Interventions prononcées lors du colloque du 24 avril 2006 Finances publiques et pérennité de l’Etat
Merci, Monsieur Gréau, pour cet exposé aussi brillant qu’hétérodoxe.
En tant qu’ancien responsable de la gendarmerie et de la police nationale, je ne sais pas si, à mon tour, je ne vais pas émettre quelques réserves sur cette incitation à franchir la ligne jaune…
En réalité, votre exposé était implacable par sa démonstration. Nous sommes dans une situation de réelle déresponsabilisation, non seulement sur le plan fiscal, comme l’a très bien montré Monsieur Jean-Pierre Cossin, mais également sur le plan de ces fameuses « quatre libertés » qui nous lient les mains en matière de commerce extérieur et de politique économique et nous empêchent de réagir. Je pense que la collectivité publique a rarement été à ce point désarmée.
Je voudrais cependant nuancer le pessimisme général qui s’est exprimé, pessimisme corrigé par le volontarisme à très long terme des partisans de la LOLF, parmi lesquels je me range, d’ailleurs.
On peut espérer que la LOLF permettra d’y voir un peu plus clair mais ne nous faisons pas trop d’illusions sur les résultats d’une réforme qui serait inspirée par le souci de la performance managériale. Vous l’avez dit très bien, Monsieur Bouvier, c’est la transparence démocratique qui est visée, ce sont les choix politiques eux-mêmes qui seront peut-être plus faciles à faire. Seront-ils bons pour autant ? C’est à voir…
J’entends un certain nombre de voix qui s’expriment, à droite ou à gauche, chez Monsieur Sarkozy ou chez Monsieur Fabius, pour prôner des économies sur la dissuasion. Je tiens à dire tout de suite que telle n’est pas ma position. Je pense que le monde dans lequel nous sommes est dangereux, qu’il est bon d’adapter notre dissuasion, de continuer à la moderniser en pensant aux menaces futures auxquelles nous devrions peut-être faire face.
Tout ce que vous avez déclaré, Monsieur Gréau, sur la recherche, sur l’enseignement supérieur, suscite également mon approbation, comme ce que vous avez dit à propos de la natalité.
Il faut dire que j’ai toujours été un « ministre dépensier », comme on dit, je n’ai donc pas eu la responsabilité d’avoir à serrer la vis.
D’autres dont c’était la tâche l’ont fait dans des conditions sur lesquelles on peut aujourd’hui s’interroger. Je prendrai pour exemple la politique monétaire qui a été menée pendant près de vingt ans, une politique de monnaie forte et de taux d’intérêts relativement élevés. De 1981 (à plus forte raison à partir de 1983, moment où nous avons fait un choix de politique monétaire qui nous enfermait dans ce système) à 1998, nous avons dû faire face à des taux d’intérêts extrêmement élevés, ce qui n’a d’ailleurs pas empêché la dette d’augmenter.
Je veux nuancer le pessimisme qui s’est exprimé citant le proverbe : « Quand je me vois, je me désole, quand je me compare, je me console ». Vous avez cité l’Allemagne, l’Italie, les Etats-Unis dont l’endettement est comparable au nôtre…
Jean-Luc Gréau
… 60%, avec une dette des ménages deux fois et demie supérieure à celle des ménages français
Jean-Pierre Chevènement
Précisément, ne faudrait-il pas prendre en compte non seulement la dette publique, mais aussi la dette des entreprises et celle des ménages ?
Jean-Luc Gréau
Evidemment, c’est ce que les économistes ne font pas !
Jean-Pierre Chevènement
On verrait alors que la France n’est pas en si mauvaise situation : la dette des entreprises n’est pas considérable, les entreprises se sont beaucoup désendettées et les ménages sont moins endettés en France qu’ailleurs…
Jean-Luc Gréau
… Et on s’apercevrait que ce sont les pays anglo-saxons et l’Espagne qui sont le plus mal situés, c’est-à-dire les pays qui connaissent une belle croissance…
Jean-Pierre Chevènement
… L’Espagne qui, par ailleurs, a un endettement moindre. Mais cette situation peut évoluer négativement au fur et à mesure que les fonds de cohésion européens iront se raréfiant.
