Débat final

Interventions prononcées lors du colloque L’avenir de la politique agricole commune du 26 juin 2006

Jacques Simon
Un champ reçoit une certaine quantité d’énergie solaire par an. On peut produire une certaine quantité d’énergie par la combustion de ce que produit ce champ. Quel est le rapport entre les deux chiffres ?

Guy Paillotin
En France, nous recevons 1250 tonnes équivalent pétrole d’énergie solaire par hectare. Je rappelle que nous consommons 4,4 tonnes d’équivalent pétrole d’énergie, tout compris. Lorsqu’on arrive à des rendements de blé honnêtes, nous produisons 2,5 tonnes équivalent pétrole par hectare. Cette production est doublée avec la canne à sucre produite dans les pays tropicaux. Ainsi pour les plantes le rendement de conversion de l’énergie solaire est de l’ordre de 2,5‰, pour les forêts, en l’état actuel des choses, plutôt 1‰. Les chiffres que je vous donne tiennent compte des nuits et des hivers alors que les photopiles indiquent le rendement en période d’éclairage.

Jean-Paul Roche
Quelle est la part de races ou d’espèces qui, sans être les plus productives, pourraient, en cas de nécessité, relancer la production ? Par exemple, si les espèces bovines laitières les plus productives étaient décimées par une maladie, existe-t-il un cheptel capable de prendre le relais. Qu’en est-il aussi pour les espèces végétales ?

Pierre Cuypers
Il faut effectivement être attentif à l’épuisement des ressources. Ceci vaut pour le lait et pour le reste.
J’ai vu la création de nouvelles races. Par des croisements, en Martinique on élève des animaux résistants, producteurs en viande et en lait. Aujourd’hui, la nature peut être un peu aidée, ce qui permet d’apporter des solutions dans certains pays qui n’en avaient pas.

Guy Paillotin
Certes, il faut rester attentif à la biodiversité mais il y a plus d’espèces que l’on ne pense. Une visite au salon de l’agriculture vous en convaincra.

Christian Teyssandier
Ma première question concerne le commerce international : certains proposent de sortir l’agriculture de l’OMC et de la faire réguler par la FAO.
Deuxième question : il existe une demande forte dans nos campagnes pour utiliser directement les huiles de colza ou de tournesol dans les moteurs de tracteurs. Il est vrai que les moteurs actuels, trop sophistiqués, posent des problèmes techniques mais il semblerait que des bricoleurs les résolvent. Cette utilisation directe des huiles par les exploitants constituerait un avantage en trésorerie et une sécurisation presque absolue.
Qu’en pensez-vous ?

Gwenaël Dore
Je viens du Morbihan, un département qui a beaucoup changé sous l’effet de la PAC.
Des études ont-elles été menées pour savoir si le DPU (droit à paiement unique) risque de favoriser la concentration ? Les rachats de DPU sont-ils possibles ?
Une autre question s’adresse plutôt à Monsieur King. Vous avez dit que le fonds de développement rural ne servirait pas aux agriculteurs. Je pense que les choses sont un peu plus nuancées. Il me semble que ce fonds de développement rural peut permettre d’aller vers un autre type d’agriculture plus respectueuse et une meilleure intégration de l’agriculture dans des préoccupations territoriales. Il peut aussi favoriser un dialogue entre les collectivités territoriales et les agriculteurs. Il se passe beaucoup de choses sur le territoire français aujourd’hui : les AOC, la pluriactivité… Je pense qu’il y a là des voies ouvertes.

Annette Léger
A la question sur la rentabilité des biocarburants, Monsieur Cuypers a donné des éléments de réponses intéressants d’un point de vue économique – notamment sur l’emploi – mais n’a pas répondu sur le fond. Il est peut-être difficile aujourd’hui de faire des comparaisons avec le pétrole. J’aimerais avoir quelques explications, sans entrer dans un débat trop technique.
Je sais que certains départements ont beaucoup travaillé sur ces questions (je pense notamment à l’Indre). Je voudrais savoir où ils en sont de leur production et de son utilisation.

