L’attractivité des territoires

Intervention prononcée lors du colloque Entreprises et territoires du 25 septembre 2006

Sur la question posée, j’aurai l’approche de l’aménageur du territoire que je me suis efforcé d’être à la fois comme délégué à l’aménagement du territoire mais aussi comme préfet de la Seine Saint-Denis puis préfet de la Région Ile-de-France.

Les débats sur les rapports entre entreprises et territoires sont restés très longtemps marqués par une culture qui était celle du début de la Vème République et par une époque où le marché unique n’existait pas, une époque où il suffisait à Jérôme Monod – pour ne pas le citer – de dire à Motorola : « Vous voulez venir en France, vous irez à Toulouse ! » Lorsque je suis arrivé à la DATAR au début des années 1990 – Gabrielle Gauthey, arrivée juste après moi, s’en souviendra – j’ai rencontré beaucoup d’interlocuteurs qui regrettaient ce temps quand j’essayais d’expliquer que les choses avaient un peu changé et que Motorola avait d’autres moyens d’accéder au marché français et au marché européen que d’aller à Toulouse et qu’il fallait en tenir compte.

Je vais vous raconter une deuxième anecdote : Nous étions en discussion avec un grand fabricant d’ordinateurs qui n’était ni IBM ni HP, en l’occurrence Dell. Dell a une politique qui consiste à s’implanter pas trop loin d’IBM, ce qui rejoint ce qu’a dit Louis Schweitzer sur l’importance de se trouver dans un ensemble territorial qui sécurise l’entreprise. Ils se disaient alors que si IBM avait décidé de s’implanter à Montpellier, c’est qu’il devait y avoir des raisons. Nous étions en pleine discussion avec Dell, j’étais allé le voir à Austin. Le ministre de l’aménagement du territoire de l’époque a reçu Dell. Nous pensions que la signature allait intervenir (la prime d’aménagement du territoire était prête) et que des milliers d’emplois allaient tomber. C’est alors que le ministre a dit à Michael Dell : « Votre projet d’implantation est excellent mais il serait meilleur si vous veniez dans ma région », ce à quoi M. Dell a répondu : « Puisque vous ne tenez pas compte de mes choix, je vais en Irlande ». Grâce à Gabrielle Gauthey, arrivée après cette anecdote, nous avons réussi quand même, plus tard, à faire venir Dell en France. Ce deuxième exemple montre que le contexte a totalement changé.

Troisième exemple puisé dans mon expérience : Lorsque nous avons discuté avec Scania, qui s’est implanté à Angers, nous avons tenu compte des choix de cette entreprise, décidée à s’implanter soit à Angers, soit à Valladolid , soit au Pays de Galles. Nous n’avons pas tenté de persuader Scania de préférer Cournon d’Auvergne à Angers et son installation à Angers a été un beau succès.
Je vais revenir à quelques réflexions plus concrètes sur l’influence possible des pouvoirs publics sur les choix de localisation d’activités. Je confirme totalement ce qu’a dit Louis Schweitzer sur la logique de l’implantation des entreprises. Son propos correspond à ce que j’ai vécu à la DATAR. Canon s’est développé à Rennes. Ce fut une des plus belles opérations de l’aménagement du territoire. Sa démarche s’est déroulée en trois temps :
• Premier temps, la création d’une direction commerciale en France. C’est la logique du client évoquée par Louis Schweitzer.
• Deuxième temps, le développement des activités de fabrication. A partir du moment où ils avaient suffisamment de clients, ils ont fait le choix de fabriquer en France plutôt que de faire venir les produits d’une usine implantée ailleurs en Europe. C’est alors qu’ils ont choisi Rennes. Il est bien évident que le facteur clef de la localisation de Canon à Rennes a été le TGV. Le fait d’être à deux heures de Paris, et avec la perspective de l’interconnexion, à deux heures quinze de Roissy fut un élément essentiel dans le choix fait par Canon.
• Troisième temps – et je crois que ce fut la réussite de la DATAR – ils ont implanté un centre de recherche, montrant qu’il y avait dans le tissu industriel breton et français, suffisamment de qualités intellectuelles et de compétences humaines pour justifier cette implantation.