La question que je me pose est un peu provocante :
Un pays, une nation souveraine, a conservé la responsabilité de ses affaires, ce sont les Etats-Unis. Or les Etats-Unis sont très endettés, tant sur le plan de leur endettement public (60%) que de l’endettement de leurs ménages. Les Etats-Unis ne vont-ils pas choisir l’inflation ? C’est une autre voie hétérodoxe, une autre « ligne blanche » – si vous le permettez, car les choses ont changé [« je sais que je suis archaïque » riposte Monsieur Gréau] – que je franchis :
N’irons-nous pas vers une inflation importée des Etats-Unis ? En effet, si les Etats-Unis connaissaient l’inflation, l’Europe (donc l’euro) pourrait-elle rester en dehors ?
C’est une question qu’on peut se poser.
Vous avez évoqué Monsieur Barroso tout à l’heure. Nos responsables (pas très responsables d’ailleurs) ont partout laissé cette situation se créer au fil des ans. Comme vous l’avez dit, ce n’est pas un problème franco-français car il s’observe partout dans le temps et dans l’espace depuis près de trente ans. Nos responsables n’ont-ils pas adopté la devise de Louis XV : « Après moi le déluge ! » ? Ils sont en présence d’une situation qu’ils ne contrôlent pas, qu’ils ne peuvent pas contrôler. Le Premier ministre évoque un plan de désendettement courageux, à cinq ans… ce qui évite d’être courageux dans l’immédiat !
Il me semble qu’on va forcément vers des solutions relativement hétérodoxes qu’on n’ose pas évoquer de peur de troubler le consensus. Mais cette situation ne peut pas se prolonger indéfiniment sauf à atteindre des niveaux d’endettement réellement insupportables : 100% du PIB dépassés par l’Italie, le Japon (150%), c’est absolument colossal !
Alors, on ne peut pas être contre la culture nouvelle de gestion des finances publiques, elle est souhaitable.
Mais prenons-nous véritablement en considération les déséquilibres majeurs qui affectent l’économie mondiale ? Je veux parler du déficit du dollar, avec les risques qu’il fait peser sur le système financier international, d’une mondialisation qui aboutit à l’érosion de notre base productive et à un accroissement de nos charges sociales qui sera très difficile à soutenir dans la durée.
Un chiffre m’a frappé. Vous avez dit que, dans le déficit public, les finances sociales interviennent pour moitié, le reste se répartissant entre l’Etat et les collectivités locales. On voit bien que des économies devraient être faites sur ce poste.
Jean-Luc Gréau
Puis-je apporter une précision ?
En réalité, le déficit social essentiel est le fait de l’assurance chômage et de la maladie. Les autres régimes sont en équilibre. Ces deux points négatifs ne représentent tout de même pas l’équivalent du déficit public. En revanche, il est vrai que le budget social de la nation a depuis longtemps largement dépassé le budget de l’Etat. Mais si les deux points noirs de la protection sociale, le chômage et la maladie, nous mettent en mauvaise situation, cette situation est très loin d’être aussi grave que celle de l’Etat proprement dit.
Jean-Pierre Chevènement
C’est vrai, mais je me permets d’observer que le poids croissant des retraites va nous ramener à la situation initiale. Que va-t-il falloir augmenter ? Les cotisations ? La CSG ? Tout cela va se globaliser et, en dynamique, c’est le poste des dépenses sociales qui, me semble-t-il, pèse le plus lourd. Cela nous amène à nous interroger sur la politique du médicament, le ticket modérateur et son champ d’application. Ce sont des sujets extrêmement difficiles que nous n’avons pas encore véritablement explorés. Mais nous ne pouvons pas éviter de nous poser ces questions.
