Débat final

Débat final lors du colloque "Laïcité : défis internes, défis externes" du mercredi 24 avril 2024.

Marie-Françoise Bechtel

Merci beaucoup.

Vous avez apporté des éléments nouveaux et tout à fait originaux. La vision que vous avez dessinée de l’Amérique et de son lien avec la laïcité était tout à fait passionnante comme d’ailleurs beaucoup d’autres éléments de votre exposé.

Quand on comprend la force, la difficulté, l’énergie et les difficultés qu’a rencontrées la mise en place de la loi de 1905 on se dit que nous ne sommes pas aujourd’hui devant un défi qui devrait demander des forces supérieures. Car, vous l’avez rappelé, le clash avec l’église catholique a été terrible ! Les choses ont été extrêmement difficiles pendant des décennies. Un ami m’a raconté l’histoire véridique de son grand-père, instituteur à la campagne qui, peu après la loi de 1905, expliquait un jour à sa classe, de manière factuelle, que Jeanne d’Arc s’avançait à cheval « exaltée » par les cris de la foule. Aussitôt le curé avait demandé aux parents de retirer leurs enfants de l’école parce que l’instituteur – qui d’ailleurs était croyant – avait traité Jeanne d’Arc d’exaltée. S’en était suivi une énorme querelle dans le village…

Je me dis parfois que la difficulté devant laquelle nous sommes aujourd’hui, qui tient plutôt au délitement de la laïcité, ne demande pas des efforts supérieurs à ce qui avait été demandé à la population et à l’État français tout entiers lors de la loi de 1905 et, comme vous l’avez justement rappelé, de sa suite.

Je donne la parole à Philippe Guittet, ancien responsable du SNPDEN.

Philippe Guittet

Vous avez rappelé le discours de Briand. Il fait écho aux mots de Victor Hugo au moment de la discussion de la loi Falloux : « L’État chez lui, l’Église chez elle. »

La laïcité, c’est la liberté de conscience, la séparation, mais aussi la volonté de faire nation. Et il me semble que la volonté de faire nation (laos[1]) suppose des souvenirs communs, des projets communs et transcende les singularités. C’est ce qui nous différencie en particulier de l’extrême-droite qui n’admet pas les singularités. Or on ne peut pas construire la laïcité si on n’a pas conscience qu’il existe des singularités.

La nouveauté de la loi de 2004 doit être soulignée.

En 1989, le Conseil d’État a considéré l’Éducation comme un simple service public dont les élèves seraient des usagers.

À partir du vote de la loi de 2004, on a considéré que si l’École n’était pas un « sanctuaire » elle était une institution où les élèves avaient une place particulière. Le débat a été très dur. Dans l’éducation très peu d’organisations étaient favorables à cette loi. Vous avez parlé de la Ligue de l’enseignement mais la Ligue des droits de l’homme était contre, la FCPE était contre, les organisations syndicales d’enseignants ne se prononçaient quasiment pas. Seule l’organisation des chefs d’établissements (le SNPDEN) se prononçait pour avec le soutien de Patrick Gonthier, alors secrétaire de l’UNSA-éducation. Les débats furent très durs au sein de la commission Stasi mais aussi de la commission Debré où les politiques n’étaient pas non plus favorables à une loi. 

C’était donc une loi très importante qui suscita un débat très important. Sachez qu’à l’époque, apparaissant au forum social européen, Tariq Ramadan faisait campagne contre la loi. Les débats furent repris dans toute la presse. Les difficultés que nous rencontrons aujourd’hui encore avec les organisations témoignent de ce combat très difficile.

La question de la laïcité ne se limite pas à la formation à la laïcité. Des progrès ont été faits. Une formation continue a été mise en place depuis quelques temps à partir du rapport Obin sur la formation. Je pense que le renouveau de la formation qui est prévu permettra de mieux former les enseignants sur les questions de laïcité. Il est important que les enseignants connaissent l’histoire de la laïcité tout comme l’histoire de leur discipline. En effet, ils se trouvent souvent en difficulté, par méconnaissance de ce que leur discipline a apporté au cours de l’histoire.