Dans mes discussions avec les entreprises à l’époque où nous avions la responsabilité des aides à la localisation des entreprises (je me permets de regretter que la DATAR, devenue DIACT ait perdu cette compétence), je constatais que le choix revenait d’abord au directeur commercial, puis au directeur technique et ensuite seulement au directeur financier. Il faut être clair : la prime d’aménagement du territoire et l’ensemble des aides, c’est la cerise sur le gâteau. S’il n’y a pas une logique de client et une logique de fabrication qui justifient l’implantation sur un territoire donné tous les millions de prime d’aménagement du territoire que l’on pourra rajouter n’auront aucune influence.

Voilà le contexte dans lequel on se situe. Je crois que si aujourd’hui nous voulons attirer ou maintenir des entreprises sur le territoire français, il ne faut pas se situer dans une logique passéiste dans laquelle on croit pouvoir obliger une entreprise à rester ou à s’implanter. Qu’on le veuille ou non, nous sommes dans une logique de compétition des territoires. Il faut assumer cette compétition dans de bonnes conditions. C’est le rôle d’une politique d’aménagement du territoire que de donner à chacun des territoires le maximum de chances pour garder ses entreprises et en attirer de nouvelles. La politique nationale d’aménagement du territoire conditionne la justice sociale et il est impératif qu’un pays comme la France ait une politique d’aménagement du territoire forte. Un de mes professeurs de Sciences Po (je ne sais plus si c’est Plescoff ou Saint-Geours disait : « On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. », ce à quoi l’autre répondait : « … sauf si on l’a mis au soleil ». La politique de l’aménagement du territoire relève de la « mise au soleil » de l’entreprise.

Comment mettre au soleil une entreprise aujourd’hui ?
La première condition pour avoir une offre territoriale performante est une bonne irrigation du territoire. Il n’y a pas de politique d’aménagement du territoire sans une politique d’infrastructures. La politique d’aménagement du territoire en France a bien intégré cette dimension, elle a été fondée sur une politique du développement du réseau autoroutier, puis sur le développement d’un système ferroviaire fondé sur la grande vitesse. Elle a reposé aussi, à l’époque, sur le développement des liaisons aériennes aujourd’hui complètement dépassées avec la logique de développement du TGV et des liaisons à grande vitesse. De ce point de vue, il faut bien voir les effets de distorsion du territoire que crée le développement de la grande vitesse. Il y a vingt ans, Limoges, à trois heures de Paris et trois heures de Toulouse avec le Capitole, était à la pointe du progrès en matière de desserte ferroviaire. Limoges est toujours à trois heures de Paris. Aujourd’hui, Marseille est à trois heures de Paris, Lyon en est à deux heures. Demain, en 2016, Bordeaux sera à deux heures de Paris, Toulouse à un peu plus de trois heures. Limoges s’est donc éloignée de Paris, sans parler de Clermont-Ferrand et du reste de l’Auvergne qui sont dans la même situation. Nous devons aujourd’hui développer une politique d’infrastructures, notamment ferroviaires, extrêmement performantes et interconnectées avec les autres modes de transport. Les trois entreprises que je vous ai citées : Canon, Scania, Dell se sont implantées dans des villes ayant une liaison TGV.

Par ailleurs le branchement sur les systèmes de communications électroniques les plus performants est aujourd’hui, un élément tout à fait essentiel. Le haut débit, sinon le très haut débit, est une condition de la localisation des activités. On n’imagine pas une entreprise s’implantant sans disposer d’un branchement avec les systèmes de données les plus performants et les plus rapides.

Le deuxième élément constituant un facteur important est le tissu économique et, notamment, le tissu humain dans lequel une entreprise va se créer.

Une qualité essentielle et reconnue du tissu économique français était la qualité de la main d’œuvre. Si on a réussi la reconversion industrielle du Nord, et, avec plus d’échecs, la reconversion industrielle de la Lorraine, c’est parce qu’il y avait une tradition industrielle, une qualité de la main d’œuvre garantissant un vivier dans lequel on pourrait facilement trouver à embaucher.

Les liens avec le tissu de l’université et de la recherche sont également très importants. C’est une question difficile ; déjà, à l’époque, la DATAR, à travers des réseaux technologiques, avait essayé de créer la base d’un système de mise en relation. Il faut savoir que, pour un universitaire, dans quelque domaine que ce fût, travailler avec une entreprise, c’était le début de la perversion, c’était quasiment se prostituer. C’est pourtant une nécessité. C’est pourquoi la notion de pôle de compétitivité est intelligente et constitue un facteur positif pour la localisation des entreprises mais à la condition qu’à travers les pôles de compétitivité, on ne vise pas uniquement les secteurs de pointe. J’ai constaté des liens très forts entre un bon IUT, une école des Mines (comme celle de Douai) et les entreprises locales. Il ne s’y fait pas de recherche fondamentale, il ne s’y découvre pas de particule nouvelle ni de planète supplémentaire mais il s’y était développé une politique de recherche-développement, un lien avec le tissu industriel local qui était un facteur tout à fait positif tant pour le maintien des entreprises en place que pour la venue d’entreprises nouvelles puisque la possibilité de faire appel à des sous-traitants est également un facteur important de localisation des entreprises.

