Interventions prononcées lors du colloque Entreprises et territoires du 25 septembre 2006
Une petite remarque à Monsieur Gautier Sauvagnac : je pense qu’il n’y a pas assez de patriotisme économique et que la France est beaucoup plus libérale que les pays que vous avez cités. Elle est beaucoup moins patriote, économiquement parlant, que l’Angleterre et les Etats-Unis.
J’ai eu la chance d’étudier et de chercher (vainement) à travailler aux Etats-Unis dans le secteur de l’aéronautique. Quand j’ai cherché du travail, on m’a rappelé que, n’étant pas citoyen américain, toutes mes études et mes efforts étaient vains et que je ne trouverais pas d’emploi dans une entreprise américaine. Le fait d’être américain est impératif dans ce secteur d’activité.
D’autre part, à l’époque, mes livres d’histoire économique citaient une loi : le Buy américan act, votée, je crois, pendant la crise de 1929. Celle-ci est toujours effective : la loi, aux Etats-Unis, appelle au patriotisme économique. J’ai pu le vérifier récemment. Je travaille dans un secteur qui a eu la chance de vendre des hélicoptères à l’armée US. Pour réussir à passer les barrières, nous avons dû cacher notre origine européenne et mettre beaucoup de contenu américain.
Le patriotisme économique est très fort aux Etats-Unis. Sur les routes, chez tous les vendeurs automobiles, des drapeaux américains invitent à acheter américain.
Sans prôner cette manière de l’afficher, je pense que le patriotisme économique devrait être plus important en Europe.
Sur la question des territoires, je rejoins Louis Gallois. Je défends les intérêts d’un secteur industriel. Souvent, pour sensibiliser mes interlocuteurs, des élus nationaux, locaux ou régionaux, je mets en avant le fait qu’une entreprise,comme vous le disiez tout à l’heure, ne naît pas hors sol, qu’elle est liée à un territoire. Une entreprise, ce sont des emplois industriels. Je leur rappelle souvent que la vitalité de leurs territoires est liée à la vitalité de leurs entreprises et qu’il y a un lien très direct entre le territoire et l’entreprise.
Denis Gautier Sauvagnac
Une réponse très brève. Je ne crois pas qu’il y ait vraiment de contradiction entre ce que vous avez dit et ce que j’ai dit. Aujourd’hui, il est exact, par exemple que le Small business Act américain est absolument prodigieux. Les entreprises française, notamment les PMI, seraient extrêmement contentes d’avoir un tel outil : il s’agit, en effet, de réserver des marchés à des entreprises qui ne dépassent pas une certaine taille. Le patriotisme économique devrait être plus offensif qu’il ne l’est dans un pays comme le nôtre.
Je suis d’accord avec Monsieur Gallois, nonobstant l’observation de Monsieur Chevènement, sur le fait que, tant qu’à faire, j’aime mieux travailler pour la veuve de Carpentras que pour celle de l’Ohio, je crois donc qu’il vaudrait mieux que l’épargne française s’oriente davantage vers les actions que vers les fonds d’Etat.
Je crois enfin qu’il faut que nous ayons des territoires compétitifs, c’est la meilleure façon d’affirmer notre patriotisme économique.
Je ne crois pas pour autant qu’on puisse revenir à la prière et au salut au drapeau dans les écoles françaises : je ne crois pas avoir beaucoup de succès en suggérant ces pratiques très répandues aux Etats-Unis, ce qui probablement crée un climat un peu différent.
Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur le président.
Y a-t-il d’autres questions ou interventions ?
Un intervenant dans la salle
Ma question porte sur l’attractivité des territoires.
J’entends souvent dire au Ministère de la culture auquel j’appartiens que l’environnement culturel est un élément important d’attractivité pour un territoire et qu’il joue dans les choix de localisation des entreprises. J’aimerais en être convaincu. Je le suis de moins en moins parce que dans tout ce qu’ont dit les orateurs ce soir, je n’en ai absolument pas entendu parler.
Y a-t-il quelqu’un ici pour défendre l’environnement culturel comme facteur d’attractivité des territoires ?
Louis Gallois
J’ai évoqué l’agrément de vie. Il ne faut pas penser que les entreprises vont s’installer parce qu’il y a des salles multiplex mais lorsqu’on voit comment certaines villes qui ont connu de très grandes difficultés sont en train de remettre le nez hors de l’eau grâce à l’animation culturelle (Je pense à certaines villes du Nord comme Maubeuge, Roubaix ou Tourcoing), on peut dire que c’est un ressort dont il ne faut pas tout de même exagérer les effets.