Au-delà de la défense de la laïcité je plaide donc pour une véritable ambition culturelle pour l’école et un retour de l’autorité. Une autorité liée à la compétence, au caractère charismatique et à l’indulgence à l’égard des élèves. Nous avons aujourd’hui les outils pour évoluer sur cette question essentielle. Il y aura des difficultés parce que certains élèves considèrent que la loi de Dieu est plus importante que la loi de la République. Mais il faut mener les campagnes auprès des élèves, on peut faire comprendre ce qu’est la laïcité si on a la volonté de le faire.

En revanche, il est intolérable de voir des organisations syndicales, des enseignants faire campagne contre la laïcité à l’intérieur de l’école. Ce sont les relais de LFI mais ce sont aussi Sud Éducation et un certain nombre d’organisations qui font campagne contre la laïcité.

En décembre dernier un colloque organisé par Laïques Sans Frontières (LSF) s’est tenu en France en présence d’Anglais, d’Américains, d’Irakiens, de Tunisiens, d’Australiens, etc. qui se sont prononcés pour l’adoption d’un régime laïque dans leur pays.

Patrick Weil

À propos de de l’avis du Conseil d’État de 1989, je rappelle qu’après 1905 le Conseil d’État était en compétition avec la Cour de cassation comme juridiction compétente sur la laïcité. Et le Conseil d’État a gagné. Il faut lire « étude et document » l’article de Gabriel Le Bras : Le Conseil d’État régulateur de la vie paroissiale de 1950. Le Conseil d’État ne considère plus dans ses avis la protection pénale de la séparation ou de la lutte contre les pressions. Il existe bien une jurisprudence de la Cour de cassation … hélas consultable uniquement sur les Dalloz papier, ce qui fait que les jeunes juristes ne prennent plus le temps d’aller chercher dans cette jurisprudence ! 

Si on considère que la loi de 1905 organise la liberté de conscience en la protégeant des pressions, alors la loi de 2004 est totalement dans la lignée de la loi de 1905. En effet l’espace scolaire, qui accueille des enfants mineurs, doit les protéger contre les pressions religieuses et l’assignation à résidence identitaire. Et ce, pour garantir la formation de leur liberté de conscience. Il n’y a pas de rupture mais une absolue continuité avec l’esprit de la loi de 1905. La loi de 2004 doit être expliquée ainsi.

Jean-Pierre Chevènement

Deux mots.

D’abord merci à nos intervenants qui nous ont fait réfléchir.

La France est souvent fustigée, à raison quelquefois, à tort aussi. La laïcité est un bon exemple puisqu’elle se trouve condamnée non seulement dans les pays musulmans mais aussi dans les pays anglo-saxons, en tout cas dans certains d’entre eux.

Je voudrais poser deux petites questions.

La première s’adresse à Patrick Weil. Vous avez fait valoir une plus grande proximité de la France avec les États-Unis qu’avec la Grande-Bretagne, à juste titre. Mais vous n’avez pas précisé que c’est la Révolution française elle-même qui, dans l’article 3 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, précise que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». C’est de là que découle la laïcité. D’ailleurs un décret de 1794 précisera, longtemps avant la loi de 1905, que la République ne subventionne aucun culte. C’est donc le lien de citoyenneté qui est en France purement civique, qui ne fait référence à aucune religion, à aucune transcendance, qui considère que la liberté de conscience implique que chacun choisisse sa religion, sa foi. Mais le lien civique lui-même n’est pas de nature religieuse. Alors que le Président des États-Unis prête serment sur la Bible et les prières sont d’usage dans certaines cérémonies officielles. La foi en Dieu est affirmée jusques et y compris sur les billets de banque (in God we trust). Toutes choses qui montrent qu’aux États-Unis le lien civique reste imprégné par des options religieuses d’ailleurs vagues. Aucune n’est précisée. Si, comme vous l’avez justement dit, la séparation entre les églises et l’État est la règle aux États-Unis comme en France, j’aimerais vous rendre sensible cette différence.