Plusieurs pistes sont dessinées, je crois que nous sommes au cœur de très grandes questions assez mal vues, y compris d’ailleurs par des dirigeants qui se laissent souvent ballotter par des courants contradictoires :
Tantôt ils sont saisis de frayeurs excessives, d’où le rapport Pébereau et ses préconisations qui, à mon sens, ne sont pas réalistes, car trop dures : on ne peut pas réduire de six points l’endettement de la France en cinq ans sans aggraver la récession.
A d’autres moments, on parle de « cagnotte »… On sait ce qu’il en était en 2000, tout cela a abouti à certaines réductions fiscales et n’a pas généré une attitude responsable des finances publiques vis à vis de ce problème.
Je pense que le moment est venu de donner la parole à la salle.
Claude Rochet
Ayant travaillé quatre ans à la « Réforme de l’Etat », je trouve cette expression particulièrement énervante : en effet, on ne parle pas de réforme de l’Etat mais de réforme de l’administration. La réforme de l’Etat, c’est Jean-Luc Gréau qui l’a décrite en montrant cet état de décrépitude dans lequel est tombé un Etat qui a perdu sa marge d’initiative. Donc la LOLF, une réforme de gestion qui permet de redonner du pouvoir au politique, ne pourra fonctionner que si précisément le politique reprend le pouvoir… et, de ce côté-là, c’est mal parti !
Je sais l’effort qui est fait dans les services d’André Barilari, mais on va présenter aux parlementaires, au lieu des fameux « 880 chapitres », plus de 1500 indicateurs absolument incontrôlables et non fiables. Je ne sais pas comment ils vont s’y retrouver. En fait, on présente aujourd’hui les indicateurs que l’on sait calculer et non ceux qu’il faut calculer. Donc tout cela est très bien mais ce sont des réformes qui ne fonctionnent que sur une échelle de temps de dix ans, ça ne va donc absolument pas résoudre le problème.
Il y a, par contre, des marges de manœuvre qui peuvent avoir des effets immédiats :
On a beaucoup de difficultés à aborder les gains de productivité, parce que ça fait mal et que ça touche à l’électorat des fonctionnaires mais les frais de fonctionnement de l’Etat s’élèvent à 117 milliards d’euros, 100 milliards en enlevant les subventions aux établissements publics. C’était l’hypothèse retenue par les SMR, on s’y fixait l’ambition de les réduire de 2%. On sait très bien que lorsqu’on s’attaque à des économies ridicules, ça ne marche pas.
Or on peut faire beaucoup mieux. Des gains de productivité absolument gigantesques peuvent être faits, à commencer par Bercy. Chaque fois que j’y vais, je me demande pourquoi Bercy est gardé par des douaniers… je ne crois pas qu’on trafique des quantités de schnouff dans les caves de Bercy ! Nous avons 22000 douaniers, 8000 sont sur le terrain… et c’est un peu partout pareil.
Le niveau des dépenses publiques ne se réduira pas mais il faut faire des réallocations considérables de métiers qui doivent disparaître et être réaffectés là où il y a création de valeur. C’est cette optique de création de valeur qui doit être le fil conducteur. Contrairement à ce que pensent les politiques, qui se font peur à eux-mêmes, ça mobilise les fonctionnaires qui ont envie de faire un métier intelligent et sont las d’entendre qu’ils sont trop payés, alors que les salaires sont modestes, et qu’ils sont inutiles, alors qu’ils font fonctionner la machine.
Le miracle, c’est que l’administration française « tombe en marche » en dépit de l’opacité assez extraordinaire des mécanismes de fonctionnement.
Le deuxième gain de productivité possible est la revue des missions. C’est la grande leçon du Canada qui a réussi en quatre ans à réduire un déficit budgétaire de 6% en scannant toutes ses missions par six questions simples. Est-ce que c’est du domaine de l’Etat ? Est-ce que ça peut être fait d’une autre manière, par des ONG ? De nombreuses missions, notamment notre fameuse politique de l’emploi qui coûte 1,5% du PIB, peuvent être accomplies autrement.