Louis Schweitzer va vous répondre en parlant d’Avignon.
Louis Schweitzer
Je suis président du festival d’Avignon et je vous invite tous à y aller mais je ne vais pas parler d’Avignon.
Tout d’abord, la culture est en soi une industrie exportatrice en France, il ne faut jamais oublier ce fait premier. On parle de notre balance industrielle mais il y a aussi une balance touristique qui, s’il n’y avait pas la culture, n’aurait pas la même figure.
D’autre part, j’ai dit tout à l’heure que je siège dans les conseils de diverses entreprises. Je vous prie de croire qu’il est beaucoup plus difficile d’attirer des cadres de haut niveau en Suède qu’en France, non seulement parce que les nuits sont plus longues l’hiver mais parce que la dynamique de vie locale, une capacité d’intégration à une vie culturelle différente n’est pas du tout la même, la capacité d’attraction est donc plus forte.
Un autre exemple a été cité par Louis Gallois : Quand on fait venir des salariés, on fait venir des familles. Pour une famille, le fait d’avoir des centres d’attraction culturels modifie totalement l’attractivité territoriale.
Je crois que c’est une force. Je ne vais pas vous dire que pour faire venir une usine dans ce pays, le fait d’avoir un théâtre à côté de l’usine changera les choses. Mais pour faire venir des gens dont l’activité centrale est intellectuelle, ce qui représente une part croissante de l’emploi français, une dynamique culturelle est critique, je le constate fréquemment.
Jean-Pierre Duport
Je voudrais rajouter un mot sur cette question pour avoir commandé, en son temps, à Bernard Latarjet, un rapport sur « Culture et aménagement du territoire ». Je suis convaincu que ce rapport n’est pas resté lettre morte. Louis Gallois – mais ça fait peu de temps qu’il est revenu à EADS – pourrait parler mieux que moi du rayonnement culturel de Toulouse. Je suis persuadé que la notoriété mondiale de l’orchestre du Capitole est un élément important du rayonnement de Toulouse. En matière d’aménagement du territoire, on peut rendre hommage à Jeanne Laurent : en menant une politique culturelle d’aménagement du territoire, elle est pour beaucoup dans le fait que, dans le domaine culturel, on est loin de « Paris et le désert français ». Il est vrai que les Japonais recherchent plutôt des golfs que les concerts du Capitole de Toulouse mais je pense vraiment que la culture est un élément d’attractivité essentiel.
Jean-Pierre Chevènement
Merci, Jean-Pierre.
Nous allons recueillir encore deux questions avant de clore cette soirée.
Un intervenant dans la salle
Je vais poser à Monsieur Gallois, en tant qu’ancien président de la SNCF, la question inverse. J’habite l’agglomération bayonnaise. Ma question est :
Les entreprises doivent-elles s’impliquer dans le développement culturel de leur région ? Je parle évidemment du problème de la langue basque à la gare de Bayonne.
Un intervenant dans la salle
Je voudrais faire à Monsieur Gautier Sauvagnac une objection sous forme d’une question. Vous avez proposé un basculement du financement de la protection sociale vers l’impôt. Je me demande si ça constituerait un réel changement. En opérant ce basculement on diminuerait, certes, les charges sociales et on pourrait augmenter le salaire brut mais il faudrait en même temps augmenter l’impôt. Or il faut savoir qu’en France il n’y a que la moitié des ménages qui paient l’impôt sur le revenu. Donc, il ne me semble pas qu’au plan macro-économique ça changerait grand-chose.
Louis Gallois
Il se trouve que j’ai un frère et une sœur qui habitent Biarritz. J’ai passé toutes mes vacances entre Hendaye et Cap Breton. J’y étais encore il y a trois semaines. Je connais donc bien la côte basque, et j’aime beaucoup le pays basque.
J’ai lu dans la Constitution que la langue de la République française est le Français. Je pense que l’unification du pays qui s’est réalisée à la fin du 19e siècle s’est faite aussi autour de sa langue. Je n’ai aucune objection à ce que les gens parlent basque mais le fait qu’il faille que tous les instruments de la République soient traduits en deux langues me pose un véritable problème. De même, je m’inquiète qu’on ne puisse plus considérer qu’il y a en France une langue véhiculaire, la langue que tout le monde parle, qui permet à chacun de s’orienter, de se retrouver, de dialoguer et de se sentir français. Cette langue est pour moi le Français. Ceci ne veut pas dire que je ne voie pas beaucoup de mérites à ce qu’il y ait une animation culturelle basque, bretonne ou corse mais je n’ai pas été un fanatique de l’inscription en basque de l’ensemble des annonces de la SNCF écrites… et même orales ! Il était également demandé que dans les trains les annonces soient faites en basque. Je n’ai évidemment pas accepté. Nous avons la même demande de la part des Bretons.