Je m’adresse maintenant à Ghaleb Bencheikh. Dans le monde musulman toutes les constitutions font référence à l’islam. Aucune ne se réclame de la laïcité bien entendu. Même Michel Aflak n’a pas laissé de postérité qui ait marqué l’histoire des pays baasistes. J’aimerais savoir ce qui explique ce blocage. En dehors de l’intellectuel Abderraziq en 1925, on s’aperçoit que même chez Mohamed Abduh, à plus forte raison Rashid Rida, on ne voit pas poindre le jour de la laïcité. Comment interpréter ce blocage assez général ?

Voilà les questions, qui sont aussi de petites observations que je me permets de formuler au passage en remerciant encore les intervenants.

Marie-Françoise Bechtel

Je donne la parole à Alain Seksig, secrétaire général du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République (CSLVR).

Alain Seksig

Même si je comprends l’optimisme fougueux de Patrick Weil, je suis parfois tenté de dire et de ressentir les choses comme les a exprimées Hadrien Mathoux. En effet on est parfois un peu découragé d’avoir à rabâcher constamment des choses qui paraissent évidentes et que la loi du 15 mars 2004 notamment est venue consacrer.

Quand j’ai commencé comme instituteur en 1970, dans nos milieux nous ne parlions jamais de laïcité. Tout au plus une fois l’an, nos syndicats nous appelaient à manifester au prétexte que l’on donnait trop d’argent à l’école privée. C’est à peu près le seul moment où l’on parlait de laïcité. On n’en parlait pas plus dans le cadre de la formation des enseignants. Ce silence avait un aspect positif : la laïcité nous paraissait une évidence. Mais nous payons aujourd’hui, avec un temps de retard, la longue absence de la laïcité dans la formation des enseignants.

Il faut faire une grande exception pour le ministère de Jean-Pierre Chevènement qui restaura une vision exigeante de l’école. Chacun sentait que les enseignants pouvaient s’adosser vraiment à l’institution. Il l’incarnait, il voulait remettre l’École au cœur des conversations de tous nos concitoyens. On se souvient des programmes édités en livre de poche et mis en vente à un prix plus que modique dans les supermarchés … cette période fut une heureuse exception.

Est arrivé 1989, point nodal, grande rupture, comme le rappelait Marie-Françoise Bechtel. Nous avons eu l’impression que tout ce que nous pensions jusque-là, tout ce que nous avions accumulé comme connaissances, comme savoirs sur l’intégration des populations immigrées, sur les principes républicains, etc. s’évanouissait brutalement. On ne savait plus quoi dire, quoi faire devant l’apparition de ces signes qu’on ne savait même pas nommer à l’époque (foulard, voile, voile dit islamique …).

Chacun se souvient de la première affaire de voile de Creil, en 1989 qui a déclenché tout ce que l’on sait. On eût aimé que les partisans de la « force tranquille » de 1981 se montrent tranquillement fermes devant ces signes. Ce n’est pas du tout ce qui s’est produit. Mais quelques années auparavant, en 1985, alors que Jean-Pierre Chevènement était ministre, à Créteil, une affaire absolument semblable a touché un collège … et personne n’a jamais entendu parler d’un problème de voile dans un collège de Créteil ! C’est qu’il a été réglé en deux temps trois mouvements. « Il n’est pas question de tolérer ces signes au sein de l’établissement » a dit la principale du collège, soutenue par toute l’équipe.  Elle a ensuite écrit à l’inspecteur d’académie qui, devant un problème qu’il jugeait un peu délicat a préféré en référer au recteur, lequel recteur en a lui-même référé au cabinet du ministre. Le cabinet du ministre Chevènement a répondu en quelques jours que ce signe n’avait pas droit de cité dans l’établissement et que ceci devait être inscrit au règlement intérieur.

Tels sont les souvenirs de mon début de carrière. Si un ministre avait alors décidé de créer un conseil des sages pour la laïcité on se serait demandé quelle mouche l’avait piqué.

