L’agriculture et le défi énergétique

Intervention prononcée lors du colloque L’avenir de la politique agricole commune du 26 juin 2006

Je vous remercie, Monsieur le Président, de votre invitation.
On parle de la PAC dans les journaux depuis des années mais ça n’intéresse personne. Depuis mon arrivée dans cette salle, j’entends énoncer des choses que tout le monde ignorait à propos de l’agriculture et de son fonctionnement. En général, l’agriculture est perçue de deux manières : ceux qui gênent sur la route ou les boucs émissaires tout désignés dès qu’un problème sanitaire surgit dans le monde (même si c’est un problème de charcuterie qui ne concerne en rien l’agriculture).

Je voudrais remercier Lucien Bourgeois, Monsieur King et Monsieur Paillotin qui ont abordé les problèmes de fond. Vous avez tous parlé des aides compensatoires. Je voudrais, si vous le permettez, préciser ce mot : il n’y a pas d’aides compensatoires de l’agriculture, simplement, en 1992, la réforme de la PAC a imposé à l’agriculture une forte baisse des prix qui a nécessité pour maintenir une agriculture en France et en Europe la mise en place d’aides compensatrices. Ce n’est donc pas un cadeau qu’on a fait aux agriculteurs, c’est une contrepartie pour baisse de prix, c’est une subvention à la consommation.
Je voulais aussi vous assurer que les agriculteurs du sud de la Loire – parmi lesquels je compte beaucoup d’amis – défendent la PAC bec et ongles.

J’essaierai de relever quelques défis.
Cette semaine est en train de s’écrire ce qui pourrait être un accord dans le cadre de l’OMC. Monsieur Mandelson est mandaté par l’Europe pour négocier auprès de Monsieur Lamy au niveau de l’OMC. J’ai le sentiment que l’agriculture européenne – française en particulier – risque d’être sacrifiée par l’OMC car le modèle agricole européen n’est pas suffisamment défendu. Je crains fort qu’à l’issue de cette négociation notre agriculture soit prise en otage sur plusieurs points en contrepartie des autres éléments à négocier.
Je vous remercie d’avoir abordé le problème des pays émergents : je me demande pendant combien de temps le Brésil va rester un pays en voie de développement ! C’est un pays qui a une capacité extraordinaire. Quand une société française va produire des poulets au Brésil, ceux-ci n’y seront pas nourris de céréales françaises, ce qui constitue un manque évident à l’exportation pour nos céréaliers.
L’Europe doit défendre son modèle agricole et sa sécurité alimentaire. Si les négociations vont dans le sens que je crains, nous nous mettrons sous dépendance du monde en matière alimentaire comme nous pouvons l’être en matière d’énergie.

Vous avez aussi parlé du changement climatique. On ne peut pas aborder le sujet qui m’anime sans commencer par le climat et l’environnement. Dans la première quinzaine de décembre 2005, un grand rendez-vous international a eu lieu à Montréal rassemblant 189 nations afin de bâtir une véritable stratégie pour lutter contre les gaz à effet de serre et les changements climatiques. On s’est aperçu que 34 pays seulement avaient ratifié le protocole de Kyoto, certains pays – et non des moins pollueurs – comme les Etats-Unis et l’Australie qui considèrent que la ratification entraînerait pour leur économie des contraintes supplémentaires. Pour autant, là aussi, il y a les « faiseux » et les « diseux » : ceux qui font et ne disent pas et ceux qui disent et ne font pas. Les Etats-Unis construisent une usine de production d’éthanol par mois sur leur territoire. Parmi les pays qui ont ratifié le protocole, on compte des pays en voie de développement, ce qui les autorise à ne pas appliquer les protocoles et conventions signés.
La France, elle, s’est engagée et va agir : c’est un engagement politique fort et c’est une nécessité. Actuellement, on travaille hors bilan mais, à partir de 2008, nous devrons comptabiliser le non-respect du protocole de Kyoto, chiffré en dollars ou en euros : c’est la sanction financière de la ratification, c’est pourquoi il est important de prévoir des dispositions juridiques et une réglementation qui permettent de respecter les engagements pris. Il a été constaté aussi que pendant les siècles qui nous ont précédés la température de notre planète augmentait d’environ un degré par siècle. Or au XXe siècle, la température a augmenté de 2°5. Il a été précisé à Montréal que, si on ne faisait rien au XXIe siècle, la température risquait d’augmenter de 6° à 6°5, ce qui signifie qu’en 2040, Paris pourrait connaître le climat actuel de l’Afrique du Nord, ce qui nécessiterait beaucoup de changements dans nos comportements.
Pour respecter ce protocole, nous disposons de solutions en matière d’énergie.
En moins de deux cents ans, en quelques générations, nous avons prélevé la plus grande partie du pétrole disponible et facilement accessible. Il va falloir économiser cette énergie.

