cela peut se discuter.
C’était tout à fait présent à mon esprit. Il est évident que les banques occidentales en général, européennes et américaines, dans les années soixante-dix et jusqu’au début des années quatre-vingt, ont poussé les pays du sud à s’endetter dans des conditions déraisonnables et même effrayantes. Il a été très difficile par la suite de retrouver un équilibre. Quand on regarde les flux nets de capitaux, on constate paradoxalement que c’est l’Afrique qui finance l’Europe plutôt que l’inverse.
Une question était adressée à Madame Beyala par Madame Bollman concernant la diversité (qui ne me semble pas être tout à fait la même chose que l’ethnicité)
Calixthe Beyala
C’est vrai. Je ne me suis jamais sentie au Cameroun comme appartenant à un groupe ethnique. D’ailleurs je me dis Africaine quand il le faut parce qu’il y a quelque chose chez moi d’universel, j’aime bien appartenir au monde et je me fâche énormément quand l’idée d’égalité entre les hommes est mise à mal. Effectivement, j’ai milité en France, parce que l’idée de la diversité est mise à mal, pour une égalité réelle, pas une égalité de forme. Ces principes figurent dans la Constitution française mais ils ne sont pas appliqués dans les faits et je demande qu’ils soient appliqués.
Je vais vous étonner, Madame Bollman : je suis peut-être l’une des seules Africaines à avoir défendu les Blancs de Rhodésie parce que j’estimais qu’ils étaient africains. Pour moi, ce n’est pas une question de couleur, c’est une question de principes à défendre. Il y a des principes universels à défendre partout. Je veux dire que si demain matin, au Cameroun, on pratiquait l’exclusion d’un groupe ethnique, je défendrais ce groupe-là. Serai-je pour autant racialisée ? Non, j’ai horreur des injustices, horreur des inégalités. L’année dernière, beaucoup d’Africains m’ont reproché d’avoir choisi pour héroïne de mon livre « La Plantation » une Blanche d’Afrique du sud totalement Africaine. J’ai répondu qu’elle était à sa place. Pour moi, l’identité est une affaire culturelle. Les Noirs de France sont des Français et je ne vois pas pourquoi ils devraient être discriminés au niveau des instances officielles. Pourquoi ne siègent-ils pas à l’Assemblée nationale ? Pourquoi ne trouve-t-on pas ces Noirs et ces Arabes au Parlement ? Pourquoi ne les trouve-t-on pas suffisamment à la télévision ? On ne les trouvait même pas du tout à l’époque où je militais.
C’est pour moi une question de principes : qu’on arrête de proclamer l’égalité mais qu’on pratique cette égalité. Qu’on arrête de parler de tolérance mais qu’on parle plutôt d’alliance entre les peuples. Je déteste le mot « tolérance » (« Vous me répugnez mais je vous tolère »). On devrait le supprimer de notre langage : nous sommes français, nous n’avons pas à nous tolérer entre nous mais à nous accepter. C’est pourquoi je me bats.
Jean-Pierre Chevènement
Je renvoie ceux que cette question intéresse à notre cahier : « La République au défi des banlieues » qui en traite largement. Effectivement, quand des discriminations de fait, un cumul de handicaps sociaux, géographiques et une certaine « visibilité » des minorités se cumulent, il se crée des inégalités. Revenons aux sources de la République et trouvons les moyens de faire progresser l’égalité.
Ce qu’a dit Calixthe Beyala à propos de la tolérance est tout à fait juste. Il y a eu, bien sûr, l’édit de tolérance, mais l’égalité c’est beaucoup plus fort et beaucoup plus juste.
Calixthe Beyala
… Et c’est ce qui va régler les problèmes en France. Le jour où les Français issus des minorités vont se sentir les égaux des autres, on pourra vivre en paix. Tant qu’on ne pratiquera pas l’égalité réelle – pas formelle – les banlieues continueront à brûler. On aura des moments d’apaisement mais on n’aura jamais de fraternité. L’égalité précède la fraternité : je ne peux pas être votre frère ou votre sœur si nous ne sommes pas égaux. L’idée même n’est pas acceptable chez les minoritaires. Le mot fraternité ne trouve toute son ampleur et sa véracité que quand il y a égalité. Autrement il n’y a pas de fraternité. C’est le problème auquel nous sommes confrontés en ce moment.