On en est là aujourd’hui parce qu’on n’a pas su réagir quand il le fallait. Il y a eu heureusement le travail magnifique de la commission Stasi à laquelle Patrick Weil a largement participé. Si, quand elle s’est installée fin août-début septembre 2003, il avait fallu faire voter les vingt membres de la commission Stasi sur le fait de savoir s’il fallait ou non aller vers une loi d’interdiction « des signes et tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse », on peut penser qu’une telle proposition n’aurait pas vu le jour. Au début de leurs travaux, ce qui les a décidés ce sont les auditions, les discussions qui ont eu lieu avec toutes les forces vives du pays, y compris à la fin avec des jeunes lycéens et lycéennes qui, de manière très majoritaire, demandaient eux-mêmes une loi et ne voulaient pas pouvoir être distingués dans l’espace scolaire du fait de leur appartenance religieuse et, pire encore, de la manière d’exprimer leur appartenance religieuse.

Marie-Françoise Bechtel

Merci beaucoup.

Le mot d’intégration n’a pas encore été prononcé ce soir. Entre la période à laquelle vous faites allusion, celle de la commission Stasi, et la période actuelle, l’intégration n’a pas progressé dans ce pays.

Patrick Weil

Je suis absolument d’accord avec Jean-Pierre Chevènement sur la référence à la Révolution, à la souveraineté nationale. Mais il faut en tirer une conclusion un peu inverse.

Cela me permet de réagir à ce qu’a dit Ghaleb Bencheikh. Oui, la citoyenneté est le fondement de la République et de la souveraineté. Et de la citoyenneté naît la vraie laïcité c’est-à-dire le libre choix. Si des compatriotes se sentent assignés non pas à la citoyenneté mais à une religion en raison de leur prénom ou de leur couleur de peau, ils n’ont pas le libre choix de croire ou de ne pas croire puisqu’ils sont affectés a priori à une catégorie religieuse. C’est la reconnaissance de leur citoyenneté qui permet la vraie laïcité, le libre choix. ///C’est donc l’histoire politique (celle de l’Empire français, de la colonisation et de la décolonisation) qu’il faut enseigner plutôt que l’histoire des religions, comme M. Debray l’a fait mettre par Jack Lang dans les programmes, ce qui est une erreur. Il faut aussi enseigner l’histoire des politiques de l’immigration et enseigner la laïcité dans son historicité. Je fais des interventions toutes les semaines dans les lycées. J’y observe que la plupart des élèves de terminale ne savent pas que le mariage civil a lieu avant le mariage religieux ! Il faut inscrire dans les programmes scolaires l’histoire de la laïcisation dans l’histoire politique de la France plutôt que cette histoire du « fait religieux » introduite au moment où les musulmans sont arrivés dans les écoles, ce qui a aggravé leur assignation à une religion. Il faut savoir reconnaître les erreurs qui ont pu être commises.

J’ai publié récemment les Lettres d’Amérique écrites par Georges Clémenceau[2] quand il était jeune journaliste aux États-Unis. Dans sa préface intitulée Clémenceau contre Tocqueville, un grand professeur américain rappelle que Tocqueville, arrivé aux États-Unis dans une courte période de paix, en avait conclu que l’Amérique était un pays très paisible dans lequel la vie associative permettait, en remontant vers les élus, de créer des lois tout aussi paisibles. Mais c’est Clémenceau qui avait raison : l’Amérique est en guerre civile permanente, avec des affrontements politiques nationaux très importants.

Nous rencontrons le même problème : la longue période de paix civile sur la laïcité entre 1923 et 1989 nous a fait oublier les instruments qui nous avaient permis de gérer la quasi-guerre civile que nous avons connue entre 1905 et 1914. Et quand il aurait fallu nous réapproprier ces instruments nous les avions oubliés.

Concernant l’inscription de l’islam dans les constitutions des pays arabes, dans un article formidable, Michel Troper dit que si le peuple souverain d’Égypte a inscrit l’islam dans sa constitution, il peut demain le retirer[3].

Le Bengladesh est l’exemple d’un pays musulman qui s’est déclaré laïque quand il s’est constitué en pays indépendant. C’est à l’occasion du coup d’État militaire qui a brisé la constitution civile que l’islam a remplacé la laïcité. Et quand les civils sont revenus au pouvoir ils ont réintroduit la laïcité … mais sans enlever l’islam.

Dans la salle

Ma question s’adresse plutôt à M. Bencheikh.