Michel Sorin
Il faut trouver de nouvelles solutions, notamment au niveau des aides. Je propose de distinguer la fonction productive agricole puisqu’il s’agit de rémunérer les ventes par les produits – il faut revenir au marché – et la fonction socio-territoriale qui doit être financée sur fonds publics européens ou autres.
Je propose par ailleurs de revenir pour l’essentiel aux principes fondateurs de la PAC, en les aménageant, notamment en fixant des prix seuils qui permettent de se protéger mieux qu’on ne le fait actuellement contre les importations, en supprimant pratiquement les aides aux exportations et en essayant de faire respecter la souveraineté alimentaire au niveau mondial (les idées deM. Pisani, à cet égard, me semblent bonnes), c’est-à-dire de permettre aux différents pays ou ensembles dans différentes zones de nourrir leur population. Cette démarche est à l’opposé du libéralisme.
Est-ce un rêve ? Faut-il sortir l’agriculture de l’OMC ? Sans doute pas totalement mais il faut trouver une démarche qui permette de valoriser l’agriculture alimentaire non seulement dans nos pays mais partout dans le monde. Si on doit modifier le système, il faut le repenser en profondeur. Il faut trouver le lien entre cette perspective et ce qu’on appelle encore la PAC qu’il faut repenser totalement pour 2013, en adaptant les principes de l’origine à la situation actuelle. Les choses ont beaucoup évolué depuis 1962, ce n’est plus l’Europe des six !
La protection ne peut plus être conçue au niveau français mais au niveau européen. J’invite ceux qui auraient des idées à y travailler. On ne peut pas en rester à ce libéralisme qui condamne l’agriculture. C’est actuellement l’OMC qui dicte les réformes de la PAC, le politique doit donc repenser une politique agricole commune.

Jean-Pierre Chevènement
C’est ce qu’on essaye de faire mais c’est difficile. Guy Paillotin va te répondre.

Guy Paillotin
Lucien Bourgeois l’a dit : les produits que nous écoulons sur le marché mondial ne représentent que 7% ou 8%. C’est donc le marché européen qui nous intéresse. La politique européenne n’est pas loin de faire cette distinction entre la rémunération par le produit et les autres revenus. Il est vrai qu’on pourrait penser une rémunération différente des DPU tels qu’ils sont. On les a voulus découplés. C’est là que réside l’immense difficulté car la question de l’environnement est, par essence, couplée à la production et on a poussé le libéralisme théorique, idéologique, un peu loin. Je ne comprends pas pourquoi on n’a pas creusé la réflexion sur des aides environnementales ciblées impliquant probablement une régionalisation plus forte. Nous aurions pu négocier un peu plus : L’OMC autorise des programmes environnementaux à condition qu’ils soient dédiés. Ce qui choque, c’est que ces DPU sont déconnectés de tout ou presque car ils sont liés à des obligations environnementales. Selon les pays, il y a des programmes plus ou moins découplés, en Allemagne notamment, certaines politiques régionales sont un peu plus ciblées.

