Intervention prononcée lors du colloque Entreprises et territoires du 25 septembre 2006
Dans un tel contexte, il faut pourtant se garder d’une analyse trop simple des déterminants des choix industriels.
Les conditions de la concurrence, les règles écrites et non écrites qui la régissent conduisent-elles à l’apatridie des entreprises ? Il est clair qu’elles peuvent y pousser. Le coût de la main d’œuvre, qui, par exemple, varie dans un rapport de un à cent entre la France et le Cambodge, est un des éléments forts de la décision de délocalisation à l’heure de l’ouverture sans frein des échanges commerciaux.
Mais tout n’est pas dit et il reste des marges, comme le montre une réalité contrastée. Considérons l’actualité de quelques grands groupes français :
Un groupe de fabrication de pneumatiques, Michelin, devenu le leader mondial de cette activité, a néanmoins conservé son siège et une part significative de ses laboratoires de recherche à Clermont-Ferrand.
En sens inverse, un grand groupe sidérurgique public, Usinor-Sacilor, largement subventionné par le passé, a connu en quelques années la fusion avec d’autres groupes en une entité européenne suivie du désengagement de l’Etat français puis une OPA hostile réussie par une holding familiale asiatique spécialisée dans le rachat d’entreprises de ce secteur.
De même, un grand groupe spécialisé dans l’aluminium, Péchiney, a fusionné dans un contexte théoriquement amical avec un groupe canadien pour disparaître purement et simplement comme entité.
Mais, pour revenir à quelque chose de plus positif, un grand groupe automobile autrefois public, Renault, a investi dans un constructeur japonais alors en difficulté, Nissan, pour fonder un groupe mondial dont les principaux centres de décision – auxquels fait aujourd’hui appel le premier constructeur mondial qu’est General Motors – restent fixés en France et au Japon.
Comme on le voit, la réalité ne se laisse pas enfermer dans des schémas simples à l’heure de ce qu’on appelle globalement la mondialisation.
Il y a lieu de s’interroger sur les facteurs d’enracinement possibles des groupes industriels de services au public. L’activité même d’une entreprise peut être liée au territoire, c’est le cas des compagnies de transport d’électricité, de transport public, de production et de distribution d’eau mais il faut bien dire que nombre d’entre elles, à travers le monde, ont été cédées à des capitaux étrangers, souvent à un opérateur du même secteur venant d’un autre pays, parfois même à une holding purement financière.
Il est cependant intéressant de mesurer l’impact des réseaux dans les décisions d’implantation et le caractère durable ou non de ces décisions.
Bien sûr les réseaux de communication et d’énergie sont des éléments classiques qui interviennent dans les décisions de délocalisation mais il est nécessaire de s’interroger plus précisément sur l’impact des grands bouleversements technologiques, économiques et sociaux qu’entraînent, par exemple, le TGV ou le haut débit.
L’existence d’un actionnaire public a-t-elle, dans un groupe, un effet sur le rapport au territoire et à la population ? Ce ne peut être éventuellement le cas que si cet actionnaire a une participation significative et si ce n’est pas un actionnaire dormant. Les prises de participation minoritaires mais actives des Länder allemands dans un nombre limité d’entreprises industrielles mériteraient sans doute d’être analysées.
L’actionnariat des salariés peut être un élément qui s’associe à un actionnaire public pour contribuer à lier l’actionnariat lui-même à un territoire mais la réalité à cet égard est plus ambivalente.
La qualité et la productivité de la main d’œuvre sont sans doute aussi des éléments de l’attractivité d’un territoire et, par suite, des éléments dans la décision des entreprises au regard de ce territoire. Habitant une région frontalière, j’ai souvent entendu des responsables allemands justifier la durabilité de leur implantation en France par la qualité de la formation initiale de la population française. Dans le même temps, d’ailleurs, que beaucoup de chefs d’entreprises français s’intéressent à l’apprentissage en Allemagne. Au-delà de ces appréciations divergentes, il est intéressant d’observer que la qualité de la formation et de la recherche constituent la base technologique d’une implantation industrielle sur un territoire.
La logique des marques a-t-elle des conséquences sur le lien avec un territoire ? Là aussi les exemples abondent dans les deux sens. On observe par exemple le maintien de marques nationales préexistantes à l’intérieur de groupes multinationaux comme dans l’automobile, par exemple Dacia pour la Roumanie, Seat pour l’Espagne. Mais si l’on cherche dans n’importe quelle région reculée du globe une boisson gazeuse, il est toujours possible d’avoir accès aux deux marques mondiales qui se partagent inéluctablement le secteur et qui sont présentes comme telles dans presque tous les pays du monde. On voit que, là aussi, on trouve des exemples dans les deux sens.
Ces questions renvoient à celle d’une politique industrielle moderne qui peut se définir en termes d’aménagement du territoire mais aussi d’implantation des activités de recherche, des sièges sociaux, de réseaux de transport et de communication électronique, de productivité de la main d’œuvre et, aussi, sans doute, de pactes d’actionnaires. Une telle politique industrielle qui, souvent, ne porte d’ailleurs pas ce nom, semble avoir été toujours présente aux Etats-Unis, tant au niveau fédéral à travers – pour prendre un exemple maintenant ancien – l’investissement du département de la Défense dans la Silicon Valley qu’au niveau des Etats fédérés qui ont presque tous un dispositif propre d’appui à la localisation des activités. L’Allemagne, le Japon, ont une expérience différente.
Ces questions se posent dans beaucoup d’autres pays.
L’Europe est-elle condamnée à l’impuissance en la matière ? Ce n’est pas dit…
Comme on voit, la question du lien entre une entreprise et un territoire offre des entrées multiples. Le but de ce colloque est d’en repérer quelques facteurs déterminants à partir d’approches différentes qui font appel à l’expérience de chacun de nos intervenants d’aujourd’hui.
Pour commencer, je vais demander à Louis Schweitzer, président du conseil d’administration de Renault, sa vision des choses et la conception qu’il a de cette question.
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