On peut gagner environ 20%, ce qui ramènerait les frais de gestion à 20%, ratio acceptable. Mais cela suppose de nouvelles capacités qu’on ne travaille pas assez et qui sont liées à la constitution d’actifs stratégiques qu’il faut pouvoir mesurer, ce qui suppose des investissements gigantesques dans les systèmes d’information, ce qui n’est pas fait – ou fait, jusqu’ici, de manière assez maladroite et ruineuse.
Il faut reconsidérer complètement la formation des hauts fonctionnaires pour qu’ils comprennent qu’il s’agit maintenant de faire du design, de l’architecture de grandes organisations et non plus consolider leurs logiques de territoires, ce que tout directeur d’administration centrale se doit de faire pour garder ses prérogatives et protéger ses programmes, les rendre non fongibles. Les systèmes d’information ont un autre enjeu : comme l’a dit Jean-Luc Gréau, ce n’est pas seulement la base fiscale qui s’évade, mais aussi la base technologique. 1974 n’a pas été une crise conjoncturelle, mais un changement de cycle technologique et le passage à la troisième révolution industrielle. Aucun pays ne l’a vu. Les Etats-Unis ont commencé à le voir en 1980 et, en 1990, avec Al Gore, ils ont considérablement investi dans ce domaine. Nous sous-investissons considérablement dans les technologies de l’information. On peut très bien avoir des mécanismes de couplage de la dépense publique et de l’investissement dans les technologies critiques, ce qui existe déjà aux Etats-Unis, avec le Small business Act où les achats publics sont réservés autour de 40% aux PME tandis que 2,5% de l’achat public est réservé à des entreprises innovantes. On utilise donc la dépense publique comme outil de développement. Bien sûr, c’est totalement interdit par Bruxelles au nom de la concurrence libre et non faussée.
J’adhère totalement à ce qu’a dit Jean-Luc Gréau : Si on gagne 20 milliards par des gains de productivité, une revue des missions et si on retire les 20 milliards de la MIRES (Mission interministérielle de la Recherche et de l’Enseignement supérieur), on gagne 40 milliards pour atteindre à peu près un niveau zéro de déficit [en considérant que l’enseignement supérieur est un investissement, c’est-à-dire en bouchant les filières qui ne servent à rien qu’à produire des manifestants]. Pour le reste j’adhère totalement à l’idée hétérodoxe de Jean-Luc Gréau : il faut faire un grand emprunt européen, qui inclurait naturellement la Suisse où il y a d’importantes réserves de financement pour financer de grandes infrastructures, le ferroutage, l’équipement des Alpes…
Monsieur Berthod
Je voudrais poser une question et faire une observation.
La question porte sur la structure de la dette publique envisagée du point de vue de ceux qui la détiennent :
Qui sont les créanciers ? Quel est le pourcentage de la dette détenu en France, en Europe hors de France et hors d’Europe ? Cette information, qui n’a pas été donnée dans les différentes interventions, est assez importante, on le voit en comparant avec la dette américaine.
L’observation porte sur l’inflation. Quand on s’interroge sur l’inflation, son utilité, ses avantages et ses inconvénients, on se place toujours du point de vue économique et il me semble qu’on oublie trop souvent le point de vue social. J’ai souvent entendu Jean-Claude Trichet dire que l’inflation pénalise les revenus modestes. C’est évidemment un mensonge. L’inflation pénalise les créanciers et favorise les débiteurs. Or, en général, les débiteurs sont plutôt les revenus modestes, les « pauvres », pour employer un mot politiquement incorrect. L’inflation avantage les pauvres et pénalise les riches. La politique de désinflation, de lutte contre l’inflation qu’on mène depuis vingt ans peut être qualifiée, de ce point de vue d’antisociale, même si, par ailleurs, il peut y avoir à cela des raisons économiques. Il me semble que c’est un aspect des choses qu’on oublie un peu trop souvent.