Lucien Bourgeois
Ce qui est critiquable dans la politique actuelle c’est que tout passe par le budget. Nous avons une politique agricole que je qualifie d’assurancielle, une conception à l’américaine où tout a un prix, y compris la vie humaine, parce qu’on est assez riche pour « réparer ». Toute la politique agricole est basée sur le fait que l’Europe peut se permettre de réparer les dégâts. Nous avons atteint les limites de ce système et il va falloir réfléchir à quelque chose de plus construit, de moins dispendieux en termes de budget et de plus orienté sur le produit. On peut découpler, s’amuser à financer séparément les petits oiseaux, les paysages… J’ai l’impression que ce sera très coûteux. Il faut au contraire « recoupler » sur l’alimentaire et, en termes de multifonctionnalité, sur ce qui peut, dans l’alimentaire, servir à la santé. On inventerait une politique plus astucieuse : il est grave de voir que l’Europe n’a rien de plus pressé que de baisser le prix du sucre à la consommation alors que chacun s’entend à dire que notre alimentation est trop sucrée !
On a l’impression d’un pays ultra riche qui s’offre une fantaisie peu adaptée à la situation. J’écoute volontiers les suggestions faites mais il me semble qu’il faut orienter la réflexion vers quelque chose de moins dispendieux, plus orienté sur l’avenir. Je trouve choquant que la plupart des agrandissements, en France ou en Europe, soient réalisés avec l’argent de l’Union européenne. Que compense-t-on dans un hectare nouvellement acheté et mis en culture ? Il n’y a absolument pas besoin d’aide pour ces nouveaux hectares ! On arrive à des situations aberrantes : si on subventionne un hectare de tel produit pour lui permettre de résister, ce n’est pas en lui consacrant cent hectares qu’il sera plus compétitif. Ce n’est pas à la politique agricole d’encourager la spéculation foncière.
Nous avons de la marge de manoeuvre, nous pouvons utiliser l’argent plus intelligemment.

Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur Bourgeois. Une question sur le développement rural s’adressait à Monsieur King.

David King
Sortir l’agriculture de l’OMC ? A la FIPA, nous en avons beaucoup parlé avec nos organisations membres. Le consensus est qu’il faut des règles pour gérer le commerce international et ne pas retourner à la loi de la jungle qui a précédé l’inclusion de l’agriculture dans l’OMC. C’étaient les plus forts (l’Union européenne et les Etats-Unis) qui imposaient leur loi aux pays plus faibles. Les Européens s’en sortiraient peut-être mieux si l’agriculture n’était pas à l’OMC parce qu’ils peuvent s’imposer sur le marché mais, à la FIPA, nous préférons avoir des règles du jeu : toute société civilisée a ses règles, pourquoi n’y en aurait il pas également pour gérer les marchés internationaux ? Le problème réside dans la qualité des règles établies par l’OMC et dans lesquelles il y a beaucoup de choses à revoir.
Ceci ressortirait-il de la compétence de la FAO ? La FAO, au sein des Nations Unies, est un organe chargé de donner des conseils politiques et de fournir une assistance technique en vue de l’éradication de la faim dans le monde. Le constat est qu’il y a incompatibilité entre la mission de la FAO et la négociation de règles pour le commerce international.
La souveraineté alimentaire est un sujet intéressant. José Bové et moi-même avons fait – chose surprenante – une analyse identique de la situation ; cependant notre divergence se situe au niveau des solutions que nous préconisons. Certains semblent penser que la solution au problème des revenus agricoles résiderait dans la protection de nos frontières afin que les Français consomment les produits français et les Américains les produits américains. A mon avis, cette notion de souveraineté introduit une grande confusion et amène un certain nombre de questions à savoir :
· Signifie-t-elle que chaque individu n’a plus le droit de s’alimenter comme il en a envie ?
· Cela signifie-t-il que l’on devrait protéger les frontières pour que les Français ne boivent que du vin français et les Américains que du vin de la Californie ? Les Californiens n’ont-ils donc pas le droit de boire du vin français ?
· S’agit-il de protectionnisme ou l’exercice d’un droit fondamental?
En tous cas cela n’est vraiment pas très clair, ni pour moi, ni pour les gens qui participent aux discussions de la FIPA. Il serait donc nécessaire de remettre cette question à l’ordre du jour.
A propos de « l’approche de développement basée sur les droits de l’homme » remplaçant l’approche basée sur le marché : un citoyen devrait-il avoir parmi ses droits, celui du droit être alimenté ? Par extension, cela signifierait-il que s’il a faim, il est en droit de traîner son gouvernement devant les tribunaux pour non respect de son droit ? Il faut être clair et concret.

Quant à la politique du développement rural de l’Union Européenne, il y a effectivement trois axes :
· augmenter la compétitivité de l’agriculture et de la forêt,
· préserver les paysages, l’environnement et les conditions de vie des animaux,
· améliorer la qualité de la vie par la diversification de l’économie rurale dans les activités non agricoles : soutien à la création de micro-entreprises, encouragement au tourisme vert, renouveau des villages.

