par Lord David Hannay, Ancien représentant du Royaume-Uni au Conseil de Sécurité, Membre du Comité des Hautes Personnalités
Intervention prononcée lors du colloque du 6 juin 2005 L’ONU en 2005
Le Groupe de Personnalités de Haut Niveau, auquel j’appartenais, était confronté à deux questions fondamentales, au moment où il a commencé ses travaux en décembre 2003 :
· où en est-on à l’ONU après quinze ans de cette période qui porte le nom peu satisfaisant de « monde d’après la guerre froide » ;
· et, si la réponse à la première question n’est pas très positive, quelles sortes de réformes et de changements sont nécessaires et réalisables ?
Eh bien, la réponse à la première question était en effet que les résultats de cette période après la fin de la guerre froide étaient assez décevants. En dépit de succès non négligeables, et même extrêmement louables – Namibie, Cambodge (à demi), Salvador, Mozambique, Timor oriental, le renversement de l’agression de l’Irak contre le Koweit en 1990 – pour donner les principaux exemples, il y eut un nombre croissant de débâcles – Somalie, Bosnie, Angola, Rwanda, Darfour. Dans ces derniers cas, l’ONU a été un témoin impuissant des souffrances massives des populations civiles, des tueries, des génocides.
Comment peut-on expliquer ces débâcles ?
· un manque d’analyse systématique de la nature de ce monde tel qu’il existait après la fin de la guerre froide. Des changements dans les menaces auxquelles nous étions confrontés, le besoin de nouvelles politiques et de nouveaux instruments. La responsabilité de ce manquement résidait principalement dans les Etats-membres. Le Secrétaire général, dans la personne de Boutros Boutros Ghali, dont je salue la présence parmi nous ce soir, a essayé de soulever ces questions dans le document « Agenda pour la paix » qu’il avait mis sur la table en 1992. Mais les Etats-membres étaient réservés et ont décidé de mettre leur confiance dans des réactions purement ponctuelles ;
· il y avait à la fois un manque de ressources et de volonté politique quand les évènements et les opérations tournaient mal ;
· et, en troisième lieu, il y avait un manque d’accord au Conseil de Sécurité – et plus particulièrement parmi ses cinq membres permanents – sur les conditions dans lesquelles l’usage de la force pourrait être autorisé par la communauté internationale (exemples : Kosovo, Irak 2003).
Sur la base de cette analyse, notre groupe a commencé par une étude des menaces auxquelles nous étions confrontés. Une chose était claire : ces menaces avaient totalement changé depuis la fin de la guerre froide. Il n’y avait plus de rivalité équilibrée entre deux superpuissances, et plus de risque d’une conflagration nucléaire entre elles. Il n’y avait plus de guerres dans le tiers monde, qui était une zone de confrontation par personnes interposées entre les deux superpuissances, ce qu’on appelait des guerres par procuration. Toutefois, quelques conflits continuaient – Palestine, Cachemire, Corée – et alimentaient de nouvelles menaces.
Quelles étaient ces menaces ? Allait-on travailler sur la base d’une liste étroite ou d’une liste plus large ? Allait-on se limiter au terrorisme et à la prolifération des armes de destruction massive ? Ou allions-nous ajouter à ces deux menaces le problème des Etats en train de s’effondrer, les problèmes de la pauvreté, de la faim, des maladies type Sida, de la criminalité internationale et de la dégradation de l’environnement ? Nous avons trouvé une seule réponse possible. Nous avons choisi une liste plus large en raison :
· des liens étroits entre les différentes menaces ;
· du besoin de réponses collectives et globales à toutes ces menaces ;
· des différences de perception dans les différentes régions du monde sur la priorité à donner à ces différentes menaces.