Jean-Pierre Chevènement
Merci. Je vais me tourner vers André Barilari pour savoir s’il peut répondre à la première question de Monsieur Berthod concernant la détention de la dette. Qui sont les créanciers ? Combien sont des résidents ? Combien sont des non-résidents, européens ou extracommunautaires ?
André Barilari
Je n’ai pas la réponse. J’ai en tête un chiffre de 10% ou 15% que je ne peux absolument pas vous garantir. Peut-être quelqu’un dispose-t-il d’un chiffre plus précis pour la part des non-résidents. Elle est en augmentation, elle est certainement significative. L’agence de la dette fait des conférences à l’étranger pour syndiquer des consortiums bancaires, pour placer ses valeurs. C’est donc certainement quelque chose qui se développe.
Sur les résidents, je crois qu’une grande partie de la dette est certainement détenue par les retraités, c’est une forme de placement de l’épargne, y compris de la petite épargne, de l’épargne de précaution. Ce n’est pas forcément le placement des riches qui peuvent plus placer en actions ou oser des placements risqués. La dette publique des Etats est le placement du petit rentier, au sens du petit revenu de complément, de la petite épargne de précaution.
Je nuancerai votre axiome sur le fait que l’inflation est quelque chose qui pourrait être mis en œuvre sans coût social.
Jean-Luc Gréau
Je peux ajouter un point : jusqu’à une date récente, la majorité de la dette publique française était détenue par des résidents français. Les résidents français détiennent en même temps une partie de la dette publique étrangère.
Les pays en situation difficile, comme l’Italie, la France, l’Allemagne, ont un taux d’épargne élevé, à la différence de pays comme l’Angleterre, l’Espagne, les Etats-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande où le taux d’épargne est très bas puisque le flux de dette est toujours supérieur au flux de placement.
Sachez une chose très importante pour comprendre la réserve qui existe au sein de nos vieilles nations industrielles. Quand l’Argentine a connu la plus grande faillite de l’histoire, avec 100 milliards de dollars de dette en 2001, une fraction considérable de sa dette était détenue par trois catégories d’épargnants : les Allemands, les Autrichiens et les Italiens. C’est ainsi que l’Argentine a pu restructurer sa dette. Les Anglais et les Américains ne voulaient pas la restructuration autoritaire de la dette argentine. Cela veut dire qu’il y a des réserves d’épargne de ce côté-là. Le problème n’est pas tant la question de savoir si nous pouvons, sur notre épargne intérieure, couvrir les besoins, c’est de savoir à quoi ça sert, à quoi sert le déficit qui se renouvelle, qui se reconstitue sans arrêt.
Ce point me permet d’évoquer une question qui n’est jamais apparue dans le débat sur la dette publique : quand l’Etat résorbe sa dette, ce que souhaitent beaucoup de personnes, que fait-il ? Il dégage une épargne nette et il restitue au secteur privé une partie de ce que celui-ci lui a prêté. La question essentielle est de savoir où va aller cet argent. Cette épargne privée va-t-elle rester dans le champ de la France ou de l’Europe occidentale, là où se trouvent nos vieilles économies ? La question vaut aussi pour l’Allemagne, pour l’Italie… Ou bien cette épargne va-t-elle s’évader vers des destinations exotiques ?
Je dis la chose pour la raison suivante : le Trésor public français a effectivement été épargnant net de 1875 à 1895, il a remboursé des sommes importantes aux gens qui lui avaient prêté de l’argent. Une grande partie de ces sommes est allée vers l’Argentine et vers la Russie. Donc, une des questions adjacentes au cas où, par miracle, quelque « Bonaparte » arriverait au gouvernement pour résoudre nos problèmes financiers, c’est d’organiser le recyclage de ces sommes que l’Etat restituerait aux épargnants de façon à ce que les épargnants les remettent dans le circuit des économies européennes. C’est tout à fait essentiel.