En 2023 le Président de la République a choisi d’écarter le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), le jugeant inopérant, miné par des dissensions internes et ayant également parfois une conception de la laïcité contraire à notre modèle de laïcité républicaine (je pense notamment aux positions du CFCM sur l’abaya), pour créer le Forum de l’islam de France (FORIF). J’aurais aimé savoir ce que vous pensez de cette nouvelle instance supposément représentative du culte musulman.

D’après vous que dit de notre rapport à l’islam cette difficulté à structurer le culte musulman ?

Ghaleb Bencheikh

Prenez ce que je vous ai dit dans ma communication comme une quatrième de couverture d’un corpus en plusieurs volumes eu égard à l’importance du sujet.

Pour répondre à la question de Jean-Pierre Chevènement, je dirai simplement qu’aucun de ces régimes n’est légitime. C’est ce manque de légitimité qui entraîne le recours à la religion. Je parle des États de la Ligue arabe. Mais encore une fois islamité n’est pas arabité.

Il y a eu quelques tentatives … et encore :

En Indonésie avec le Pancasila[4] (prononcer [pant͡ʃaˈsila]), un principe en cinq éléments qui ne fait pas tout à fait référence à la religion, encore moins islamique.

J’ai parlé de l’Ouzbékistan, dont la société est à majorité musulmane.

Il y a le Surinam qui fait partie de l’organisation de la coopération islamique (OCI).

Donc quelques États où les sociétés sont majoritairement musulmanes essayent cahin-caha à ne pas faire une référence à l’islam dans la constitution.

En revanche les autres, dans une concession faite aux islamistes, exigent que la référence à l’islam religion de l’État figure dans l’article 1, avec la définition du régime, et non dans l’article 2. Moi je n’ai jamais vu un État jeûner, prier ou accomplir le pèlerinage ! C’est une escroquerie ! Je ne veux pas être sévère mais j’irai jusqu’à dire que c’est une arriération. En effet, la séquence « moment Descartes », « moment Freud », ayant été totalement ratée, au lieu d’être rattrapée, digérée, ingérée, assimilée, étudiée, critiquée et dépassée, elle est mise allègrement de côté. Et l’on revient aux « constantes immuables » dont l’appartenance à la religion islamique.

Encore une fois, cela est dû au manque de légitimité et à l’absence de démocratie.

Je suis embarrassé pour répondre à la question qui vient d’être posée car elle vient en fin de séance et nous sommes pris par le temps.

Vous avez raison de dire que le Président de la République a « écarté » le CFCM mais les mots exacts sont : « Nous avons décidé de mettre fin au CFCM ». Ce à quoi le droit ne l’autorise pas. Peut-être a-t-il été mal conseillé. Le CFCM est en effet une association loi 1901. Le Conseil des ministres peut y mettre fin en raison de trouble avéré à l’ordre public. En revanche l’État est fondé de ne pas reconnaître quelque association que ce soit comme une association interlocutrice.

Mais, plus fondamentalement, votre question révèle un paradoxe terrible qu’il faut savoir rompre. D’un côté, en vertu de la loi de 1905, loi de séparation, l’État ou la puissance publique n’a pas le droit de se mêler des questions cultuelles et encore moins de l’organisation d’un culte. En même temps l’État est fondé d’avoir des interlocuteurs sérieux, probes, intègres, compétents, etc. (ce qui sous-entend que jusqu’à présent il ne les a pas trouvés).

Il est temps de mettre fin à ce qu’on appelle l’islam consulaire. En effet, nous ne pouvons pas accepter que des États tiers loin d’être démocratiques, en tout cas autocratiques, se mêlent de nos affaires internes. Si j’avais un peu plus de temps je dirais comment certaines mosquées deviennent des nids de barbouzerie pour les dix États en question.