La troisième remarque n’est pas liée à un facteur d’attractivité mais à la préparation de l’avenir. Il ne faut pas vivre avec l’idée que les implantations industrielles vont durer éternellement.

Lorsque je suis arrivé en Seine Saint-Denis, avec un certain goût de la provocation, j’ai dit quelquefois aux responsables d’Aulnay-sous-Bois : « Il faut que vous prépariez l’après-Citroën. Citroën n’est pas implantée définitivement à Aulnay-sous-Bois. Un jour, un président de PSA décidera, en raison d’un marché nouveau, d’autres lieux de fabrication. » Ce qui importe aussi dans la préparation de la localisation des entreprises, c’est non seulement de s’occuper du maintien des entreprises aujourd’hui, de l’arrivée des entreprises de demain, mais de préparer la venue des entreprises d’après-demain. C’est dans la confortation permanente et de la richesse d’un tissu industriel que se prépare l’avenir. Ce qui a pu être fait autour d’un certain nombre de zones d’activités, à Paris-Nord II, dans l’ensemble des zones qui se sont développées autour de Roissy (dont Aulnay), c’est créer un tissu économique. Plus le tissu économique est riche, plus on est capable de surmonter la crise que peut provoquer la fermeture d’une entreprise au moment où elle se produit.

Aujourd’hui, il faut créer les conditions d’organisation de la compétition territoriale et cela demeure une responsabilité éminente de l’Etat et des collectivités publiques. De ce point de vue, il y a beaucoup de choses à faire, à reconstruire.

La première chose qui manque cruellement dans notre société, c’est d’avoir des visions d’avenir. Je viens d’une réunion au Centre d’analyse stratégique : je regrette qu’on ait cassé le Commissariat général du plan pour créer le Centre d’analyse stratégique même s’il est bon pour le gouvernement du moment d’avoir une think tank. La DATAR a, elle aussi, commis une erreur en réduisant fortement son activité de prospective. Nous manquons cruellement de lieux où l’on prépare l’avenir ; il faut préparer les évolutions industrielles. On le fait dans le monde de l’entreprise. Il faut que la collectivité publique soit capable de préparer l’avenir faute de quoi elle se condamne à gérer les catastrophes. Ceci pourrait être transposé dans maints autres domaines.

Le deuxième point est la nécessité d’avoir une politique d’équipement et de continuer à investir fortement dans une politique d’infrastructures performantes. On ne peut pas se permettre de prendre du retard dans la concurrence. Je l’ai dit à propos des liaisons à grande vitesse, je l’ai dit à propos du haut débit et du très haut débit : il faut que nous continuions à être performants et que nous inventions les modes de financement qui aideront à sortir des impasses budgétaires dans lesquelles nous nous trouvons.

Troisième élément important : il faut que nous ayons une capacité à conforter le tissu industriel local. J’évoquais tout à l’heure les pôles de compétitivité mais je crois qu’il faut aussi (je le disais dans un papier récent du club Convictions) relancer le dialogue social territorial. Il faut probablement relancer les comités de bassins en s’appuyant notamment sur la loi Chevènement, sur les communautés d’agglomérations et les communautés de communes. Il faut faire vivre à ce niveau le tissu économique et les collectivités locales doivent jouer pleinement leur rôle.

Voilà les quelques remarques que je voulais faire sur la question « Entreprises et territoires ». Il est bien évident qu’il ne faut pas se tourner vers le passé ni regretter le temps où on imposait des choix aux entreprises. Si on accepte de vivre dans la situation telle qu’elle est, la France se révèle comme un pays très compétitif : nous demeurons le deuxième ou le troisième pays quant aux investissements étrangers dans le monde et ces investissements sont créateurs d’emplois. Il ne faut donc pas avoir peur de la compétition internationale mais simplement être capables de s’organiser dans ce combat et – « Il n’y a pas de bon vent pour celui qui ne sait pas où il va » – la fonction d’anticipation est l’élément essentiel qui conditionne une politique d’aménagement du territoire « pensée ».

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