André Barilari
On est dans le rêve !
Le débat n’est pas de résorber la dette. Au mieux pourrait-on la maintenir en valeur absolue et encore ça supposerait qu’on ait supprimé le déficit… Donc la vraie question, c’est de supprimer le déficit. Pour la dette, l’ambition réaliste est plus modeste, on la réduira optiquement en pourcentage du PIB si on la maintient en valeur absolue ou si elle croît en valeur absolue moins que le PIB.
Mais rêver à une situation dans laquelle on serait capable de faire baisser la dette en valeur absolue, ça voudrait dire que non seulement on ait supprimé notre déficit – mais encore qu’on fasse des excédents !
Jean-Luc Gréau
A 0% de déficit, vous commencez à rembourser votre dette. Le service de la dette représente 2,6% du PIB. Vous le faites modérément mais vous le faites par étapes… Et j’ai parlé de « Bonaparte », et non des candidats à la présidence de la République de 2007 !
Dominique Garabiol
J’ai beaucoup admiré le talent de Monsieur Barilari et de Monsieur Bouvier pour expliquer comment ils comptaient piloter un avion qui, aux dires de Monsieur Cossin, était en phase de dépressurisation… C’est exceptionnel.
Ceci dit, j’ai des considérations un peu plus profondes sur les équilibres financiers. Il y a trois acteurs qui s’endettent et qui prêtent : l’Etat, les ménages et les entreprises. Comme l’a dit Monsieur Barilari, la dette est perpétuelle et le seul choix est : Qui porte la dette ?
Ce sont ces équilibres qui expliquent ce qu’on a constaté sur les marchés financiers et le fait que ni la France, ni l’Allemagne, ni les pays analogues n’ont été pénalisés par des primes requises par des investisseurs parce que ces pays sont sains. M. Pébereau a parlé de 2 milliards de dette avec une extension sociale mais les avoirs des Français dans les OPCVM correspondent à 2 milliards aussi. Il y a une équivalence absolue. Le problème n’est pas la capacité financière, c’est un problème social, un problème de redistribution entre des débiteurs et des créanciers et c’est évidemment un choix éminemment politique.
Alors, dans ce cadre, je crois que la Banque centrale européenne a une politique. Je ne sais pas si elle est réellement pensée. Mais on assiste quand même, si on considère les équilibres financiers globaux à l’échelle des pays, à des antagonismes très forts entre pays débiteurs et pays créanciers. On est en train de sortir d’un monde unipolaire pour aller vers un monde bipolaire avec, en particulier, une opposition entre la Chine et les Etats-Unis. La question de l’inflation sera cruciale et décidera du dénouement de cet affrontement. Il me semble que la Banque centrale européenne reste délicatement neutre, elle participe au démantèlement d’Etats par des demandes d’allégements d’impôts alliés aux critères de Maastricht qui limitent de fait les dépenses, comme on l’a esquissé tout à l’heure. Mais elle veille aussi à l’équilibre financier externe, ce qui mettrait l’Europe dans une situation neutre en cas d’explosion entre la Chine et les Etats-Unis.
Jean-Pierre Chevènement
Monsieur Garabiol, pourriez-vous développer le point auquel vous avez fait allusion pour finir, à savoir la neutralité de la politique de la Banque centrale européenne sur le plan des finances extérieures ? Voulez-vous dire, comme je crois le comprendre, que la zone euro s’équilibre ?