De plus, il nous semblait nécessaire d’éviter l’établissement d’une hiérarchie entre les menaces. Mais, bien sûr, il fallait établir des priorités entre elles et apporter des réponses à ces défis. Il était clair qu’on avait besoin de politiques nouvelles pour faire face à ces défis ou au moins de politiques fortement aménagées. Les réactions primitives ne fonctionnaient plus. Et puis, en second lieu, il nous fallait des institutions aptes à mener ces politiques. Trop souvent dans le passé, nous semblait-il, la phrase « réforme de l’ONU » avait été interprétée comme signifiant de petits ajustements institutionnels qui ne touchaient pas les politiques mêmes. Nous avons donc commencé avec l’usage de la force militaire, non qu’elle constituait notre priorité ni notre premier choix, mais parce que cela ne pouvait pas être évité. En fait, la plupart de nos recommandations ont été dirigées vers la prévention et non pas vers l’usage de la force. Je reviendrai plus tard sur ces mesures de prévention.
En ce qui concerne l’article 51 de la Charte, qui concerne l’utilisation de la force unilatérale, nous avons choisi de ne pas changer cet article. Il y avait de fortes pressions pour le rendre plus souple, et d’autres pour le rendre plus contraignant. En fait, cet article permet une réaction individuelle, non seulement aux attaques réalisées mais aussi aux menaces imminentes. Ce qu’il ne permet pas, ce sont des actions purement préventives face aux menaces qui ne sont pas imminentes.
Pour tout autre usage de la force, nous avons suggéré des orientations basées sur les points suivants :
· la gravité de la menace ;
· la légitimité du motif ;
· le dernier ressort ;
· la proportionnalité des moyens ;
· la mise en balance des conséquences.
Ce que nous avons suggéré, ce n’était pas l’élaboration d’un texte juridique et encore moins de la loi internationale. Chaque situation devait être examinée en fonction de ses propres mérites. Mais on pouvait établir une base plus solide pour ces décisions difficiles et créer peut-être un certain effet dissuasif. De plus nous avons suggéré une responsabilité de protection, qui n’est pas du tout équivalente au droit d’ingérence, pour les cas où un Etat ne peut pas, ou ne veut pas, protéger ses propres citoyens. Dans ces cas, nous avons considéré que la responsabilité est transférée à la Communauté internationale.
Pour lutter contre le terrorisme, nous avons proposé l’établissement d’une stratégie globale ; et le Secrétaire Général est allé à la rencontre de cette suggestion dans son discours à Madrid, en mars dernier, avec cinq chapitres :
· dissuader les « marginalisés » de prendre le chemin du terrorisme ;
· priver les terroristes de leurs moyens (argent, armes, mobilité) ;
· dissuader les Etats de les aider ;
· développer les capacités des Etats à lutter contre le terrorisme ;
· défendre les droits de l’homme.
De plus, nous avons proposé la définition du terrorisme en normes internationales conventionnelles mettant hors la loi tout acte contre des civils ou non-combattants visant à influencer les gouvernements, une définition pour laquelle nous avons une grande dette à l’égard de M. Robert Badinter.
S’agissant des efforts contre les armes de destruction massive, le sujet est beaucoup plus complexe. Il faut, en premier lieu, tenir compte des différences entre les différentes armes. Personne ne peut douter que nous sommes en face de menaces très graves – Corée du Nord, Iran, les activités du Docteur A.Q.Khan, la Libye (heureusement évitée) Les régimes internationaux de lutte contre les proliférations sont soumis à de fortes pressions. Il y a un vrai risque de dérapage. L’échec total de la conférence sur le TNP ces jours derniers le montre. Il n’y a aucune réponse simple, mais plutôt un besoin d’une stratégie de prévention à plusieurs niveaux :
· le modèle du protocole additionnel de l’AIEA doit devenir la norme ;
· l’initiative de sécurité contre la prolifération (PSI) qui essaye d’interdire tout échange de matière sensible doit être plus largement répandue ;
· un moratoire sur toute nouvelle construction pour l’enrichissement ou le retraitement de l’uranium, accompagné par une garantie internationale sur l’approvisionnement de ces services pour tout Etat doté d’une industrie civile nucléaire ;
· la destruction plus rapide de stocks chimiques ;
· un système d’inspection des installations biologiques ;
· l’engagement du Conseil de Sécurité d’agir contre une attaque ou la menace d’une attaque nucléaire vers un pays non-nucléaire ;
· la continuation renforcée des obligations de désarmement de l’article VI du TNP par les puissances nucléaires.