Jean-Pierre Chevènement
C’est le problème de l’ethnicisation du regard. Je pense qu’il faut reconquérir le « regard républicain » qui était présent dans notre pays. Nos instituteurs – je pense à mes parents – avaient ce « regard républicain ». Je dirai même qu’ils avaient une tendresse particulière pour l’enfant moqué par ses camarades ou délaissé par ses parents. Si, en plus, ils arrivaient à le sortir de la gangue, ils le poussaient vers le cours complémentaire, voire l’Ecole normale, le lycée, les classes de prépa. Cette tradition était très vivante et je suis scandalisé de voir qu’aujourd’hui ce « regard républicain » n’est plus naturellement porté. Il faut le reconquérir.
Un intervenant dans la salle
J’aimerais revenir sur l’intervention de Madame Beyala.
Je partage en partie certaines de vos analyses. J’avoue en outre que je n’aurais pas eu le courage, à votre place, de dire les mêmes choses.
On a déjà entendu certains de vos propos, que je partage. Mais la question est : Quelles sont aujourd’hui les solutions pragmatiques ?
Vous suggérez une solution : des hommes politiques éclairés. Il y en a très peu – je pense qu’ils ne sont pas non plus très nombreux en Europe – car ils ne peuvent être issus que d’un peuple éclairé. Or, la difficulté pour nous est qu’une grande partie de la population est exclue du système de gestion, du système politique. Tant que cette partie de la population ne sera pas réinjectée pour prendre en charge sa situation, il n’y aura pas de possibilité de réunir les éléments que vous avez souhaités.
Je crois aujourd’hui, au-delà des aides bilatérales d’Etat à Etat ou d’institutions à Etat africain, à une possibilité d’aides monétaires dans le sens nord-sud et forcément non monétaires du sud vers le nord. C’est ce que certains appellent aujourd’hui le co-développement. De par ma position je situe ce co-développement au niveau de la société civile : des associations ou des collectivités territoriales qui puissent apporter une collaboration aux populations qui le désirent en Afrique et de l’autre côté, des Africains qui mettent fin à la pratique de la main tendue et qui, eux aussi apportent quelque chose depuis l’Afrique. Je pense qu’on ne peut pas tout jeter et qu’entre les peuples il y a une possibilité d’entraide, une possibilité d’avancer.
Je reviens sur la question du complexe. Je partage tout à fait ce complexe-là. Jeune médecin arrivé en France en 1990, je participais à un congrès. Il y avait là un expert de l’institution qui développait ses théories, notamment sur l’industrie pharmaceutique africaine. Au sortir de la salle, mon professeur agrégé malien, pour lequel j’étais plein d’admiration, se retourna vers le jeune expert occidental pour lui poser la question : « Que faut-il faire ? » Malheureusement pour mon professeur, le jeune homme lui rétorqua : « C’est à vous de réfléchir ! » Cela traduit bien le complexe nourri par les Africains vis-à-vis de l’Occident. On ne peut pas toujours en vouloir aux Occidentaux, il est temps de voir ce qui ne va pas de notre côté.
Je termine par une question qui me tient à cœur, celle de la diaspora de l’intelligentsia africaine en Europe. Il est habituel de dire par boutade qu’il y a plus de médecins béninois en France qu’au Bénin. Pour cette partie de l’émigration – et même pour l’émigration non qualifiée – je suis favorable à l’idée de l’émigration choisie : le jeune Malien ou burkinabais doit pouvoir choisir de partir ou de rester. Ce ne sont pas les autres qui choisissent pour lui, c’est lui qui choisit. Quand un Français ou un Canadien décide de partir pour tel ou tel pays, c’est un libre choix car, pour lui ce n’est pas cela ou rien. Quand le Malien se jette à l’eau pour aller en France, il n’a pas de choix : soit il accepte la condition qui lui est prédestinée, soit il part pour l’améliorer. Je pose donc la question des « cerveaux » africains : Etes-vous favorables à ce que ce milieu soit aidé, accompagné pour un retour en Afrique s’il le souhaite ou êtes vous défavorables à une telle idée notamment dans le cadre d’une immigration choisie ?
Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur. Il est évident que les mots peuvent être lus différemment. Les mots « immigration choisie » n’ont apparemment pas le même sens dans votre bouche que dans celle de notre ministre de l’Intérieur.
Le peuple peut-il être éclairé ? Nous allons voir lors des prochaines élections présidentielles et législatives si les Lumières progressent tant soit peu. Je ne réponds pas à cette question.
Monsieur le ministre, vous souhaitiez ajouter votre propos à ce qui s’est dit car plusieurs questions suscitent vos réactions.
