Quelle Formation des imams : état des lieux

Intervention prononcée lors du colloque du 14 février 2005 Islam de France : où en est-on ?

Se livrer à un état des lieux de la formation des imams, c’est d’abord tenter de cerner brièvement qui sont les imams, puis tenter également d’approcher leur lieux d’exercice, leurs discours, qui permettent d’identifier, plus ou moins, leur milieu d’origine, leur formation. Au préalable, on peut se poser la question de l’autorité religieuse dans l’islam transplanté, en Europe. Notre penchant naturel à identifier l’autorité religieuse à un corps clérical hiérarchisé dans les églises nous entraîne vers une recherche d’une sorte de modèle similaire en islam. Cette tendance a toujours existé dans le monde musulman, et dans le monde sunnite autant que dans le monde chiite (on aurait tendance à avancer que la cléricalisation serait une exception chiite), tendance renforcée par les volontés étatiques de constituer puis contrôler un corps de religieux hiérarchisé dans des pays dont ce n’est pas la tradition. Ainsi le Maroc ou l’Arabie saoudite, qui, contrairement à la Turquie et à l’Algérie, ne possédaient pas cette tradition d’encadrement, renforcent leur contrôle des religieux ces dernières années. Tel n’est pas le cas dans les pays occidentaux démocratiques où l’islam est minoritaire : la sécularisation et l’autonomie des cultes d’une part, l’absence de fonctions organiques des différents personnels religieux au sein de la société d’autre part ne favorise pas la visibilité de ces personnels. L’imam en France n’a pas de statut.
Mais l’autorité religieuse ne se limite pas à l’imam et à son discours. Cette autorité religieuse (je renvoie au récent ouvrage paru chez l’Harmattan, « Les transformations de l’autorité religieuse », sous la direction de Martine Cohen, en particulier la contribution de Franck Fregosi) peut apparaître pour le moment éclatée, partagée qu’elle est entre les transmetteurs de la tradition, au sein des familles et les conférenciers, dont certains se défendent d’être théologiens (Tarek Ramadan), mais qui n’en sont pas moins des guides en matière de morale. Ces conférenciers peuvent être aussi cathodiques (la conférence du dimanche matin de Youssef Qardhaoui sur la chaîne de télévision du Qatar El Jazira) ou régner sur le net (il s’y passe beaucoup de choses, même si on en retient les sites les plus excessifs, liés à l’islam radical). Il y peu de théologiens, mais il y en a quand même. Leur présence n’est pas organisée au sein d’établissements d’enseignement. Ils auraient plutôt tendance même à se faire concurrence : deux établissements de formation religieuse (un à Saint Denis, un à Saint Ouen) sont dirigés par des zitouniens, tous deux assurant également la fonction d’imam, de prêcheur dans une mosquée le vendredi. Enfin les imams, dont nous allons parler restent les repères, les guides pour la communauté des croyants, du moins pour ceux qui assistent régulièrement aux offices du vendredi.

Qui sont les imams ? :

Une récente enquête menée par le ministère de l’intérieur a pu établir une ébauche de photographie de l’imamat en France :

• On dénombre la présence d’un peu plus de mille personnes exerçant des fonctions d’imam, à titre principal ou occasionnellement. 550 d’entre eux le sont en permanence, 153 le sont de manière occasionnelle et plus de 300 sont des imams khatib, qui n’interviennent que lors du prêche du vendredi.

• Si on examine le mode de rémunération, seulement 45% sont salariés de manière régulière (22% par l’association gestionnaire du lieu de culte et 12% par le pays qui les a détachés, essentiellement la Turquie – une soixantaine- et l’Algérie – quatre vingt. Le Maroc ne rétribue que deux imams, l’Arabie saoudite assure la salaire d’une dizaine d’ex diplômés de leurs universités islamiques – mais aucun Saoudien parmi eux). Les autres imams sont bénévoles ou rétribués par des oboles de type divers.

• La répartition par nationalité donne une minorité de nationalité française, moins de 20% (mais ce chiffre montre quand même une nette progression dans la mesure où ils étaient une poignée il y a dix ans. Ce sont essentiellement des étrangers naturalisés. Il y a encore peu d’imams nés en France). Un peu plus de 30% sont d’origine marocaine et 20% d’origine algérienne. Les Turcs représentent 13,5%, les Tunisiens 5% et les Africains sub-sahéliens également 5%.

• La répartition par âge place presque la moitié dans la tranche des plus de 50 ans, l’autre moitié, de 30 à 50 ans. Seule une cinquantaine a moins de 30 ans.

• Un bon tiers ne parle pas ou très difficilement notre langue, un petit tiers s’exprime moyennement et le tiers restant s’exprime avec aisance.

Au vu de ces chiffres, on s’aperçoit que le nombre d’imams a relativement peu évolué en dix ans (ils étaient autour de 800 en 1995.) Les imams marocains y sont majoritaires, si on confond les nationaux et les naturalisés. Il faut bien sûr mettre en corrélation l’âge des imams et la méconnaissance de la langue française. En revanche, il faut se départir de l’idée d’un faible niveau théologique lié à la difficulté de l’expression en langue française. Les plus mauvais francophones, les imams turcs envoyés par la diyanet, l’organe officiel de gestion des religieux en Turquie, sont peut être les mieux formés, en tout cas les plus diplômés en moyenne.

Quel discours des imams par quel type d’imam ?