Voilà ma position. Je suis d’autant plus décontracté pour l’exprimer que je ne suis plus en charge du chemin de fer. Je vous conseille de reposer la question à ma successeuse dont j’espère qu’elle sera animée par les mêmes principes républicains.
Denis Gautier Sauvagnac
Je crois que le financement par l’impôt plutôt que par les cotisations sociales répondrait à une question de fond et qu’il n’aurait pas les inconvénients que vous dites.
La question de fond est de savoir si le financement de la protection sociale relève de la solidarité nationale quand il s’agit de la famille, de la maladie, de la vieillesse quand elle ne correspond pas à des prestations comme le fonds de solidarité ou s’il relève de cotisations assises sur la production. C’est à la fois une question de principe (Quid de la solidarité nationale ?) et une question pratique car c’est une chose, chaque fois qu’on a besoin d’argent pour la sécurité sociale, d’augmenter le coût du travail (avec les conséquences que cela entraîne pour l’emploi), c’en est une autre (même si je reconnais que ça ne change pas les prélèvements obligatoires) de jouer de l’impôt sur le revenu, de la TVA, de la CSG, de l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux ou sur les sociétés et surtout ce n’est pas la même responsabilité. Dans le premier cas, le gouvernement doit chercher à l’Assemblée nationale une majorité pour augmenter les impôts, dans le deuxième cas, il prend un arrêté pour dire que la cotisation à l’assurance vieillesse augmente de 0,1 le 1er janvier. S’il fait ça dix ans de suite, il se retrouve avec un coût du travail chargé plus élevé que la moyenne européenne et on le paye en termes d’emploi et de chômage. C’est pourquoi je suis partisan, progressivement, d’un basculement vers un financement au titre de la solidarité nationale plutôt qu’un financement assis sur la masse salariale et donc payé, à la fin des fins, par le travail.
Jean-Pierre Duport
Je n’ai pas mentionné tout à l’heure un facteur extrêmement important dans la localisation des entreprises, le coût de l’énergie. Je voulais le dire parce que c’est lié à la politique nucléaire française. Le fait que nous ayons une énergie bon marché et sûre est un élément essentiel de localisation.
Jean-Pierre Chevènement
Merci, Jean-Pierre.
Nous allons pouvoir clore cette soirée.
La France a beaucoup d’atouts. On n’a peut-être pas assez insisté sur le fait qu’il y a aussi de la place pour des réformes qui amélioreraient encore la qualité de l’éducation, des universités, de la liaison recherche-industrie. Je voudrais souligner aussi l’importance de la logistique : quand on voit la fragmentation du processus industriel, une des tendances fortes depuis une bonne vingtaine d’années, on sait que quand on tient la logistique, quand on a un bon système de transports, on peut aussi maîtriser un certain nombre de fonctions d’assemblage. Je pense donc que bien que certaines tendances ne soient pas porteuses, comme le vieillissement de notre population (mais il est relatif par rapport à d’autres pays) ou le coût salarial relatif, avec ce qu’a dit Monsieur Gautier Sauvagnac [mais on ne peut quand même pas s’aligner sur le modèle chinois !], il faut tenir bon sur nos avantages en sachant que tout se renverse et qu’il n’existe pas de loi de l’économie, il y a l’histoire telle qu’elle se fait avec la volonté des hommes. L’idée d’un marché mondial unique est une utopie, une réalité virtuelle. On en est, dans les faits, extrêmement loin dans la plupart des domaines. On sait surtout qu’une dérégulation totale ne marche pas parce qu’elle butte toujours en définitive sur des problèmes politiques. Il y a eu autrefois la mondialisation anglaise, très bien décrite par une économiste américaine, Suzanne Berger, elle a abouti au premier conflit mondial dont les déterminants ne sont pas seulement dans l’économie. La complexité du monde dans lequel nous vivons est une bonne chose du point de vue des intérêts de la France et plus généralement de l’Europe. Louis Schweitzer me disait tout à l’heure qu’il faudrait les rendre compatibles – ils le sont très largement – mais on peut les rendre compatibles sans oublier que la France joue en Europe un rôle d’orientation indispensable. Lors d’un déjeuner, il y a quelques mois, Louis Schweitzer m’avait dit : « il faut mettre un peu de viscosité dans le système ». C’est une réflexion très profonde. Le système est encore un peu visqueux. N’allons pas trop vite vers une fluidification intégrale si nous voulons la maîtriser tant soit peu.
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