Et puis demeure la question sensible des Etats en train de s’effondrer qui constitue une menace globale. Elle a touché tous les continents. Sa prévention et son traitement constituent une lacune dans le dispositif préventif de l’ONU. Là, nous avons proposé l’établissement d’une Commission de Coordination de la Paix (avec l’appui d’un bureau nouveau dans le Secrétariat). Nous situons cette Commission à cheval entre le Conseil de Sécurité et le Conseil Economique et Social. Elle aura besoin d’un appui essentiel du FMI et de la Banque Mondiale ; et d’une manière appropriée des banques régionales des pays contributeurs de troupes pour les opérations du maintien de la paix et les pays donateurs.
Nous avons également proposé un resserrement des liens entre l’ONU et les organisations régionales par l’application et le renforcement des dispositions du chapitre VIII de la Charte. Il faut donner aux organisations comme l’Union Africaine qui sont prêtes à faire des efforts dans le sens de la prévention et du maintien de la paix une meilleure capacité, par le moyen d’un appui logistique et financier et par l’entraînement.
Je n’ai pas beaucoup parlé des problèmes de la pauvreté, de la maladie, de la faim, de l’environnement parce que le temps me manque et parce que la proposition de solutions relevait davantage de l’autre groupe animé par Joffrey Sachs qui a préparé ces dossiers en profondeur. Mais il faut mentionner la nécessité d’une conclusion des négociations de Doha dans l’année 2006 et l’urgence d’engager sans délai un processus de préparation pour la période après Kyoto (c’est-à-dire après 2012).
En ce qui concerne les institutions, nous avons proposé l’élargissement du Conseil de Sécurité à vingt-quatre par le moyen d’un des deux modèles. Ni l’un ni l’autre ne comporte l’établissement de nouveaux vetos. L’Assemblée Générale et le Conseil Economique et Social doivent être rendus plus performants avec des ordres du jour plus limités. La Commission des Droits de l’Homme devrait être remplacée par un Conseil qui travaillerait à plein temps ; le statu quo n’est plus acceptable. Et le Secrétariat demande un remplacement de son personnel et des dispositions de comptabilité renforcées.
Quelles sont les perspectives d’ici au Sommet de New-York au mois de septembre ? Il y a sûrement des risques pour le processus de réforme. Il pourrait y avoir des désillusions. Les Européens risquent d’être découragés par les résultats négatifs des référendums sur la Constitution. Le scandale du programme humanitaire pour l’Irak constitue une raison supplémentaire pour la réforme même s’il est utilisé par les ennemis de l’ONU. Il faut également éviter la suggestion d’un grand marchandage entre la sécurité et le développement, il faut faire les deux. Et enfin, il faut tenir compte des procédures réductrices de la diplomatie onusienne.
Il faut absolument que les Européens prennent l’initiative pour pousser les dossiers de réforme. Entre 40 et 50 % de chaque programme de l’ONU provient de l’Union Européenne. Il ne faut pas attendre les Américains qui ont toujours une attitude réservée, même ambivalente envers l’ONU. Il faut utiliser les réunions du Conseil Européen à la fin de juin et du G8 à Gleneagles en juillet pour faire avancer des initiatives européennes, en mettant en marche nos réseaux diplomatiques. Si nous faisons tout cela, il y a une bonne chance d’aboutir à un résultat respectable au mois de septembre.
Voilà tout ce que j’avais à dire. J’espère ne pas avoir été trop long et avoir abordé l’ensemble des sujets dont nous devions discuter ce soir.
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