C’est ce troisième axe que j’ai évoqué en disant que pour la Commission l’une des solutions pour l’agriculture est de maintenir des gens à la campagne en faisant autre chose que de l’agriculture. Je ne suis pas très convaincu que ce soit une bonne utilisation du budget agricole.

Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur King. Avant de donner la parole à Monsieur Cuypers, je voudrais lui dire que je ne suis pas convaincu par les 20% de production de biomasse dans le bilan énergétique, cet objectif ne me semble pas réaliste. La Commission européenne avait fixé l’objectif de 20% d’énergies renouvelables, c’est-à-dire à la fois l’hydraulique, le solaire, l’éolien et la biomasse.
Mais je me trompe peut-être. Je n’en dis pas plus et lui donne la parole.

Pierre Cuypers
Je ne dis pas qu’il s’agit d’une orientation prise à Bruxelles pas plus que par les pouvoirs publics, je dis que la France a la capacité de satisfaire 20% de ses besoins en énergie pour les transports par la biomasse. Ce serait du même coup réduire la facture pétrolière, améliorer l’environnement, favoriser la création d’emplois et maintenir une activité dans la ruralité, ce qui n’est pas négligeable. Je dis que c’est un objectif que nous pourrions atteindre mais nous allons déjà commencer par 10% de l’énergie liquide disponible en matière de transports.
Pour répondre à la question sur le coût des biocarburants : Au démarrage d’une industrie nouvelle, plusieurs étapes sont nécessaires avant d’atteindre une taille de compétitivité. Il est vrai aussi qu’aujourd’hui le coût de l’énergie est tel que des productions qui n’avaient pas de valeur ajoutée possible sont maintenant en capacité d’être exploitées. La taille de l’usine est importante, nous sommes en train d’y travailler. Les projets ne peuvent être que des projets collectifs. La technicité ne permet pas de bricoler dans le coin d’une ferme. Je rejoins la question sur les huiles végétales pour les tracteurs : Aucun constructeur automobile ne veut donner sa garantie sur ce type d’huile. Tout le monde peut l’utiliser, à condition de respecter la fiscalité : depuis la loi de finances, les producteurs d’oléagineux peuvent fabriquer et utiliser leur propre carburant et à partir du 1er janvier, il pourra en vendre à un autre agriculteur qui ne produit pas d’oléagineux mais à personne d’autre. D’autre part, dans un moteur, toutes les molécules sont brûlées. Or l’intérêt des biocarburants est aussi de développer des molécules comparables à celles qui, à partir du pétrole, ont permis de fabriquer des matières plastiques. C’est la biomasse qui prendra le relais du pétrole dans ce domaine aussi : plastiques biodégradables, lubrifiants, solvants, toute la pharmacologie…
Enfin, un moteur qui consomme de l’huile n’a pas d’effet positif pour l’environnement, en revanche, le biocarburant permet de réduire de 75% les émissions de gaz à effet de serre.
En ce qui concerne le problème des aides et des prix de vente, je pense comme vous qu’il faut revoir le système. Cela nécessite aussi une adaptation du milieu. Dans une baguette de pain de 80 centimes, il y a pour 3 centimes de blé. Si demain l’agriculteur se voyait payer 6 ou 7 centimes le blé qui entre dans la baguette, il n’aurait plus besoin de soutien. Je ne suis pas sûr que le consommateur paierait sa baguette plus cher. C’est un problème d’Etat.

André Thevenot
Une question a été posée sur les DPU et leur effet sur la concentration. Les DPU étaient les soutiens donnés sur une exploitation qui ont été divisés ensuite par le nombre d’hectares. Il n’est donc pas possible de concentrer parce que pour activer un DPU, il faut un hectare qui n’a pas de droit à paiement.

Jean-Pierre Chevènement
Merci pour cette explication qui nous éclaircit les idées. Merci à tous les intervenants pour leurs exposés très enrichissants.

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