Dominique Garabiol
C’est exactement ça. Vous avez dit tout à l’heure que les responsables n’étaient pas responsables. Je n’y crois pas. La politique de l’Union européenne est constante, voulue, raisonnée depuis au moins 1979 (à l’époque de Madame Thatcher). La concurrence fiscale a été discutée très fréquemment et la réponse a toujours été qu’elle était souhaitée politiquement. Si on ajoute la concurrence fiscale au critère de déficit de Maastricht et à ses impacts sur les capacités de dépenses, cela explique très bien que dans le cadre de la mondialisation les politiques se sont neutralisés et ont de fait transféré une part de la souveraineté publique aux grandes entreprises, ce qu’on voit tous les jours. La Banque centrale européenne me paraît jouer à fond ce jeu-là mais être beaucoup plus prudente sur le jeu des équilibres financiers globaux entre les grandes régions mondiales. Le fait que la zone euro soit légèrement excédentaire est quelque chose qui est très important en cas de résurgence d’une guerre d’inflation comme on en a parlé tout à l’heure. Cela signifie que l’euro garde une marge de liberté par rapport au dollar. Cette liberté fait, d’ailleurs partie des critiques actuelles puisqu’elle explique, au moins en partie, la surévaluation de la devise européenne.
Martin Frenet
N’étant pas financier, je voulais poser deux questions concrètes :
Une question sur la vignette auto que Monsieur Fabius – me semble-t-il – a supprimée, ce qui a déséquilibré les finances régionales. Jusqu’à maintenant les collectivités régionales ont beaucoup de mal à rééquilibrer leur budget.
On parle aussi de fiscalité écologique à propos des automobiles, c’est-à-dire que la vignette auto aurait pu être modulée suivant la pollution émise par les véhicules. N’est-ce pas une erreur que d’avoir supprimé cette vignette ?
Je voudrais aussi parler des privatisations qui ont pour effet de priver l’Etat d’un revenu régulier : on a gagné une fois mais on a perdu sur le long terme.
Sur ces deux aspects, je voudrais savoir si on n’a pas tué la poule aux œufs d’or.
Jean-Pierre Cossin
La question concernant la vignette auto est intéressante car il s’agit selon mon raisonnement d’une base fiscale non « délocalisable ». Aussi il n’apparaît pas que le meilleur choix lorsque l’on a des problèmes de finances publiques soit de supprimer un impôt qui est assis sur base « bien localisée » et peu susceptible de quitter le territoire national, notamment lorsque les véhicules appartiennent à des personnes privées. On peut donc dire que ce n’était pas une décision d’une grande « opportunité fiscale ». Mais il faut tenir compte aussi du fait que la vignette a été supprimée pour des raisons de simplification administrative… mais là encore il s’agit d’une simplification coûteuse.
La deuxième question concernait l’éventualité de mettre en place une vignette « écologique ». Si l’on avait gardé la vignette auto, on aurait pu évidemment modifier les règles de détermination des taux pour retenir des taux qui auraient été fonction de la pollution émise par les véhicules. Une telle solution a été retenue cette année pour une autre imposition : la taxe sur les véhicules de société. Celle-ci est aujourd’hui déterminée en fonction du taux d’émission de CO2, avec un résultat relativement modéré puisque les entreprises qui supportent cette taxe nouvelle protestent devant le Ministère des Finances pour en obtenir une forte réduction, de la moitié ou des trois quarts, ce qu’elles vont obtenir d’ailleurs.
Sur les privatisations, je ne dirai rien. Du point de vue technique et financier obtenir immédiatement un capital ou percevoir dans le temps des revenus du capital sous forme de dividendes est une question qui se pose toujours et pour laquelle des calculs devraient être faits qui donneraient des résultats aléatoires.
Jean-Pierre Chevènement
On ne va pas demander l’avis de chacun sur les privatisations.
La réponse peut être de principe ou nuancée. Disons que tout dépend de quelles privatisations on parle. Certaines rapportent, d’autres pas. On peut se placer de points de vue très différents. Il y a, me semble-t-il, l’intérêt stratégique de conserver dans le secteur public telle ou telle entreprise. Prenons le cas d’EDF ou d’AREVA.
Mais c’est un sujet étranger à la thématique de notre colloque.
Je vous remercie d’être venus nombreux. Je me tourne surtout vers les intervenants pour leur dire combien leur contribution a été précieuse pour notre réflexion collective.
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