par Jean-Jacques Duby, ancien Directeur Général de l’Ecole Supérieure d’Electricité (Supélec)
Intervention prononcée lors du colloque Recherche et mondialisation du 20 septembre 2004
Exposer en cinq minutes « la réalité du gap technologique de la France » ne va pas me laisser le temps de faire dans la nuance, ni de sacrifier aux précautions méthodologiques. A tous ceux d’entre vous qui souhaiteraient à la fois plus de détails et plus de rigueur, je recommande la lecture du Rapport 2004 de l’OST (1), qui va sortir le mois prochain. Je vais me contenter aujourd’hui de tirer quelques conclusions personnelles des chiffres de ce rapport, conclusions qui n’engagent que moi et pas l’OST.
A première vue, la situation de la France est stable : nous sommes toujours 5ème en production scientifique, derrière les Etats-Unis, le Japon, le Royaume-Uni et l’Allemagne, et 4ème en production de brevets, derrière les Etats-Unis, le Japon et l’Allemagne. Compte tenu des ressources géostratégiques et économiques de la France, nous pouvons difficilement être n°1. Cela étant, une comparaison avec le n°1 justement, c’est-à-dire les Etats-Unis, met en évidence trois éléments constitutifs d’un gap scientifique et technologique, toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire en tenant compte des facteurs d’échelles :
1er facteur : une insuffisance de notre effort de R & D (Recherche et développement). Insuffisance financière d’abord, puisque nous ne consacrons que 2,23 % de notre PIB à notre DIRD, contre 2,75 % aux Etats-Unis. Cette insuffisance est due à la R&D privée, puisque la R&D publique est du même ordre de grandeur dans les deux pays, de l’ordre de 0,8 %, alors que la dépense de R&D privée est de 1,4 % en France, contre 2 % aux Etats-Unis.
C’est aussi une insuffisance de ressources humaines, puisque les chercheurs représentent 0,35 % de la population française, contre 0,45 % de la population américaine. Là encore, le retard provient de la R&D des entreprises.
2ème facteur : une productivité insuffisante, qui provient cette fois-ci du secteur public. Approximativement, je mesure la production du secteur public par les publications et celle du secteur privé par les brevets. Les 89 000 chercheurs publics français ont produit quelque 36 000 publications en 2001, soit 0,4 publication par chercheur et par an, contre 0,75 aux Etats-Unis, soit presque le double. Il faut cependant noter que le « coût » d’une publication, c’est-à-dire la dépense de R&D publique divisée par le nombre de publications, est sensiblement le même en France et aux Etats-Unis, ce qui pourrait indiquer que la politique de recherche américaine consacre relativement plus de ressources aux moyens matériels.
Pour les entreprises, les chiffres de productivité, mesurée en nombre de brevets US et européens par chercheur dans les entreprises, sont à peu près équivalents, de l’ordre de 0,12 brevet par chercheur et par an, un peu moins aux USA, un peu plus en France. Donc, en productivité, le retard vient du public.
3ème facteur : un « indice d’impact des publications », c’est-à-dire le rapport entre le nombre de publications et le nombre de citations, inférieur en France par rapport aux Etats-Unis : 0,9 pour la France, 1,4 pour les Etats-Unis.
Les chiffres 2001 montrent donc un retard relatif de la France par rapport aux Etats-Unis, qui touche les ressources consacrées à la R&D des entreprises, la productivité et l’impact de la R&D publique. Et, malheureusement, la tendance ne va pas dans le bon sens.
Sur le plan des ressources, notre effort de R&D a diminué les dix dernières années, passant de 2,4 % du PIB en 1991 à 2,3 % en 1996 et 2,2 % en 2001. Et cette diminution est due à la diminution de l’effort de R&D public, qui est passé de 1 % à 0,8 %, alors que la R&D des entreprises, dont on a vu que c’est elle qui est insuffisante, est restée stable autour de 1,4 %.
Sur le plan de la production scientifique, la part mondiale de la France en publications, qui était proche de 5 % en 1991, était montée à 5,4 % en 1996, pour revenir à 5,1 % en 2001. L’indice d’impact, quant à lui, a peu varié autour de 0,9. Sur le plan de la production technologique, la baisse est continue depuis 10 ans : 8 % des brevets européens en 1991, 7 % en 1996, 6 % en 2001 ; pour les brevets américains, la décroissance est aussi linéaire : 3,7 % en 1991, 3,1 % en 1996, 2,7 % en 2001.
Bref, la situation n’est pas très bonne, elle ne va pas en s’améliorant, mais nous sommes là pour en discuter.
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1)OST : Observatoire des Sciences et des Techniques
*Sauf indication contraire, les chiffres sont ceux de 2001.
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