Moctar Ouane
Merci beaucoup, Monsieur le Président.
L’heure avance et je ne souhaite pas prolonger outre mesure ce débat si intéressant. Toutefois, je souhaiterais rebondir sur quelques questions qui ont été soulevées ici.
D’abord, celle du coton, qui est essentielle pour le Mali. L’importance stratégique de ce produit est, pour nous, fondamentale ; il représente plus du quart de nos recettes, plus de trois millions de Maliens en vivent et les effets induits sont importants pour notre développement économique et social : ils se traduisent par la viabilisation de routes, la construction d’écoles, de dispensaires. En même temps nous voyons que les subventions accordées à la culture du coton dans certains pays ont pour effet de ruiner les efforts de développement du nôtre. C’est pourquoi nous plaidons pour l’édiction de mesures adéquates pour compenser les pertes importantes de recettes des pays africains producteurs (Mali, Burkina, Bénin et Tchad) ou accompagner utilement et efficacement les mesures de restructuration de cette filière comme c’est le cas au Mali. Enfin, je pense aussi que, dans le cadre des discussions de l’OMC, il est important que ne soit pas occulté le caractère global de cette question, qui doit être aussi prise dans sa dimension de développement et pas seulement dans son aspect commercial.
Deuxième observation, qui concerne les relations Chine-Afrique : ces relations se développent. Nous sommes précisément à la veille d’un rendez-vous important. Je suis moi-même sur le chemin de Pékin où s’ouvrira, le 3 novembre prochain, le premier sommet Chine-Afrique, premier forum de coopération puisque, au-delà des relations anciennes que la Chine entretient avec l’Afrique – le Mali, en particulier, a des relations privilégiées avec la Chine – il se trouve qu’aujourd’hui la Chine a diversifié son réseau en Afrique et que, sur le plan bilatéral, elle entretient des relations importantes avec beaucoup de pays africains. Ce que nous voulons maintenant, au-delà des aspects soulevés par Monsieur Jacquet, c’est dessiner une perspective plus structurée correspondant mieux aux intérêts des uns et des autres. Nous voulons nous engager dans un véritable partenariat, qui soit profitable aux uns et aux autres, et je pense que ce forum permettra précisément de dessiner les contours d’une telle perspective.
Sur l’immigration, je voudrais souligner que c’est pour nous une question centrale, non seulement parce que beaucoup de nos compatriotes vivent ici, mais aussi parce que les transferts d’argent de nos immigrés sont beaucoup plus importants en volume que ce que nous recevons en termes d’aide publique au développement. Il faut dépasser l’approche purement sécuritaire de la question de l’immigration pour l’envisager dans une perspective dynamique, plus constructive celle du développement. C’est pourquoi, je suis heureux de mentionner ici l’expérience utile et efficace que nous menons avec la France dans le cadre du co-développement. Elle fonctionne de façon satisfaisante et a trouvé un écho favorable dans le cadre multilatéral du dialogue euro-africain sur cette question, voulu par les Africains dans le cadre de l’Union africaine, comme au travers du dialogue entamé à Rabat pour essayer de voir dans quelle mesure précisément on peut, là aussi, avoir une dynamique, une vision globale, intégrée, de la question de l’immigration et du développement. La réunion de Rabat a eu lieu au mois d’août dernier et nous avons reçu récemment au Mali une délégation de l’Union européenne venue engager avec nous des consultations pour que nous puissions promouvoir cette approche. C’est pourquoi nous allons prochainement, dans le cadre de la programmation du 10e FED, faire en sorte que des programmes importants concernant l’immigration soient financés dans le cadre de la tranche incitative que nous recevrons de la part de l’Union européenne.
Concernant l’intégration africaine, j’ai entendu une réflexion un peu sévère de Monsieur Jacquet, disant que ça ne marchait pas trop bien. Je pense qu’aujourd’hui la Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest) peut être considérée comme un modèle d’intégration vraiment réussi et dynamique. Je crois nécessaire de mentionner et d’encourager ses efforts.
Je termine sur quelques réflexions faites par ma sœur (comme on dit chez nous en Afrique) Calixthe Beyala. Qui aime bien châtie bien, dit l’adage: c’est comme ça que je prendrai ses propos, notamment quand elle dit que l’Union africaine ne marche pas. L’Union africaine marche ; le constat est évident pour tous que l’Afrique n’est plus en crise, ou plus exactement, comme l’a rappelé Monsieur Belliard, elle ne se définit plus par ses conflits. Aujourd’hui, il n’y a pratiquement plus de conflits ouverts en Afrique et cela est à mettre au crédit des Africains et en particulier de l’Union africaine avec la mise en place d’un Conseil de paix et de sécurité permettant aux Africains de régler leurs problèmes eux-mêmes. Ce sont aussi tous les progrès, certes timides mais réels, qu’il faut mettre au crédit des efforts des pays au plan national mais aussi de l’action constructive des communautés économiques régionales comme la Cedeao qui dispose d’un mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité.