Ou tu t’organises ou on t’organise, dit l’adage. Hélas nous avons affaire à des individus qui cherchent la notabilité et dont l’horizon suprême était d’être invités à la garden-party de l’Élysée du temps où elle existait. On ne peut pas attendre de ces individus une quelconque volonté d’organiser. Il ne s’agit pas de représenter les musulmans qui, en tant que citoyens ont leurs élus. S’ils ne sont pas citoyens ils ont leurs légations, leurs consulats ou leurs ambassades. Il s’agit d’avoir une instance représentative de la pratique du culte qu’à un moment donné on disait mahométan. Le FORIF jusqu’à présent ne peut pas dire quand on commence à jeûner, quand on célèbre telle ou telle fête mais, à entendre ce qu’a dit hier Gérald Darmanin, il va peut-être aboutir à une sorte de fédération sur l’exemple de la Fédération protestante de France (FPF). À la tête de cette fédération un homme ou une femme incarnera cette instance représentative du culte. Et on verra par la suite.

J’ai été sévère à un moment donné (je le suis de moins en moins) contre la tare congénitale qui a présidé à la création du CFCM : un ministre de l’Intérieur pressé de devenir hyper-président, avait réuni le « conclave » de Nainville-les-Roches, arrachant à des représentants du culte musulman l’engagement de travailler ensemble à la mise sur pied d’un conseil français du culte musulman (CFCM). Un président, un trésorier, un secrétaire général avaient été désignés. Puis fut organisé un vote post eventum qui n’avait pas corroboré le bureau, néanmoins maintenu. Et on entendait des sermonnaires, des idéologues ou des prédicateurs – qui venaient de Suisse pour certains – critiquer l’islam de France, l’islam de la politique et du politique…, se présentant comme les seuls à pouvoir enseigner le vrai islam. Cela nous donne les ennuis que nous connaissons maintenant et que nous sommes en passe d’aplanir parce qu’il faut le faire.

Marie-Françoise Bechtel

Ce que vous dites donne quelque espoir.

Je remercie l’ensemble du public et les intervenants qui nous ont permis de tracer quelques pistes d’espoir pour l’avenir :

Je retiens ce qu’a dit Hadrien Mathoux sur la résilience de l’idée de laïcité dans la conscience des Français. Ce n’est pas tout à fait rien quand même.

Je retiens l’idée, évoquée par plusieurs participants, selon laquelle certains pays s’intéressent, aujourd’hui encore, au modèle français de la laïcité.

Je retiens une troisième idée, c’est que notre réseau diplomatique ferait peut-être bien de se mobiliser un peu plus, au moins vis-à-vis du secrétaire général de l’ONU mais aussi d’un certain nombre de pays qui ne comprennent véritablement pas ce qu’est cette tradition française dans ce qu’elle a de plus respectable.

Je finirai peut-être sur la notion de respect puisqu’on cherche un point d’accroche pour en finir avec la laïcité adjectivée dont nous parlions et revenir aux fondamentaux. Puisque les jeunes semblent sensibles à la notion de respect, peut-être pourrait-on, à partir de cette notion, les convaincre de respecter d’abord le modèle du pays dans lequel ils vivent, auquel ils appartiennent le plus souvent, parce que c’est ce modèle qui permet qu’on les respecte eux-mêmes. Je pense qu’autour de cette notion il y aurait peut-être quelque chose à bâtir pour des enseignants qui s’en saisiraient.

Je vous remercie infiniment.


[1] Le terme laïcité est issu du latin laicus « commun, du peuple (laos) », terme ecclésiastique repris au grec d’église laikos (λαϊκός), « commun, du peuple (Laos) », par opposition à klerikos (κληρικός) désignant les institutions proprement religieuses.

[2] Georges Clemenceau, Lettres d’Amérique, présentées par Patrick Weil et Thomas Macé, préface de Bruce Ackerman. Passés/composés, 2020.

[3] Michel Troper, “Laïcité and Sovereignty”, in Constitutional Secularism in an Age of Religious Revival, Susanna Mancini and Michel Rosenfeld ed. Oxford University Press, 2014, pp. 146-159.

[4] Les cinq principes du Pancasila, proclamé philosophie d’État en 1945 par le Président Sukarno et intégré à la constitution, sont :

  1. La croyance en un Dieu unique.
  2. Une humanité juste et civilisée.
  3. L’unité de l’Indonésie.
  4. Une démocratie guidée par la sagesse à travers la délibération et la représentation.
  5. La justice sociale pour tout le peuple indonésien.

Le cahier imprimé du colloque “Laïcité : défis internes, défis externes” est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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