Nous devrons relever trois défis :
En tant qu’agriculteur, je citerai d’abord le problème de l’eau. L’eau est un bien rare que nous devons savoir garder dans son volume et dans sa qualité. Ce défi doit être relevé.
Le deuxième défi à relever est celui de l’alimentation. Il y a un siècle, la terre nourrissait 1,5 milliard d’individus. En 2006, le travail agricole nourrit 6,5 milliards d’individus. En 2040-2050 nous serons 9 ou 10 milliards. C’est un pari formidable qui va nous obliger à travailler différemment.
Le troisième défi est celui de l’énergie. Le prix du baril dépasse aujourd’hui 70 dollars. Nous sommes dans une situation de crise mondiale en matière d’approvisionnement énergétique. Nous sommes vulnérables et dépendons de la sécurité du monde.

Face à ces trois défis, la terre (que les agriculteurs cultivent matin, midi et soir, dimanches et fêtes) est le seul écosystème capable de réguler le carbone sur la planète. Nous devons donc développer des énergies diversifiées, notre sécurité et notre indépendance sont en cause.

La biomasse est du pétrole frais renouvelable chaque année mais cela suppose une volonté politique.
La biomasse, c’est le bois, la cogénération, la fermentation, ce sont aussi les biocarburants. C’est la biomasse qui apporte la réponse la plus massive en matière d’énergie et de capacité à répondre aux attentes de nos concitoyens, en matière d’énergie pour les transports. C’est la plus productive parce qu’on peut la faire évoluer et la plus durable parce qu’elle est renouvelable.
La biomasse ne concerne pas seulement l’agriculture, mais aussi l’environnement, l’économie, les affaires sociales. Toutefois l’agriculture est la seule capable d’apporter la matière première qui permet de développer la biomasse.
L’âge de pierre ne s’est pas arrêté parce qu’il n’y avait plus de pierres mais parce que des hommes se sont lancés dans l’aventure du progrès et de la recherche. De la même manière, en matière d’éclairage, si on avait poursuivi la recherche sur l’éclairage par la bougie, l’ampoule électrique n’existerait pas.
Il existe deux sortes de biocarburants. Le complément de l’essence est un alcool fabriqué à partir de céréales, de blé, de maïs, mais aussi de betteraves et de bois. Le seul problème est l’adaptation des coûts. Pour les moteurs diesel, c’est le diester (nom commercial en usage en France, pour diester et ester méthylique d’ester végétal) qui s’additionne au gasoil. Il est produit à partir de toutes les matières grasses, le colza, le tournesol, le coton, la palme. Les plantes oléagineuses sont répandues partout dans le monde. Il est possible aussi de faire du carburant à partir de graisse animale et de suif (les EEHA, esters éthyliques d’huiles animales, agréés par la Commission européenne). C’est ce qui a été fait lors des crises de la vache folle et de la fièvre aphteuse.
Cette année les Vingt-quatre heures du Mans se sont terminées par la victoire d’une voiture diesel. J’ai essayé de faire en sorte que cette voiture roule au diester mais on m’a demandé tellement d’argent que j’ai décidé que nous en construirions une nous-mêmes. J’espère qu’elle courra sur les circuits dès 2007 (avec la société PSA, notamment Peugeot automobiles) et nous gagnerons probablement les Vingt-quatre heures du Mans l’année prochaine avec une voiture au biocarburant.