Vous appelez de vos vœux des dirigeants qui aient une vision. Je vous rappelle qu’en juillet 2004, l’Union africaine s’est dotée d’une Vision qui est celle d’un panafricanisme rénové sous-tendu par un développement durable, le renforcement du rôle de l’Etat, la consolidation du leadership de l’Union africaine en matière de promotion de la paix et de la sécurité sur le continent, une participation active des populations (femmes, jeunesse, société civile, secteur privé, diaspora) au processus d’intégration politique et socio-économique du continent.
Cette vision doit aboutir à l’instauration d’une Afrique en paix, intégrée et prospère, jouant un rôle dynamique au sein de la communauté internationale
Vous avez aussi évoqué le problème des langues nationales. Je crois que, là aussi, vous avez été un peu sévère parce que cette question est au centre des préoccupations des Africains. On espère d’ici la fin de l’année pouvoir inaugurer le siège de l’Académie africaine des langues (Acalan) à Bamako, et je rappelle que dans les programmes relatifs à la décennie de l’éducation en Afrique, le problème des langues nationales tient une place importante. De même, je rappelle que lors des rencontres de l’Union africaine, de plus en plus de délégations s’expriment en Swahili, notamment.
Un dernier mot sur la bonne gouvernance. C’est pour rappeler que la bonne gouvernance c’est autre chose qu’un problème de gestion : c’est un état d’esprit, ce sont des institutions, c’est une pratique. C’est le dynamisme de la nouvelle Afrique, la dynamique du développement. Ce n’est pas une sorte de justification devant les partenaires. Et, comme je l’ai souligné, le développement de l’Afrique, c’est d’abord la responsabilité première des Africains eux-mêmes.
Voilà les quelques précisions que je souhaitais apporter dans le cadre d’un débat si stimulant et auquel je suis heureux d’avoir pu contribuer modestement. Encore une fois, je vous remercie beaucoup, Monsieur le Président, de m’avoir offert cette opportunité.
Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur le ministre. Je tiens à vous rassurer : les hommes politiques, en particulier en France, ont toujours tort et on ne reconnaît les visionnaires que longtemps après qu’ils soient morts. Vous avez donc toutes vos chances.
Pierre Jacquet
Trois mots très rapides.
Sur l’intégration : je parlais essentiellement de l’intégration commerciale, d’un marché pour les biens et services. On a mis des années en Europe pour passer de l’union économique et commerciale à l’union monétaire. La Cedeao – et d’autres – doivent faire le chemin inverse : passer de l’union monétaire à l’union économique et le chemin, de ce point de vue, est encore long.
Sur les migrations, Monsieur le Président, vous avez qualifié ma vision de libérale et j’ai compris ce que ce mot véhiculait de choses horribles dans votre bouche. Je veux vous rassurer sur ce point, même si par ailleurs je peux vous paraître très libéral, en l’occurrence, je souhaitais plutôt être humaniste et j’avais en tête ce que Monsieur a dit beaucoup mieux que moi, le droit pour tout individu d’être mobile. Il me semble qu’on ne peut pas parler d’égalité sans l’étendre aussi à l’individu et à sa localisation. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas de politique. J’ai aussi voulu dire que, si la régulation était nécessaire, elle devait, à mon avis, s’exercer au niveau multilatéral et non au niveau national parce que je crains que les politiques nationales ne soient mues par des considérations trop égoïstes. Il me semble qu’une démarche très importante – mais difficile – de la gouvernance de la mondialisation consisterait à mettre en place un régime d’un commun accord entre les différents pays. Je ne suis pas sûr que cette vision soit libérale puisque, comme vous le voyez, il ne s’agit pas de prêcher le libre déplacement sans contrainte des uns et des autres.