L’aspect sécuritaire attaché au discours des imams focalise bien souvent l’intérêt vers les imams radicaux, salafistes. Bien sûr, cette dimension est non négligeable et mérite à elle seule un développement. Mais elle ne doit pas nous détourner du discours de l’immense majorité des imams qui exercent en France. Peu de travaux se sont attachés à analyser ce discours en général, qui en dit plus sur la formation, sur les parcours des imams qui prononcent leur prêche le vendredi. Une enquête non publiée commanditée par l’IHESI (Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure), à laquelle j’ai participé, a permis de dégager quelque pistes sur ces imams. Je vous en livre quelques conclusions :

• Le contenu des prêches reste attaché à la dimension spirituelle et religieuse du croyant Il concerne la foi, dans sa pratique et sa connaissance. La dimension nationale reste encore majoritaire : l’imam s’adresse à son public en arabe dialectal, littéraire ou dans les langues vernaculaires. La dévotion, la piété, le rappel des pratiques sont les thèmes récurrents. Les fidèles sont soucieux de trouver, surtout en terre d’immigration pour le moment, un guide qui leur rappelle leurs devoirs. On prête assez souvent aux imams une volonté de privilégier le respect du rituel. On oublie que cela correspond à un désir profond d’un certain nombre de fidèles qui expriment cette demande. Il est intéressant de voir à cet égard, que dans l’ensemble des thèmes répertoriés dans l’enquête, le thème récurrent de l’au-delà, les préoccupations d’ordre eschatologique, sont omniprésents. Peut-être est-ce une demande forte d’une communauté soucieuse de renouer un fil, de se rappeler à soi même, en terre vécue comme étrangère parfois, le lien qui l’unit à la umma, l’ensemble des croyants.

• C’est un langage simple et clair qu’attendent les croyants. Certains imams qui n’usent que de la langue classique risquent de ne pas être compris. La réussite d’une khotba n’est pas fondée sur le degré de formation de l’imam. Certains discours, en apparence empreint de grandes qualités oratoires se révèlent pauvres, voire même pédants. Aussi le discours des imams ne peut pas être un évaluateur d’une connaissance théologique, même si leurs porteurs peuvent avancer une très bonne connaissance des versets coraniques et des hadiths.

• Il est intéressant de noter que, sur la trentaine d’imams interrogés dans cette enquête, les formations initiales se départagent comme suit :
– 9 de formation universitaire, venant des universités du Maghreb
– 5 de formation confrérique (enseignement traditionnel en zawiya)
– 16 autodidactes
Est ce l’effet du hasard ? Il n’y avait qu’un imam issu d’un des instituts qui existent en France.

• La conclusion de cette enquête prônait la mise en place d’une formation complémentaire propre à aider l’imam accomplir sa tâche. « En fait, ce n’est pas à l’imamat, en tant que tel, que les formations aujourd’hui doivent prétendre, mais à une formation ouverte et complète pour tous ». sous entendu une formation citoyenne plus qu’une connaissance très approfondie du rituel.

Quelle action à entreprendre par l’islam institutionnel pour la formation ?

Au sein du Conseil Français du Culte Musulman, une commission « formation des imams » a été mise en place. Elle a permis de dessiner au sein des participants deux grandes options :
• Une première tendance, plutôt proche des pays d’origine (Turquie, Algérie et à un moindre degré, Maroc) ou plus quiétiste, qui considère le personnel religieux comme des fonctionnaires assujettis à l’autorité des gestionnaires du culte. Ils font confiance à la formation dans les universités des pays d’origine et demandent le renforcement des circuits d’échange avec ces pays (exemple de la Turquie et de l’Algérie, mais aussi propositions des Marocains de mise en place de formations au Maroc même pour des imams, surtout en formation continue). Du côté officiel algérien, s’il existe une perspective de mise en place de formation en France, elle ne peut être que la reproduction du modèle d’une institution islamique algérienne. L’actuel directeur de l’Institut de la mosquée de Paris est l’ancien directeur de l’Institut islamique d’Oran, de formation très traditionnelle. Le niveau de connaissance correspond à celui qui est exigé en Algérie. L’aptitude à des fonctions sociales et éducatives adaptées au contexte français et francophone n’apparaissent pas comme essentielles. On aurait tort de croire qu’il y a carence et que cela ne correspondrait pas aux attentes des croyants. La demande de ce genre d’imams dans les communautés algérienne et turque reste très forte et est loin de se tarir.

• Un deuxième courant, moins traditionnel, auquel adhère les plus jeunes, souhaite des imams peut-être moins formés sur le plan théologique, mais plus aptes à comprendre leur environnement, francophones, ancrés dans la vie sociale. Les modèles de ce type de religieux est offert par des imams pour la plupart déjà engagés professionnellement dans la vie active, assez souvent comme enseignants, autodidactes, soit par origine familiale (fils de religieux) ou formation auprès de maîtres ou par stages dans des universités islamiques. On trouve dans ce courant aussi bien ceux qu’on qualifie de « réformistes », dont certains issus de la matrice des frères musulmans que des « libéraux » ou des spiritualistes proches de la mouvance soufie rénovée.

Un questionnaire a été envoyé dont certaines questions concernaient la formation. Il n’y a eu aucune réponse à ce jour. Il faut mentionner les actions du ministère de l’intérieur qui tente, avec l’aide du FASILD, de développer de manière décentralisée, l’initiation à la langue française. Cette action en cours reçoit l’assentiment de tous les acteurs et devrait se développer. Un autre projet, celui de développer un diplôme universitaire de civilisation ou culture française permettrait un apport complémentaire aux religieux possédant déjà une formation purement théologique.

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