Nous avons donc toute une gamme de solutions face à la crise.
Nous avons donc lancé deux plans biocarburant.
Le premier est la reprise des directives communautaires votées en 2003. Elles donnent un fil rouge conducteur jusqu’en 2020. A cette date, 20% de toutes les énergies consommées en Europe devront provenir de l’ensemble des énergies renouvelables. Pour atteindre cet objectif, la directive européenne dit qu’en 2005, chaque pays de l’Union devra justifier de la capacité de produire 2% des énergies du transport par le renouvelable. Il n’y en a pas d’autre que les biocarburants. En 2010, nous devrons atteindre 5,75%. Nous sommes actuellement à 1,2% ! Nous sommes donc en retard. Fort heureusement, nos avions fait mentionner dans cette directive communautaire qu’à partir de la première semaine de janvier 2006, l’UE se réservait le droit de questionner chaque Etat membre sur l’avancement de ses projets. La France, comme quinze autres Etats, a été sommée de rattraper son retard. Face à la montée du prix du baril, le gouvernement actuel a décidé d’aller plus loin que cette directive communautaire et d’atteindre 10% en 2015. Il faut le temps de construire des usines (dont chacune coûte entre 100 et 200 millions d’euros), environ huit mois auxquels s’ajoute toute l’instruction administrative qui précède pour l’acceptation du dossier. Aux Etats-Unis, lorsqu’un modèle d’usine est accepté, il n’est plus remis en cause et on construit une usine tous les mois.

Question de Jean-Pierre Chevènement :
Mais cela est-il rentable et dans quelles proportions ?

Pierre Cuypers
Il fallait aussi une directive fiscale pour faire passer cette directive de promotion. Or la fiscalité, au niveau européen, suit la règle de l’unanimité. Nous avons obtenu une directive qui permet d’adapter la fiscalité. La TIPP qu’on appelle la TIC (taxe intérieure sur la consommation) est la participation de pétrole au budget de la nation. Quand nous produisons des graines, avec l’amont et l’aval de la production et tous les services qui interviennent, nous payons déjà une fiscalité territoriale (la taxe foncière) et nous payons sur les produits et les salaires liés à la production végétale. Nous pouvons donc ne pas être soumis aux mêmes taxes que le pétrole. Or la fiscalité que nous subissons aujourd’hui pour développer les biocarburants est celle du produit qui nous accueille : l’éthanol subit la fiscalité de l’essence et les deux diesters celle du gasoil. Pour trouver une parité financière et concurrentielle, nous avons donc obtenu une exonération partielle de la TIPP qui permet de corriger et de faire en sorte que le produit ne soit pas vendu plus cher à la pompe que le gasoil ou l’essence.
Nous demandons actuellement aux pouvoirs publics de mettre en place une fiscalité écologiquement adaptée aux biocarburants qui permette d’éviter de revenir chaque année devant une loi de finances. En effet la construction d’une usine suppose pour les partenaires financiers et industriels une durée d’amortissement pendant laquelle ils doivent trouver une certaine visibilité.
Cela coûte-t-il plus cher ?
Une étude réalisée en 2002 au plan national et européen (demandée par l’ADEM et le DIREM) répond à cette question.
Alors que l’essence et le gasoil ne restituent qu’une partie du pétrole brut raffiné, la production du bioéthanol produit deux fois plus d’énergie qu’elle n’en consomme, c’est trois fois plus pour le diester.
Pour produire mille tonnes de bioéthanol, on crée sept emplois, neuf pour le diester. Notre objectif français est d’aller vers la création de 45000 emplois pour 2015 ; nous en avons déjà créé 28 000.
Le diester et l’éthanol rejettent beaucoup moins de CO2 dans l’atmosphère que le gasoil et l’essence
J’ai lu dans différents journaux qu’en développant les biocarburants, le monde agricole risquait d’affamer la planète. Soyez rassurés. Aujourd’hui, si on réalise l’objectif des 10% de biocarburant à base de céréales, ça ne prélèvera que 5% de la production de céréales en France.
Dans le cadre de l’OMC, un accord réduit la production de sucre en France de 15% à 25%. Une sucrerie qui ne tournait que 62 ou 64 jours l’année dernière disparaîtra si on réduit son temps de travail de 20%, avec les emplois et l’activité économique qu’elle génère. Il faut donc adjoindre à ces usines une distillation destinée à fabriquer de l’alcool de betterave. Nous sommes aussi capables de mobiliser des surfaces pour la production d’oléagineux, ce qui nous rendra, je l’espère, très compétitifs.

S'inscire à notre lettre d'informations

Recevez nos invitations aux colloques et nos publications.

Veuillez saisir une adresse email valide.
Veuillez vérifier le champ obligatoire.
Quelque chose a mal tourné. Veuillez vérifier vos entrées et réessayez.