Ma dernière remarque portera sur les mots très forts de Calixthe Beyala. Dans la dynamique de son propos, elle a été parfois un peu rapide. Elle a chargé notamment le développement à l’occidentale de tous les maux en parlant du gaspillage de la société de consommation. On peut la suivre sur ce plan, j’en suis d’ailleurs assez convaincu. En même temps, je voulais attirer son attention sur le fait que le mal-développement est aussi porteur de gaspillages. Quand la chaîne du froid ne fonctionne pas en Afrique, il y a gaspillage de nourriture. Il faut donc, me semble-t-il , relativiser les critiques et ne pas simplement considérer que la situation actuelle dans les pays africains n’appelle pas de modifications.
Madame Beyala a aussi lancé une violente diatribe sur l’approche visant à améliorer la gouvernance. Je crois d’abord que la gouvernance est aux Africains mais on ne peut pas dire qu’il n’y ait pas de problèmes de gouvernance. Elle-même a regretté que les produits ne circulent pas entre deux pays voisins et conclu son propos en disant que c’est un problème d’organisation : Eh bien, c’est ça la gouvernance.
Merci.
Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur Jacquet pour votre contribution extrêmement enrichissante à nos débats.
Calixthe Beyala
Monsieur m’a posé une question sur la diaspora. Nous pensons que la diaspora africaine va jouer un rôle très important dans le développement de l’Afrique de demain. Elle va en être le moteur car énormément de « cerveaux » d’Afrique se développent à partir d’ici. Nous avons décidé au niveau de l’Europe et même des Amériques de nous organiser. Chaque année, dans des pays différents (cette année au Brésil, il y a deux ans à New York, l’année prochaine, on l’espère, à Paris) se tient une réunion des intellectuels de la diaspora. Nous avons décidé de prendre un certain nombre de choses en charge, notamment le financement des études des jeunes issus de milieux en difficulté. Nous tentons d’aider ceux qui veulent repartir à s’installer. En France, la diaspora intellectuelle intervient au sein du club « Elite » qui reçoit les responsables politiques venant du monde entier. Ce club organise énormément de choses pour l’amélioration de la vie des Noirs aussi bien en France qu’en l’Afrique car nous restons convaincus – et cela a beaucoup à voir avec l’émigration dont parlait tout à l’heure Monsieur le ministre – que le développement de l’Afrique va passer aussi par sa diaspora qui, par de l’argent, par des connaissances, va injecter le nécessaire à cette Afrique qui quelquefois se meurt. Nous sommes effectivement contre l’immigration choisie parce que nous pensons qu’on ne saurait vider un peuple ou une terre de tous ses cerveaux. C’est inadmissible et ça ne pourrait qu’affaiblir le continent noir.
Je vais répondre à Monsieur Chevènement qui demandait où en étaient les pays d’Afrique par rapport à la transition démographique. Je ne crois pas que l’Afrique soit surpeuplée. L’Afrique est sous-peuplée. On se focalise sur quelques pays surpeuplés ou avec des populations suffisantes comme le Nigeria. Mais combien y a-t-il de Nigériens en Afrique ? Le Cameroun, avec une superficie équivalente à celle de la France, a quinze millions d’habitants. Au Gabon, M.Bongo annonce un million d’habitants mais en réalité, ils sont cinq cent mille. En Centre Afrique ils sont deux millions – avec le sida en plus – sur une superficie égale à une fois et demie la France. Je ne suis pas économiste mais il me semble que tout boom économique est précédé d’un boom démographique et nos hommes d’affaires ont énormément de difficultés à vendre leurs produits parce qu’ils n’ont pas assez de population. Un entrepreneur centrafricain devrait, pour que son entreprise survive, vendre ses produits à toute l’Afrique centrale. Quand on dit qu’il faudrait procéder à une planification des naissances en Afrique, il faut préciser dans quelles régions car cela pourrait s’avérer très dangereux dans une Afrique sous-peuplée.
Jean-Pierre Chevènement
Merci, Madame. Ce serait un autre débat, beaucoup plus long mais si vous regardez les projections des Nations unies en 2050, vous verrez une RDC à près de deux cent millions d’habitants, chiffre dépassé par l’Ethiopie. Le Nigeria sera à plus de trois cent millions d’habitants. Vous avez raison, il y a d’autres pays qui sont sous-peuplés mais si vous regardez le « trend » de 1960 à aujourd’hui, vous voyez bien qu’il arrive un moment où le poids de la démographie n’entraîne plus l’économie mais au contraire l’asphyxie.
Je dois maintenant conclure en disant un grand merci à Monsieur le ministre : vous nous avez beaucoup honorés de votre présence. Merci, Madame, merci à Monsieur Jacquet et à Monsieur Belliard. Je crois que ce débat a été vraiment très enrichissant.
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