La relation avec l’Europe, vecteur de modernisation

Intervention prononcée lors du colloque du 21 février 2006 Turquie-Maghreb : les conditions du décollage économique

L’attirance de la Turquie vers l’Europe est ancienne. C’est déjà vers l’Ouest que se déployaient l’essentiel des initiatives nouvelles de l’empire ottoman, qui avait su fixer dès le XVe siècle la frontière Iran – Turquie.

Mustapha Kemal, en proclamant la République turque le 29 octobre 1923, en abolissant le califat, va porter très haut les vœux de rapprochement avec l’Europe : démocratie, laïcité, parlement monocaméral, modèle français d’organisation administrative, droit public…. C’est dès 1934 que le droit des femmes est adopté. Le tropisme vers l’Ouest s’est trouvé confirmé aux lendemains de la seconde guerre mondiale. En attestent aussi bien l’adhésion en août 1949 au Conseil de l’Europe, que l’adhésion à l’OTAN, en 1951, ou l’adhésion à l’OECE devenue ensuite OCDE.

Le lien entre le décollage économique et les rapports étroits avec l’Europe est également ancien.

Les traités de Rome entrent en vigueur le 1er janvier 1958. Dès le 31 juillet 1959, la Turquie présente sa demande d’association à la Communauté économique européenne, alors appelée Marché commun. Elle suit en cela la Grèce, qui avait présenté sa demande le 8 juin 1959. L’accord d’association avec la Grèce est entré un vigueur le 1er novembre 1962, celui avec la Turquie le 1er décembre 1954. On se souvient aussi des propos amicaux tenus par le général de Gaulle en 1967, invoquant « l’intérêt de nos deux Républiques ».

En définitive, l’accord d’association entre la Turquie et la Communauté économique européenne, surnommé accord d’Ankara inclut, comme celui avec la Grèce, et contrairement à ceux conclus avec le Maroc et la Tunisie en 1969, la perspective d’une adhésion. En effet le préambule de l’accord d’association « reconnaît que l’appui apporté par la CEE aux efforts du peuple turc pour améliorer son niveau de vie facilitera ultérieurement l’adhésion de la Turquie à la Communauté ». Dans le texte même de l’accord, l’article 28 précise : « Lorsque le fonctionnement de l’accord aura permis d’envisager l’acceptation intégrale de la part de la Turquie des obligations découlant du traité instituant la Communauté, les parties contractantes examineront la possibilité d’une adhésion de la Turquie à la Communauté. »

En avril 1987, la Turquie présenta sa candidature à l’adhésion à la Communauté européenne. Le Conseil européen refusa d’ouvrir des négociations d’adhésion, sur avis défavorable de la Commission rendu en décembre 1989, en raison des transformations de la Communauté européenne résultant de la mise en œuvre de l’Acte unique et de la situation politique et économique de la Turquie, en particulier, son conflit avec un Etat membre, la Grèce, et de l’occupation militaire d’une partie du territoire de la République de Chypre.

Les institutions européennes et la Turquie relancent alors le processus d’intégration économique de l’accord d’Ankara : l’union douanière, phase définitive de l’accord d’association, entre en vigueur le 31 décembre 1995. L’accord d’union douanière considère en préambule que « les objectifs fixés par l’accord d’association, et notamment par son article 28 (possibilité d’une adhésion), restent d’actualité au moment où des changements politiques et économiques importants se produisent sur la scène européenne ». La Turquie est depuis lors le seul pays ayant réalisé une union douanière avec l’Union européenne.

La reconnaissance du statut de candidat

Le Conseil européen de Luxembourg en décembre 1997 constitue un choc pour les autorités et la population turques : il décide en effet de « lancer un processus d’adhésion englobant les dix Etats candidats d’Europe centrale et orientale et Chypre », Malte ayant à cette époque retiré sa demande de candidature. Le Conseil européen « décide de convoquer au printemps 1998 des conférences intergouvernementales bilatérales pour commencer les négociations avec Chypre, la Hongrie, la Pologne, l’Estonie, la République tchèque et la Slovénie (…) Parallèlement, la préparation des négociations avec la Roumanie, la Slovaquie, la Lettonie, la Lituanie et la Bulgarie sera accélérée.

En ce qui concerne la Turquie, certes « le Conseil européen confirme l’éligibilité de la Turquie à l’Union européenne », mais il ajoute que « les conditions politiques et économiques permettant d’envisager des négociations d’adhésion ne sont pas réunies ». La Turquie considère qu’elle a fait l’objet d’un traitement discriminatoire par rapport aux autres pays candidats et envisage de retirer sa candidature. Cependant, la Commission commence à publier en novembre1998, pour chaque pays candidat dont la Turquie, un « rapport régulier sur les progrès accomplis sur la voie de l’adhésion ».

Le Conseil européen d’Helsinki, en décembre 1999, présente une avancée décisive vers la reconnaissance du statut de candidat à la Turquie, puisque « le Conseil européen réaffirme le caractère inclusif du processus d’adhésion, qui regroupe maintenant treize pays candidats dans un cadre unique ». La Turquie est donc, à partir de ce moment-là, partie intégrante du processus. Plus loin, les conclusions du Conseil européen précisent : « le Conseil européen se réjouit des éléments positifs qui ont récemment marqué l’évolution de la situation en Turquie, et que relève d’ailleurs la Commission dans son rapport sur les progrès réalisés par les pays candidats, ainsi que de l’intention de la Turquie de poursuivre ses réformes en vue de satisfaire aux critères de Copenhague. La Turquie est un pays candidat, qui a vocation à rejoindre l’Union sur la base des mêmes critères que ceux qui s’appliquent aux autres pays candidats. Dans le cadre de la stratégie européenne actuelle, la Turquie, comme les autres pays candidats, bénéficiera d’une stratégie de pré-adhésion visant à encourager et appuyer ses réformes ».

Dans ce cadre a été conclu, sous présidence française en décembre 2000, un partenariat pour l‘adhésion. Il a été révisé en 2003 et a pour objectif général d’offrir un programme cohérent dans les domaines politiques et économiques pour préparer la Turquie à l’adhésion.

Lors des Conseils européens ultérieurs, les Chefs d’Etat et de gouvernement ont régulièrement noté les « efforts consentis », ou « les mesures importantes prises » par la Turquie pour satisfaire aux critères de Copenhague. Enfin, lors du Conseil européen de Copenhague en décembre 2002, les Etats membres prennent acte de la conclusion des négociations d’adhésion avec dix Etats membres et prévoient leur adhésion effective au 1er mai 2004. Parallèlement, « l’Union encourage la Turquie à poursuivre énergiquement son processus de réforme » et lui donne « rendez-vous » : « Si, en décembre 2004, le Conseil européen décide, sur la base d’un rapport et d’une recommandation de la Commission, que la Turquie satisfait aux critères politiques de Copenhague, l’Union européenne ouvrira sans délai des négociations d’adhésion avec ce pays ».

L’ensemble de ce processus débouchera en octobre 2005 sur un feu vert sous condition, pour l’adhésion. A n’en pas douter, cette perspective fixée de longue date, a agi comme un puissant moteur pour mener à bien les transformations aussi bien économiques que politiques qui ont rendu possible le décollage économique de la Turquie.

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